L'affaire est troublante et inquiétante : un professeur de philosophie d'un lycée de Poitiers, dans la Vienne, se retrouve incriminé pour apologie du terrorisme, après les attentats contre Charlie Hebdo...
Certains parents d'élèves l'ont accusé d'avoir tenu des "propos déplacés pendant la minute de silence". Le professeur a été, aussitôt, suspendu.
Ce professeur déclare, pourtant, n'avoir prononcé aucun propos qui aille dans le sens d'une apologie du terrorisme et il affirme :
"Je ne sais pas ce qu'on me reproche. Je ne sais pas quel cours, quel débat, est concerné. On m'a juste dit : "ce sont des propos qui ont été tenus en classe”. On évoque le fait qu'il y a eu des plaintes d'élèves et de parents qui sont montées directement au rectorat. Je suis sonné, je m'attendais à tout sauf à ça. Ce fameux jeudi, j'ai organisé des débats avec mes six classes de terminale. Le but était de comprendre les causes du terrorisme, en sortant autant que possible de la passion et de l'émotion du moment."
Et l'enseignant ajoute : "Ma réaction de citoyen est de dénoncer, avec force, ces actes odieux, horribles. On ne peut quand même pas m'accuser d'avoir la moindre sympathie pour les djihadistes. Ce sont des groupes fascistes que je combats. Il n'y a pas eu une quelconque apologie du terrorisme lors de mes cours. Au contraire…"
Bien sûr, je ne connais pas du tout le fond de cette affaire : je ne sais pas la teneur des propos tenus, en cours, par cet enseignant...
Mais, apparemment, en excluant aussitôt ce professeur, le rectorat donne plus de poids à la parole des parents et des adolescents qu'à celle de l'enseignant.
Les professeurs se retrouvent, ainsi, de plus en plus mis en cause par des élèves : je peux en témoigner...
Certains élèves n'hésitent pas à mentir sur leurs notes, à les falsifier et à incriminer le professeur lui-même : "c'est l'enseignant qui s'est trompé en remplissant le bulletin du trimestre : il a commis une erreur préjudiciable à l'élève"...
Ce problème s'est produit, dernièrement, dans une de mes classes : j'ai pourtant expliqué aux parents que leur enfant avait caché une de ses notes...
Mais je me suis heurtée à une fin de non recevoir : les parents persistaient dans la croyance aveugle des assertions de l'élève ! Incroyable ! Les parents n'imaginent pas que leur progéniture puisse mentir !
En tant qu'enseignante, il peut m'arriver de commettre des erreurs : dans ce cas, je corrige mon erreur et je m'en excuse mais il n'est pas question de cautionner les mensonges d'un élève !
On le voit : dorénavant, la parole et les propos d'un enseignant ne sont plus du tout respectés par des parents d'élèves.
Comment peut-on l'accepter ? Bien sûr, la contestation d'une note est moins grave qu'une accusation d'apologie du terrorisme.
Mais cela révèle un état d'esprit : l'autorité des professeurs, leurs paroles sont, parfois, contestées et remises en cause !
Si les enseignants doivent, sans cesse, se battre contre des mensonges d'élèves, la situation va devenir intenable.
Mon rôle d'enseignante est d'inculquer des savoirs, de susciter la réflexion, et aussi de noter les élèves. Si les parents d'élèves refusent de croire les enseignants, même dans ce domaine qui leur est réservé, où va-t-on ?
Si certains parents ne prennent pas conscience que leurs enfants peuvent mentir et falsifier la réalité, les professeurs seront, sans cesse, remis en cause et ne pourront exercer leur métier dans la sérénité.
Pour cette affaire d'apologie du terrorisme, il semble que les accusations aient été bien vite répercutées par les parents : l'enquête qui suit permettra, sans doute, d'éclaircir les faits...
Mais, on perçoit une tendance à mépriser les enseignants, à ne pas tenir compte de leurs remarques, à croire aveuglément des adolescents qui n'hésitent, pourtant, pas à mentir pour incriminer leurs professeurs.
De tels comportements sont vraiment peu responsables de la part de parents qui ont en charge l'éducation d'adolescents.
Le métier d'enseignant devient, dans ces conditions, de plus en plus complexe et périlleux...
Source : Le Monde