Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 mars 2024 5 08 /03 /mars /2024 12:45
Itinéraire d'un enfant des Trente Glorieuses...

 

Le célèbre paléoanthropologue Pascal Picq est venu présenter son livre : Itinéraire d'un enfant des Trente Glorieuses, lors du Festival de la Biographie.

Il est né en 1954, il fait donc partie de la génération des babyboomers. Et c'est la première fois qu'il publie une autobiographie.

"La génération des babyboomers a-t-elle vécu une parenthèse enchantée de l'histoire récente de l'humanité ?
Le célèbre paléoanthropologue, qui est l'un d'entre eux, entreprend ici de raconter l'histoire de l'évolution à l'échelle de leur vie. C'est un recul historique très court pour un préhistorien, prévient l'auteur, mais il est éloquent tant a été spectaculaire le progrès de nos connaissances de la lignée humaine et des sciences de l'évolution en général. Ainsi, jamais l'humanité n'a connu de tels changements, qui ont trait à la fois aux vies des personnes et aux sociétés, à l'environnement, au climat et à la Terre."

 

"J'ai eu l'idée de revenir à ce que j'ai connu dans mon enfance, explique Pascal Picq : mes parents étaient maraîchers à Gennevilliers, qu'on appelle la Petite Couronne. La banlieue n'existait pas, vous aviez Paris, les faubourgs et ensuite tout autour, c'était la ceinture verte.

Mes parents étaient des provinciaux (on a oublié cela : toutes les migrations internes qu'il y avait en France, en Europe, alors bien sûr, on a eu les Italiens, les Espagnols, mais avant ça ou même en même temps, on a oublié comment les gens du Limousin- c'est ma famille- du Cantal, du Morvan ont quitté leur région, comment il y a eu tous ces mouvements de populations, parce qu'il fallait quitter la misère de la campagne, c'était compliqué, c'était dur.) Donc, tous ces gens convergeaient plus ou moins sur Paris.

Moi, je suis né dans ce grand terrain maraîcher, l'école était juste à côté, et, petit à petit, on voyait arriver des immeubles par ci par là jusqu'au jour où nous avons été expropriés, chassés parce qu'il fallait construire l'habitat.

Ce que je rappelle au début du livre, c'est que je suis né une semaine avant l'appel de l'abbé Pierre, en janvier 54 et ce fut l'hiver le plus froid du 20ème siècle.

Mes parents me disaient (parce qu'à l'époque il n'y avait pas de supermarché, c'étaient les petites épiceries du coin) d'aller chercher du lait dans la casserole, et le lait gelait...

Ma mère vendait ses radis aux Halles de Paris... depuis ces années-là, l'évolution a été considérable, comme elle n'avait jamais été auparavant.

Vous vous rendez compte : mes parents -ils travaillaient dur bien sûr- mais ils gagnaient bien leur vie en vendant des radis, des salades, des blettes, des poireaux... maman avait son permis de conduire, pour une femme des années 50, ce n'était pas quand même la généralité et en plus de ça, elle avait son permis poids lourd et c'est elle qui allait aux Halles, dès fois, elle nous emmenait, parfois moi, parfois ma soeur. Et moi, j'ai connu les anciennes Halles de Paris : vous aviez les carabins, les étudiants en médecine, vous aviez les bourgeois qui venaient s'encanailler, vous aviez les artistes, vous aviez les paysans, tout ce monde là se retrouvait à 5 heures du matin, on mangeait la soupe à l'oignon et, pour les plus costauds, une bonne entrecôte, et sur la table à côté, vous pouviez voir les grands artistes, comme Lino Ventura, c'est un monde complètement dingue, quand on y pense...

Petite anecdote : je me retrouve aux Halles, il n'y a pas très longtemps, dans un restaurant du Châtelet, avec mes enfants et ma petite fille qui se prénomme Julia, elle est d'origine à moitié brésilienne, dans le restaurant, il y avait des livres qui étaient là, avec un livre sur les Halles de Paris. Je prends le livre et je dis : "peut-être que je vais voir maman..." c'est bête, mais... alors tout est gris, à l'époque. Paris est gris, la banlieue est grise, tout le monde est habillé en gris... Ma petite fille s'écrie : "Papy, c'est tout gris !" et je dis : "Oui, pour toi qui est brésilienne, évidemment c'est un peu surprenant."

