"Quelques vers des troubadours ont su exprimer la joie d'une manière si pure qu'à travers elle, transparaît la douleur poignante, la douleur inconsolable de la créature finie. "Quand je vois l'alouette mouvoir De joie ses ailes contre le rayon, Comme elle ne se connaît plus et se laisse tomber Par la douceur qui au cœur lui va."
C'est ainsi que Simone Weil évoque les oeuvres des troubadours du Moyen Age, dans ses Ecrits historiques et politiques...
Le mot "troubadour" résonne d'éclats, de tourbillons, ce nom n'est-il pas un poème, à lui tout seul, avec ses échos de sonorités qui se répondent et s'inversent dans la dernière partie ?
Le troubadour, (le "trobador", en ancien occitan), n'est-il pas l'inventeur par excellence, le poète, le trouveur de mots ?
Dentale, gutturale, labiale, dentale à nouveau... des consonnes variées expriment, dans ce seul nom, toute l'inspiration de ces poètes, aux talents étonnants et multiples.
Poètes, chanteurs, musiciens, créateurs, les troubadours se sont illustrés au Moyen Age, par des oeuvres d'une diversité et d'une créativité étonnantes.
Le mot "troubadour" chante le sud, la langue d'oc, celle du soleil, de la mer, des collines, des paysages méditerranéens.
Et ces poètes ont su, aussi, par leur lyrisme, évoquer les tourments, les désarrois de la vie humaine.
Les troubadours, orfèvres de la langue et des mots, chantent l'amour, ses charmes, ses détours, ses blessures...
Guillaume de Cabestaing, Geoffroy Rudel, Bernard de Ventadour, Arnaud de Marveil, Folquet de Marseille, Raimond de Miravals... autant de poètes du passé dont on a oublié les noms, et les oeuvres, autant d'auteurs dont les noms aux sonorités lointaines nous émeuvent et nous intriguent.
Ils excellent, pourtant, dans les chants de la fin'amor, une sublimation de l'amour courtois envers la Dame vertueuse, belle et inaccessible. L'exaltation du désir devient, pour eux, une quête mystique, et l'amour rejoint une sorte de ferveur religieuse.
"Alba, ballade, canso, chanson de toile, lai, madrigal, rondeau, pastourelle, virelai, chansons de gestes", les troubadours se sont illustrés dans de nombreux genres littéraires.
"Alba", la chanson d'aube réunit les deux amoureux, dans un dialogue où ils connaissent des moments délicieux, ils en viennent à oublier l'aube qui paraît, le chant d'un oiseau les avertit du danger de se faire surprendre.
"La canso" exalte l'amour coutois, la fin'amor où le poète suggère, à la fois, la sensualité et l' idéalisation de l'être aimé.
Dans "la chanson de toile", ou chanson à filer, à tisser, on entend une amoureuse qui se lamente sur la mort de son amoureux, ou sur son entrée au couvent...
"La pastourelle" évoque les amours d'un seigneur et d'une bergère qui ne se laisse pas facilement séduire.
Ces poésies, pleines de fraîcheur, méritent d'être remises à l'honneur...
Les chansons de Bernard de Ventadour sont riches et limpides, nourries de sentiments personnels. Il fut l’un des meilleurs musiciens de son temps et figure parmi les plus grands poètes de l’amour en langue d’oc.
Bernard de Ventadour (en ancien occitan Bernartz de Ventedorn), poète et troubadour du 12 ème siècle écrivit de nombreux poèmes, parmi lesquels on peut citer celui-ci :
"J’ai le cœur si plein de joie,
Qu’il transmute Nature :
C’est fleur blanche, vermeille et jaune
Qu’est pour moi frimas ;
Avec le vent et la pluie
S’accroît mon bonheur.
Aussi mon Prix grandit, monte ;
Et mon chant s’épure.
J’ai tant d’amour au cœur
De joie et de douceur,
Que gelée me semble fleur,
Et neige, verdure.
Je puis aller sans habits,
Nu dans ma chemise,
Car pur amour me protège
De la froide bise...
D’amitié elle m’écarte !
Mais j’ai confiance,
Car d’elle j’ai du moins conquis
La belle apparence.
Et j’en ai, en la quittant,
Tant d’aise en mon âme
Que le jour de la revoir
Serai sans tristesse.
Mon cœur est près d’Amour :
Donc l’esprit là-bas court,
Mais le corps ici, ailleurs,
Est loin d’elle, en France.
Je garde bonne espérance,
– Qui m’aide bien peu –
Car mon âme est balancée
Comme nef sur l’onde.
Du souci qui me déprime
Où m’abriterai-je ?
La nuit il m’agite et jette
Sur le bord du lit :
Je souffre plus d’amour
Que l’amoureux Tristan
Qui endura maints tourments
Pour Iseult la blonde.
"Ah Dieu ! que ne suis-je aronde
Pour traverser l’air,
Voler dans la nuit profonde
Jusqu’en sa demeure ?
Bonne dame si joyeuse,
Votre amant se meurt ;
Je crains que mon cœur se fonde
Si mon mal ne cesse…
Dame, je joins les mains,
Je prie : je vous adore.
Beau corps aux fraîches couleurs,
Bien cruel vous m’êtes !...
Messager, va et cours,
Dis moi à la plus belle
Que je pâtis pour elle
Douleur et martyre."
Dans ces vers, l'amour transfigure le monde, il procure des souffrances démesurées, mais aussi des bonheurs inouis, des sensations de joie débordantes...
Les troubadours, souvent oubliés, ont écrit des oeuvres attachantes, ils méritent d'être redécouverts : la langue du Moyen Age, avec ses tournures et ses mots d'autrefois, revêt un charme lointain et particulier.
Les troubadours nous font voyager dans le temps, nous font entendre des voix et des musiques anciennes, un monde plein d'harmonie et de tourments...
Quelques repères sur Bernard de Ventadour :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernart_de_Ventadour
En haut de l'article : Paolo et Francesca Tableau de Ingres