Une déclaration d'Emmanuel Todd m'a paru surprenante...
L'anthropologue et historien français juge que, dans le contexte actuel en France, "blasphémer l'islam revient à humilier les faibles de la société."
"Se moquer de soi-même ou de la religion d’un ancêtre est une chose, mais insulter la religion d’un autre est une histoire différente. L’islam est devenu le support moral des immigrés de banlieue, dépourvus de travail. Blasphémer l’islam, c’est humilier les faibles de la société que sont ces immigrants", a précisé le démographe.
Peut-on considérer que les musulmans sont faibles, dans la société française ? La France a accueilli les musulmans dans ses écoles, elle a favorisé l'intégration de ces populations en leur offrant de nombreux avantages : hôpitaux gratuits, possibilité de se loger, de se nourrir, de se soigner, d'acquérir une culture....
Certes, pour s'intégrer, il faut, aussi, le vouloir, accepter certaines règles d'une société : la laïcité, le droit de critiquer les religions, de s'en moquer, le droit à la satire, à la dérision...
Arrêtons de transformer les français de religion musulmane, en victimes de nos sociétés : certains vivent dans des quartiers pauvres et difficiles, mais si la volonté ne leur manque pas, on voit qu' un certain nombre d'entre eux peuvent réussir, progresser dans la société, se réaliser, trouver des métiers qui leur permettent de vivre correctement...
La France a toujours su intégrer ses immigrés : des italiens, des espagnols, des Polonais, des Portugais, des Arméniens.... Je suis moi-même arrière-petite-fille d'immigrés italiens, et j'ai toujours vu la France, mon pays, comme une terre accueillante.
Certes, mes arrière-grands-parents ont dû lutter pour s'intégrer, se faire accepter mais, malgré leurs difficultés, ils ont considéré la France comme leur pays, ils se sont fondus dans la population...
Dans une société laïque, comme la nôtre, la notion de blasphème religieux s'est effacée : elle existait encore au 17ème et au 18ème siècles... une des scènes du Dom Juan de Molière avait été jugée scandaleuse, en son temps, car on y voyait le héros de la pièce jouer le rôle du tentateur et essayer de corrompre un pauvre ermite avec une pièce d'or, pourvu qu'il jure et commette un blasphème...
Le temps a passé et le blasphème religieux n'est plus un délit en France, depuis longtemps : ce sont nos valeurs, ce sont nos traditions, et de nombreux auteurs se sont livrés à la satire des religions, depuis fort longtemps : Rabelais, Montesquieu, Voltaire ont dénoncé les aberrations, le fanatisme du monde religieux.
Faut-il renier ces valeurs ? Faut-il y renoncer ? Non, ce serait la pire des erreurs, refuser de dénoncer les excès de la religion, ses fantasmes, ses absurdités, ce serait faire un bond de plusieurs siècles en arrière !
Vive la satire ! Vive le rire ! Vive la dérision !
J'avoue ne pas avoir toujours apprécié certaines caricatures outrancières et grossières de Charlie-Hebdo...
Pour autant, la caricature passe par le grossissement du trait, par l'outrance, une forme de moquerie exagérée : on ne peut pas renoncer à ce qui fait l'essence de la satire...
On ne peut renier toute une tradition très ancienne : d'ailleurs les caricaturistes de Charlie-Hebdo se sont aussi moqués de la religion catholique, de ses instances, du pape lui-même...
De plus, les dessins ne s'attaquent absolument pas aux croyants, mais aux extrémistes.
Emmanuel Todd pointe l'absence de perspectives des jeunes face au chômage, à la crise, et considère que ces jeunes d'origine musulmane ont besoin de ce support de la religion pour vivre.
Mais, dans tous les cas, la France permet à chacun de vivre sa foi et sa religion, comme il l'entend : la religion doit rester dans la sphère privée et ne pas empiéter dans le domaine public : c'est la règle même de la laïcité...
Refuser des critiques religieuses, c'est refuser la laïcité et ses valeurs.
Ne renonçons pas à nos valeurs : la religion peut être un refuge pour certains qui en éprouvent le besoin : qu'ils vivent leur foi, comme ils l'entendent, qu'ils prient, se recueillent, qu'ils croient en leur dieu, c'est leur droit.
Mais cette foi ne peut imposer aux autres le silence, on a le droit de s'exprimer, de dénoncer, de critiquer, voire d'insulter ce qui est de l'ordre du religieux...