Les poètes du 16 ème siècle célébraient le corps de la femme, dans des blasons où ils faisaient l'éloge d'un détail anatomique du corps féminin : les yeux, la bouche, les cheveux, le beau tétin...
Alain Souchon, poète du XXI ème siècle, quant à lui, chante, dans un texte célèbre, un baiser inattendu, au hasard d'une rencontre, sur une plage du Nord, en hiver...
Le mot "baiser" réitéré magnifie ce moment magique qu'a connu le poète, ce terme scande, comme un leit-motiv, le refrain de la chanson.
Le décor embellit, de sa "brume" incertaine, le bonheur de cet instant fugace : on entrevoit des "dunes, une plage, la mer du Nord"..., bonheur d'autant plus fort que le personnage qui s'exprime semble sortir d'une aventure douloureuse, comme le suggère l'expression : "le coeur démoli par une..."
Le paysage s'anime sous nos yeux, puisque la mer est personnifiée dans cette expression :"elle sortait ses éléphants gris, verts". On perçoit une mer moutonnante et démontée, aux teintes variées, et l'image restitue bien le déchaînement des flots de la mer du Nord, en hiver.
La plage accueille des passants sympathiques, des "Adamos" bien couverts, une référence au chanteur célèbre dont le nom devient, à cette occasion, un nom commun pour désigner des gens à l'allure débonnaire qui rendent le décor agréable...
Le vent de Belgique personnifié, lui aussi, contribue à une ambiance de fête, puisqu'il "transporte des flonflons à la française, des fancy-fair à la fraise"...
Les sonorités de fricative "f" et de sifflante "s" viennent souligner cette atmosphère de douceur et d'harmonie dans laquelle se trouve le poète.
Soudain ELLE apparaît, sans avoir été décrite, un geste affectueux et tendre accompagne le baiser : "Autour de moi, elle a mis ses bras croisés..."
Le poète interpelle, alors, le lecteur et l'auditeur, avec une certaine familiarité : "Jugez ma fortune", car il est soudain enveloppé par une "écharpe de boucles brunes", une belle image qui traduit une douceur, un réconfort, tandis que le poète affirme, avec humour : "en blondes, j'ai des lacunes..."
Et aussitôt, le vent se met à tournoyer, comme pour restituer l'éblouissement de cet instant : "Oh le grand air
Tournez le vent la dune à l'envers
Tournez le ciel et tournez la terre
Tournez tournez le grand air.."
Le poète est comme emporté et transporté dans un tourbillon : le vent se fait le complice de son émotion et de son trouble, le personnage s'adresse, alors, familièrement à la jeune inconnue pour la remercier de ce moment de liberté, et de bonheur partagé :
"Toi qui a mis
Sur ma langue ta langue amie
Et dans mon cœur un décalcomanie
Marqué liberté liberté chérie
Je donne des parts
Pour ce moment délicieux hasard..."
Les répétitions de mots semblent restituer un accord parfait entre le poète et sa belle inconnue, et le chanteur affirme donner des "milliards de dollars", pour avoir vécu un tel instant de partage.
Le poète encense cet instant de grâce fugitive, dans une vie où "tout est moyen".
La jeune femme s'éloigne, telle "une reine alanguie", belle comparaison qui sert à la magnifier, elle devient "un petit point parti dans l'audi de son mari..."
"Ah son mari ! ", ne peut s'empêcher de s'exclamer, alors, le poète, non sans un peu de regret et de légère amertume !
La mélodie nous berce doucement et vient souligner ce moment unique de bonheur, lors d'un jour d'hiver, sur la plage de Malo Bray-Dunes...
La modernité du style, du vocabulaire, une forme de discrétion et d'élégance, le paysage qui s'anime et se met à l'unisson du poète, la liberté du ton donnent à ce baiser une dimension à la fois légère et intense, un moment inoubliable...
https://youtu.be/P5weqdVaChQ
https://youtu.be/1W8VskzeLuM
Illustration : Photo de Marie-Jo L creative commons