Bac de français "trop difficile", une pétition recueille plus de 25.000 signatures ! L'épreuve de français 2019 aura donné matière à converser sur les réseaux sociaux pour les élèves de première en série S et ES.
Les candidats ont été invités à composer sur le thème de la poésie à partir d'un corpus de quatre poèmes d'Alphonse de Lamartine, Anna de Noailles, Yves Bonnefoy et enfin Andrée Chedid.
Et le commentaire portait sur le texte de la poétesse Andrée Chedid, intitulé Destination : arbre.
Ce poème a été jugé trop complexe par nombre d'élèves : et, pourtant, même si le texte n'est pas de facture classique, il fait intervenir un thème traditionnel, un lieu commun de la littérature : le lien entre le poète et la nature.
Voici l'analyse qu'on pouvait en faire :
La nature est un sujet d'inspiration inépuisable pour les poètes : on songe ainsi à tous les auteurs romantiques pour qui le spectacle de la Nature est souvent un reflet de leur état d'âme : mélancolie, tristesse, sentiment de la fuite du temps...
On retrouve ce thème de la nature dans un poème de Andrée Chedid intitulé Destination : arbre... mais ce n'est pas de mélancolie dont il est question dans ce texte, bien au contraire : la nature semble donner des leçons de vie et de vitalité.
L'auteur nous livre ici un magnifique hommage, elle évoque une fusion possible entre l'homme et la nature, et nous montre que l'arbre peut représenter notre humanité.
Andrée Chedid fait d'abord un éloge de l'arbre : le mot est mis en vedette dans le titre du poème, où l'arbre devient "une destination", un pays, un monde à découvrir... il s'agit ainsi de "parcourir l'Arbre..."belle image d'un voyage qui conduit l'être humain vers la nature. Ce thème du voyage est d'ailleurs repris à la fin du texte avec les verbes "cheminer, explorer."
L'Arbre est aussi magnifié, dès le premier vers, grâce à l'emploi de la majuscule... Le mot employé au singulier lui confère une sorte d'individualité.
Dans la suite du poème, les différentes parties de l'arbre sont évoquées et détaillées, les "racines, le fût, la charpente, les branchages, les feuilles, l'écorce, les sèves, les bourgeons".... , avec une progression dans le vocabulaire, comme si on pénétrait, au fil du texte, l'intimité de l'arbre.
De nombreuses expressions sont valorisantes : "l'éclat des feuilles" qui permet "d"embrasser l'espace", de "résister aux orages", de "déchiffrer les soleils". L'arbre semble ainsi doté d'une force, d'un pouvoir mystérieux...
N'est-il pas à la fois symbole de "l'éphémère et de la durée" ? Suivant le cycle des saisons, il perd ses feuilles en hiver et les retrouve immuablement au printemps... L'arbre semble donner des leçons de persévérance et de courage permettant "d'affronter jour et nuit" ou encore de "résister aux orages."
Andrée Chedid suggère aussi dans le poème une fusion possible et une union de l'homme et de la nature...
Le vocabulaire de l'union est particulièrement présent, dès le début du texte : "se mêler, se lier, plonger", et plus loin "s'unir, rejoindre". On remarque que les verbes sont à l'infinitif, traduisant une sorte de recette pour retrouver une harmonie perdue avec la nature.
Au fil du texte, l'union se fait fusion au point de :
"Sentir sous l'écorce
Captives mais invincibles
La montée des sèves
La pression des bourgeons..."
Et cette fusion permettra de "renaître"...
Ainsi, la nature apparaît comme une force bienveillante, à laquelle l'homme doit s'unir, et qu'il doit protéger. Ce poème exprime la simplicité du rapport qui unit l’homme et l’arbre, une envie de fusion, une sensualité, comme le montre l'emploi des verbes "embrasser, écouter, sentir."
L'arbre ne peut-il pas aussi représenter notre humanité ?
C'est un condensé de vie : il est associé à des verbes de mouvement et d'action : "gravir, envahir, se greffer, embrasser..." L'arbre est personnifié...
Comme l'être humain, il a besoin de contacts, son environnement naturel est essentiel : il est, dès le début du poème, associé à des "jardins, des forêts".
Et lorsqu'il est transplanté "au coeur d'une métropole, éloigné des jardins", il devient "orphelin", prisonnier, comme le suggère l'expression "enclos dans l'asphalte."
Il perd alors sa vitalité, "son tronc est rêche, ses branches taries, ses feuilles longuement éteintes."
De la même façon, l'homme qui vit dans les villes se retrouve souvent seul, il perd le contact avec la nature, avec la terre, et même avec les autres hommes.
Ce poème nous invite à mieux regarder ces êtres encore si étranges pour nous : les arbres. Ils semblent inertes, et pourtant, en eux, bouillonnent la vie, le renouveau. Les arbres sont bien un monde à découvrir, ils nous donnent des leçons de vie et il convient de les préserver.
Le poème :
Parcourir l'Arbre
Se lier aux jardins
Se mêler aux forêts
Plonger au fond des terres
Pour renaître de l'argile
Peu à peu
S'affranchir des sols et des racines
Gravir lentement le fût
Envahir la charpente
Se greffer aux branchages
Puis dans un éclat de feuilles
Embrasser l'espace
Résister aux orages
Déchiffrer les soleils
Affronter jour et nuit
Evoquer ensuite
Au cœur d'une métropole
Un arbre un seul
Enclos dans l'asphalte Éloigné des jardins
Orphelin des forêts
Un arbre
Au tronc rêche
Aux branches taries
Aux feuilles longuement éteintes
S'unir à cette soif
Rejoindre cette retraite
Ecouter ces appels
Sentir sous l'écorce
Captives mais invincibles
La montée des sèves
La pression des bourgeons
Semblables aux rêves tenaces
Qui fortifient nos vies
Cheminer d'arbre en arbre
Explorant l'éphémère
Aller d'arbre en arbre
Dépistant la durée.