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31 mars 2023 5 31 /03 /mars /2023 11:59
Fascinante Cléopâtre !

 

Qui était Cléopâtre ? Christian-Georges Schwentzel, historien spécialiste de l'Orient hellénistique et romain était invité au Festival de la Biographie... pour présenter son livre sur une des plus grandes légendes féminines  de l'histoire de l'humanité : Cléopâtre : La déesse-reine...

 

"Cléopâtre est tout à fait Egyptienne, c'est ce qui est peut-être difficile à comprendre aujourd'hui parce qu'on est un peu les héritiers des idéologies nationales ou nationalistes du 19ème siècle. On a l'impression qu'on ne peut avoir qu'une seule identité...

Cléopâtre en a deux voire trois : elle descend des conquérants gréco-macédoniens qui sont arrivés en Egypte avec Alexandre le Grand en 332-331 avant JC. Donc, elle a cette identité politique et culturelle grecque, mais elle règne sur l'Egypte, la majorité de ses sujets sont Egyptiens.

 

Et elle réussit parfaitement à s'inscrire dans la continuité des reines pharaoniques. C'est donc aussi une Egyptienne.

Et d'ailleurs le mot Pharaone est employé à cette époque, il apparaît dans des textes de démotique, elle a une titulature de Pharaone complète, comme on le voit très bien sur les bas-reliefs des temples égyptiens.

C'est une reine double dans un royaume double, biculturel, bilingue.

 

Et, en plus, elle est même Romaine : elle est la fille de Ptolémée XII qui était un roi client de Rome, son royaume n'est pas indépendant, il est sous la domination de la puissance romaine.

Or, on sait que les rois clients avaient la citoyenneté romaine, donc, en tant que fille d'un citoyen romain, elle est Romaine aussi...

 

Elle est donc Egyptienne, Grecque et Romaine et c'est ce qui fait la richesse de ce personnage...

L'une des richesses, parce que c'est bien plus que cette question des identités, elle est aussi la plus grande femme de pouvoir de toute l'histoire de l'humanité.

 

Cela fait plus de deux mille ans qu'on parle d'elle : tout le monde la connaît, le nom est universellement connu pas seulement en France. Dans le monde entier, elle fascine depuis 2000 ans.

Quelle a été sa politique dans ce contexte de domination romaine ? Elle s'en est sortie très bien...

Pourquoi, ensuite, on a fantasmé sur elle ? Pourquoi elle est devenue ce grand mythe féminin ?

Des papyrus, des documents épigraphiques, des pièces de monnaie qu'elle a fait frapper en grand nombre ou encore des représentations sur les tombes égyptiennes, dans la sculpture, des représentations de type grec aussi bien que des représentations de type égyptien : tout cela nous permet de voir comment elle-même voulait se présenter, comment elle voulait apparaître aux yeux de ses sujets...

Rien à voir avec ce qu'on a pu dire par ailleurs c'est à dire que c'était une femme fatale, un monstre féminin, une prostituée, une nymphomane qui soi disant s'offrait à son harem d'esclaves et qui n'était jamais satisfaite...

Autant de calomnies inventées par les ennemis romains : son malheur est d'avoir été vaincue à la bataille d'Actium, en 31 avant JC par Octave, le romain qui va devenir ensuite l'empereur Auguste, fondateur de l'empire romain.

Un Romain très misogyne comme beaucoup de Romains : c'est insupportable pour les Romains le pouvoir féminin.

Donc, les Romains vont salir la mémoire de Cléopâtre et vont plaquer tous les stéréotypes possibles de la misogynie, de la phallocratie romaine sur cette figure.

C'est devenu aussi un mythe pour cette raison-là : les Romains, à force de dire du mal d'elle, ont fait d'elle la plus grande légende féminine de l'histoire de l'humanité.

Elle a fait fantasmer pendant 2000 ans depuis l'antiquité où elle fait déjà fantasmer...

Lucain, qui écrit à l'époque de l'empereur Néron, fantasme déjà : il condamne Cléopâtre mais il ne peut pas s'empêcher d'être attiré par cette beauté nocive, il parle de ses seins qu'on voit sous son vêtement transparent. C'est un concentré d'érotisme et d'exotisme, déjà dans l'antiquité romaine...

