L'obligation vaccinale va-t-elle s'imposer en France ? Tel est le titre d'un débat diffusé sur France Culture... La question est posée... preuve, sans doute, que cette solution est envisagée ?
"Depuis que l'Autriche a annoncé que le pays allait mettre en place l'obligation vaccinale pour le 1er février et que le nouveau gouvernement allemand a décidé de la faire voter au début de l'année qui vient, ce qui apparaissait improbable encore il y a quelques semaines est devenu une hypothèse plausible en France.
Epidémiologistes et médecins rappellent que notre pays est un pionnier de cette obligation pour nombre de vaccins et en appellent à la responsabilité de chacune et de chacun pour mettre fin à l'épidémie.
Tandis que les défenseurs des libertés publiques s'insurgent, eux, contre la fin de la liberté de choix des individus quant à leur corps et à leur santé."
"Cette pandémie ne s'arrêtera qu'à deux conditions : soit elle rencontrera une immunité collective acquise par la maladie et compte tenu du fait que le covid est une maladie qui n'immunise pas bien, pas longtemps, et qu'il y a de nombreux variants, cela risque de durer plusieurs années, soit cette immunité collective qui est le seul moyen de mettre fin à une pandémie sera acquise par la vaccination, la vaccination universelle, et pour ce qui concerne chaque pays, il importe (parce que chaque pays est responsable de sa politique vaccinale) de mettre en place cette vaccination universelle.
Alors, il y a différents moyens d'y parvenir : il y a la persuasion, l'incitation et puis l'obligation...
Pour ce qui concerne l'académie nationale de médecine, nous avons fait une recommandation au mois de mai." explique Yves Buisson, épidémiologiste.
Laurent Chambaud, médecin, déclare quant à lui : "Nous avons maintenant à notre disposition un vaccin, ce vaccin se révèle en tout cas efficace sur la diminution des cas graves et donc des décès, et il est important de promouvoir cette vaccination le plus possible. La France est un des pays dans lesquels le taux de vaccination est le plus important, en tout cas chez les adultes.
"On a déjà une obligation pour une partie de la population, les professionnels soignants, et on a eu un mécanisme d'incitation fort en France. C'est un pays où l'obligation vaccinale est présente depuis très longtemps et le débat devra de toutes façons avoir lieu.
L'Allemagne, l'Autriche n'ont pas une tradition d'obligation vaccinale.
Pour arriver à contrôler cette pandémie, il faut la regarder au niveau mondial, et donc plus on va avoir de divergences dans la façon dont les pays fonctionnent, moins on sera en capacité de pouvoir contrôler l'évolution de cette pandémie."
Mathieu Slama, essayiste, défenseur des libertés, répond aux scientifiques : "J'ai l'impression que la science nous dit quoi faire, et là, on a deux scientifiques éminents qu'on ne saurait contredire, car j'imagine que ce que vous dites est tout à fait juste d'un point de vue scientifique, ils nous disent quoi faire et comment mener nos politiques.
Depuis le début de cette crise, les scientifiques nous disent dans les médias qu'il faut confiner les Français, donc on a confiné les Français, ils nous ont dit ensuite qu'il fallait mettre des couvre-feux, on a mis des couvre-feux, ils nous ont dit : il faut mettre un pass sanitaire, on a mis un pass sanitaire, et maintenant, j'ai l'impression qu'il y a une sorte de consensus, les scientifiques nous disent : mettons en place l'obligation vaccinale.
La politique, ce n'est pas appliquer la science. La politique, c'est quelques chose qui prend en compte d'autres aspects : l'obligation vaccinale pose une question démocratique majeure sur la question de la citoyenneté, puisque obliger les gens à se faire vacciner, c'est d'une part, toucher à leurs libertés fondamentales de manière très forte, mais surtout, cela crée de facto une sous catégorie de citoyens : ceux qui décideront quand même de ne pas se faire vacciner vont être mis en marge de la société, ce qui est gravissime..."