"Mais pourquoi tu regardes ça ?" interroge la fillette. Et je lui réponds :"Peut-être qu'on va voir mamie Ginette..." 

"Moi, j'étais très ému... alors évidemment, on ne la voit pas du tout, mais il y a une autre histoire pour moi qui a été très émotionnelle :

Il y a une vingtaine d'années maintenant, je présidais les bars des Sciences de Paris, c'était dans un café à côté des Halles, qui s'appelle Le Père Tranquille, et cela se passe à l'étage, et j'étais près de la verrière de l'étage, j'étais là en train de regarder un coin de trottoir... c'était là que maman "plaçait", comme on disait et pendant la nuit on vendait les récoltes... alors évidemment, je pars dans mes souvenirs et puis il y a un ami qui me dit : "Pascal, Pascal, on t'attend !", parce que j'étais plus là, quoi.

Il me dit :"Qu'est-ce qui t'arrive?" et je réponds : "Je peux pas te raconter."

Vous vous rendez compte : c'est l'histoire de ma génération, ce petit garçon qui était là en culottes courtes, à 8-9 ans dans le frimas de la nuit, qui vendait des radis auprès de sa maman et qui était fasciné de voir cette espèce de ballet incroyable de la société parisienne, et qui, quand même, 40 ans plus tard était président du bar des Sciences...

Alors, ce n'est pas ma réussite, c'est comment en fait -on a oublié aujourd'hui- comment les réformes de l'Education Nationale à la fin des années 50 et 60, le collège unique qui était tant décrié, l'accès aux études supérieures, ont permis cette réussite (les enfants des classes populaires n'accédaient pas au lycée, à l'époque)...

Il y a eu une ouverture incroyable, notamment pour les femmes, déjà avec les lois Neuwirth, De Gaulle était plus moderne qu'on ne le pense, à bien des égards, ensuite c'est mai 68, c'est l'accès aux études supérieures.

Alors, les gens me disent : "Vous les babyboomers, vous avez tout eu !" Alors je leur dis :"Attendez ! L'ascenseur, il fallait le choper ! Il nous attendait pas, il n'y avait pas un liftier qui disait : "On vous attend."

Donc, ça fait des tas de bouleversements, moi, j'ai fait mon service militaire évidemment, vous savez, on dit ça aujourd'hui, mais en 74, l'Amérique venait de connaître une défaite au Vietnam et l'Union Soviétique était une menace encore incroyable et qui ressurgit d'un seul coup."

Le journaliste qui interroge Pascal Picq intervient alors et commente son livre : "C'est en fait un ouvrage de sociologie, vous racontez dans le détail : la première douche, l'album Tintin que l'on attend avec précipitation, le dessin animé... évidemment, il n'y a pas de téléphone, encore moins de téléphone portable. C'est un portrait de notre société qui est revigorant."

Pascal Picq évoque ensuite le destin de sa mère : "Maman était "placée", comme on disait, on naissait dans une ferme, et après, on était placé dès l'âge légal, à la sortie de l'école, vous alliez gagner votre croûte, et elle s'est retrouvée comme "la bonniche" chez les Picq, c'est là qu'elle a rencontré mon père, et maman a accepté d'épouser mon père (ce n'était pas vraiment un mariage d'amour) à une condition, lui dit-elle : "si nous avons des enfants, qu'ils fassent des études." ça, elle l'a jamais lâché là dessus."

Le journaliste rappelle aussi cette anecdote : "Et quand vous passez en sixième, vous êtes fier, heureux comme tout, en disant : "Papa ! j'ai mon passage en sixième !" Mais lui, ça le laisse de marbre et après c'est pareil."

"Je n'ai jamais eu un seul compliment de mon père, même le jour de la soutenance de ma thèse, il se permet aussi de me dénigrer, je ne veux pas trop en parler de ce personnage.", rétorque Pascal Picq.

"Vous rendez hommage aux femmes dans cet ouvrage." intervient alors le journaliste. "Votre mère devient veuve et elle dit : "Enfin ! Je suis libre..."

"A 80 ans, vous vous rendez compte !" réplique Pascal Picq, "et il est vrai que j'ai dédicacé ce livre à ma mère, elle nous a quittés il y a deux mois, et c'est une combattante de la vie qui nous quitte, et les femmes sont des combattantes de la vie."

