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13 octobre 2017 5 13 /10 /octobre /2017 14:03
Arrias, pour confondre tous les vaniteux...

 

 

Voilà un portrait de la Bruyère qui dénonce un caractère humain intemporel : le vaniteux, c'est un portrait en action original car l'auteur ne décrit pas l'aspect physique du personnage, il n'énumère pas non plus ses défauts, mais il nous fait percevoir ses caractéristiques morales en nous montrant sa façon d'agir : c'est ce que l'on appelle un portrait en action, technique souvent utilisée par cet auteur du 17ème siècle.

 

La Bruyère sait mettre en scène ce personnage qui nous est présenté à travers une anecdote exemplaire : au cours d'une conversation mondaine, à la table d'un homme important, Arrias trouve une occasion de briller...
Et l'occasion est particulièrement tentante : on parle "d'une cour lointaine"... il pourra, ainsi, inventer à loisir...


Puis, comme dans une pièce de théâtre, intervient un conflit qui montre que le personnage ne supporte pas la contradiction.


Certaines indications font penser à des didascalies théâtrales : "il en rit le premier jusqu'à en éclater" "avec plus de confiance..."

Arrias semble victorieux, il cite même le nom de "Sethon, ambassadeur de France", pour justifier ses propos.


La scène s'achève sur un coup de théâtre final : un renversement de situation qui ridiculise Arrias, puisqu'il se trouve devant Sethon, en personne. Le hâbleur est condamné à se taire jusqu'à la prochaine occasion où il pourra encore briller...
 

En fait ce personnage nommé "Arrias" parle plus qu'il n'agit, le champ lexical de la parole est particulièrement développé : "on parle, il prend la parole, il discourt, il récite, dit-il, je ne raconte..."

Arrias est avant tout un beau parleur.... et il représente un défaut principal : la vantardise.

Ce défaut s'incarne dans cette volonté qu'a le personnage de s'imposer à autrui par la parole.

Une succession de phrases courtes, sans mot de liaison  nous montre qu'Arrias monopolise la parole. La Bruyère sait utiliser différents types de discours pour mettre en évidence la faconde intarissable du personnage : discours indirect, indirect libre, discours direct.

Arrias apparaît aussi comme un être égocentrique, plein d'assurance, et d'autosuffisance, ce que suggèrent 6 occurrences du pronom personnel "je" : " Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. "

La répétition du mot "tout" dans la première phrase du portrait souligne son assurance : "Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel..."

De plus, ce personnage est violent, excessif, sans gêne, autoritaire : non content de monopoliser la parole et l'attention, il s'emporte facilement, si quelqu'un vient à le contredire : "Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur."

A la fin du portrait, le personnage, confondu par son interlocuteur, s'efface : on ne voit pas sa réaction, il devient inconsistant.

 

Les Arrias sont encore si nombreux à notre époque !

Certains se reconnaîtront-ils dans ce portrait ? La vanité dont ils font preuve risque de les aveugler encore et toujours, sans doute...

Mais ils sont nombreux les fanfarons de pacotille, les bouffons petit pied, les prétentieux beaux parleurs...

Ils sont nombreux les hâbleurs qui essaient de s'imposer par un verbe haut et des mensonges.

"L'oeuvre de La Bruyère tend un miroir à l'âme pour qu'elle s'y regarde à fond et quand nous croyons rire d'un tel, Pamphile ou Cliton, c'est déjà de nous qu'il est question..."

 

 

 

 

 

 

Le texte : 


Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : « Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance. » Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsque l'un des conviés lui dit : « C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive fraîchement de son ambassade. » 

 

 

 

 

 

Arrias, pour confondre tous les vaniteux...
Arrias, pour confondre tous les vaniteux...
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