Selon Yves Buisson, "Une décision d'obligation vaccinale doit tenir compte de l'acceptabilité de la population. Nous en sommes parfaitement conscients. Là, il s'agit d'une pandémie qui a tué énormément de monde, qui a tué plus de 120 000 Français et plusieurs millions de personnes dans le monde et qui n'a pas fini de tuer. Quand on dit obligation, il faut bien préciser les choses, on ne va pas forcer les gens entre deux policiers, non, on ne vaccinera jamais personne de force. La vaccination ne peut se faire contre le gré des personnes... ne serait-ce que pour des questions d'éthique médicale.
S'il y a obligation vaccinale, il y aura une proportion de personnes qui refuseront la vaccination.
Moi, je trouve scandaleux que ces personnes acceptent de continuer de faire courir un virus mortel. Il faut savoir de quel côté on se place. Moi, en tant que médecin et scientifique, je considère que ces gens-là sont extrêmement dangereux.
Refuser de se faire vacciner ? Pourquoi ? Les motifs sont très vaseux, très flous." explique Yves Buisson.
Réponse de Mathieu Slama : "Vous faites une erreur parce que vous considérez qu'un non vacciné est un malade... Non, un non vacciné n'est pas un malade, c'est un citoyen comme vous et moi, qui paie ses impôts, qui a sa vie, qui la mène comme il veut, qui fait peut-être des mauvais choix, c'est un citoyen comme les autres et ce n'est pas un malade potentiel. Dans cette crise, on est devenus un peu tous très paranos à considérer autrui comme un malade et la vaccination serait le seul moyen à garantir qu'un être humain est autorisé à vivre socialement.
Par ailleurs, un citoyen a des raisons d'être inquiet par ce vaccin : il considère qu'il n'y a pas assez de recul ou il a le sentiment que le coût bénéfices-risques n'est pas à son avantage. C'est son droit de se poser des questions.
D'autre part, depuis deux ans, notre état de droit est en ruines et ce qui se joue, c'est notre modèle démocratique.
On s'enferme soi-même à suivre des règles qui ne sont pas toujours favorables."
Selon Laurent Chambaud, il faut continuer le travail de conviction.
Yves Buisson, lui, considère qu'il faut aller plus haut, il faut qu'on ait un taux de couverture vaccinale de plus de 90%... on est à 76%, c'est la raison pour laquelle on a toujours de nouvelles vagues, et on aura d'autres vagues encore, d'autres hospitalisations, d'autres morts.
Mathieu Slama évoque encore le cas de l'Autriche : "En Autriche, avant que soit décidée l'obligation vaccinale, une autre mesure avait été annoncée qui était le confinement des personnes non vaccinées, donc si vous n'êtes pas vaccinés, on vous interdit toute vie sociale, et là, on franchissait une étape très grave : on considérait qu'il y avait une catégorie de citoyens qui ne méritaient plus de vivre une vie sociale comme les autres.
Et en France, il y a eu alors un sondage : 60% des Français étaient favorables à de telles mesures de confinement...
C'est donc une forme de consentement aux mesures qui ont été prises. Ce qui est inquiétant, c'est que depuis les attentats terroristes, une partie de la population française réclame des mesures de protection et voit de moins en moins de problèmes aux atteintes de l'état à leurs libertés. C'est exactement ce qu'on vit depuis le début de cette crise sanitaire.
Cela doit nous interroger sur le déclin démocratique très fort qu'on est en train de vivre.
Déjà le pass sanitaire, c'est le fait de conditionner l'accès à la citoyenneté à un vaccin : c'est quelque chose de complètement inédit en France. C'est là une révolution politique sans précédent."
Laurent Chambaud, lui, insiste sur le fait qu'en Europe "on cherche désespérément une capacité de réagir de la même manière, et on n'y arrive pas. La compétence dans le domaine de la santé reste au niveau des états.
De plus, ce virus continue à circuler de manière très forte dans les pays en développement : il faudrait revoir la façon dont on peut, au niveau mondial, gérer cette épidémie."
Vaste programme ! Est-ce réalisable ? Pour ma part, je suis perplexe... Certains pays pauvres manquent de vaccins : comment peut-on envisager une vaccination universelle ?
Source :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/covid-l-obligation-vaccinale-va-t-elle-s-imposer