 

A travers cette anecdote, on perçoit la dépendance des femmes, leur soumission à leur mari, à cette époque où a vécu la mère de Pascal Picq. Heureusement, la condition des femmes s'est améliorée dans notre pays, même s'il reste encore des progrès à accomplir.

Avec ce témoignage de Pascal Picq, on voit aussi que l'école était encore un ascenseur social, dans les années 50-60, ce qui hélas n'est plus vraiment le cas à notre époque car le niveau d'exigence s'est considérablement réduit : programmes rabotés, suppression du redoublement, réformes improvisées, absurdes, etc.

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

M
Moi dépossédé du Bonheur ?
Répondre
R
Toujours heureux, alors ?
W
Rosemar<br /> <br /> tu n'as pas compris ce que je voulais dire . Tu as raison , les progrès dans tous les domaines ont été considérables . Ce que je voulais dire , c'est que le progrès n'entraine pas forcement avec lui le bonheur. “Les progrès techniques n’ont pas de conclusion logique dans l’ordre du progrès spirituel.” ,Lorsqu'on crie : "Vive le progrès : "Le progrès de quoi ? il ne peut y avoir de progrès véritable qu'intérieur. Le progrès technique ne suffit pas pour créer un progrès de la communication humaine et sociale. Avec le recul, je constate que même si nous n'avions pas le matériel à notre disposition, cela ne nous empêchait pas d'être heureux .Et plus le progrès augmente plus j'ai le sentiment que les gens en sont dépossédés ( du bonheur) . Ils consomment c'est tout . Ils ne pensent plus , on pense pour eux . Bientôt d'ailleurs l’intelligence artificielle évitera même de se poser la question . alors dans ces conditions, et je me répète les baby-boomers , dont je fais partie ont eu la chance de vivre pendant les trente glorieuses . C'est pour cela que je parle d'enfant gâtés .
Répondre
R
C'est vrai : nous vivons une époque de surconsommation, de gaspillages, et nous avons tendance à oublier l'essentiel : le lien à la nature, aux autres... mais l'époque des Trente Glorieuses fut aussi une période difficile : comme le dit Pascal Picq, il fallait se battre pour gravir les échelons et les conditions de vie dans les milieux modestes étaient dures : pas de confort dans les maisons, pas de toilettes, pas de salle de bains, pas de chauffage, etc.
W
remarquez, à cette époque là on pouvait parler d'un itinéraire d'un enfant gâté ( Lelouch )
Répondre
R
Les babyboomers gâtés ? Pascal Picq nuance ce point de vue : il lui a fallu travailler dur pour parvenir à sa situation...
A
Merci pour ce compte-rendu sur cette présentation qui avait l'air très intéressante et qui me parle beaucoup, étant né moi-même en 1958 dans une famille ouvrière du Nord de la France. <br /> Comment ne pas avoir un regard nostalgique et attendri sur ces années-là qui ont été porteuses de tant de changements?<br /> A noter ce livre de Pascal Picq aussi qui est paru l'année dernière.<br /> <br /> https://www.babelio.com/livres/Picq-Et-levolution-crea-la-femme/1256286<br /> <br /> Je ne connaissais pas du tout cet auteur et grâce à toi je vais commencer par lire ET L'EVOLUTION CRÉA LA FEMME.<br /> Bonne journée à tous
Répondre
R
Une biographie qui dévoile toute une époque faite de conquêtes... une époque toutefois où la vie n'était pas toujours facile : il fallait lutter et travailler dur pour rejoindre l'ascenseur social, comme le dit Pascal Picq. <br /> Que de progrès accomplis depuis les années 50 ! Notamment des progrès dans la condition des femmes...<br /> <br /> Merci pour le lien.<br /> <br /> <br /> Belle soirée, AJE
W
Les Français ont follement apprécié les trente glorieuses, car tout était neuf. Mais au bout du compte, la page reste toujours blanche du bonheur à conquérir. Aujourd'hui,La consommation est devenue comme une drogue, une addiction : le plaisir qu'elle procure est éphémère. Personnellement, moi qui ai vécu une partie de ces années là, j'en garde plus le souvenir d'une certaine France qui a disparu totalement. C'est mon côté nostalgique et mélancolique.
Répondre
R
Une période pleine d'espoir sans doute, mais avec encore un certain inconfort... Tant de progrès ont été accomplis depuis, des progrès dont nous bénéficions : les maisons sont mieux équipées, et grâce à internet, on peut communiquer, écrire des articles, publier des photos, etc.