Ensuite on passe par le Moyen Age : Boccace, par exemple, fantasme sur la mort de Cléopâtre, et d'autres auteurs ensuite.

Elle entre dans la peinture et jusqu'au cinéma aujourd'hui... Sa mort est fortement érotisée avec ce serpent, elle s'est sans doute suicidée au moyen d'un serpent.

Elle se suicide parce que le vainqueur Octave veut l'exhiber dans les rues de Rome : ce sera le clou de son spectacle triomphal. Il aurait remporté un immense succès s'il avait pu traîner cette prostituée.

Et elle ne veut pas être humiliée... elle se suicide selon un scénario prévu à l'avance, elle se fait apporter par un paysan un serpent caché sous un panier de figues, un serpent probablement endormi. Elle avait fait des essais, elle connaissait les poisons, elle connaissait les venins. Et c'est tout de même atroce, elle avait fait des essais sur des condamnés à mort, nous dit Plutarque..."

 

 

 

 

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18 février 2023 6 18 /02 /février /2023 13:26
Romanesque et réalisme dans Manon Lescaut...

 

On constate dans l'oeuvre de l'Abbé Prévost un mélange étonnant de romanesque et de réalisme...

 

I)Le romanesque est particulièrement présent : 

Qu'est-ce que le romanesque ? Tout ce qui est extraordinaire, imaginaire, presque invraisemblable... Les personnages sont souvent trop parfaits en regard de la vie courante, le romanesque se caractérise aussi par un style particulier : la déclamation, les hyperboles...

1)D'abord, l'oeuvre ressemble à un roman d'aventures extraordinaires : on y retrouve tous les ingrédients du genre :

-des rencontres fortuites : l'homme de qualité qui rencontre Des Grieux, à deux reprises, au début du roman, à Pacy sur Eure avec le convoi de déportées, puis à Calais, quand Des Grieux est revenu d'Amérique...

La rencontre de Des Grieux avec Manon est elle-même fortuite.

-des enlèvements : Des Grieux enlève Manon alors qu'elle doit rentrer dans un couvent.

-des séparations, des retrouvailles : Manon et Des Grieux se trouvent plusieurs fois séparés, puis se retrouvent.

-des arrestations et des évasions : Des Grieux s'évade de la prison de St Lazare, Manon s'évade de l'hôpital. Chaque fois, le hasard fait bien les choses : on s'évade assez facilement.

C'est une suite d'aventures extraordinaires, parfois sanglantes : Des Grieux tue un garde de Saint Lazare, lors de son évasion. Le frère de Manon est tué par un garde du corps.

Les personnages complotent : Des Grieux recrute des hommes de main pour essayer d'arracher Manon au convoi des déportées.

-les personnages se déguisent parfois : Des Grieux se déguise en jeune écolier pour abuser le vieux GM, il se fait passer pour le frère de Manon. Manon, elle, se déguise en homme pour s'évader de l'hôpital.

Prévost utilise là des situations assez conventionnelles, et se conforme à une mode littéraire...

Un auteur du 18 ème siècle se moque volontiers de ce goût pour le romanesque : c'est Voltaire qui, dans Candide, se livre à une parodie du romanesque, grâce à des exagérations burlesques.

 

2)Par ailleurs, on note le caractère peu vraisemblable ou factice des événements qui jalonnent la vie des personnages :

-la même situation se reproduit trois fois : Manon trompe le chevalier Des Grieux à trois reprises, avec M de B, fermier général, avec le vieux GM, puis avec le fils de ce dernier. 

Et chaque fois, Des Grieux lui pardonne ces trahisons, et chaque fois, une nouvelle vie commence.

Les personnages connaissent le comble du bonheur, puis les abîmes du malheur.

-le hasard joue un grand rôle dans l'ensemble du roman : c'est par un hasard malheureux que Manon est mise en présence de son frère, il loge dans la même rue et la reconnaît à sa fenêtre.

-d'autre part, certains faits demeurent inconnus et surprenants : nous ne savons rien des parents de Manon, ont-ils été mis au courant de son arrestation, de sa déportation ?

-malgré leurs défauts, les personnages sont souvent présentés sous un aspect favorable : c'est le cas de Manon, "la plus parfaite des créatures". Les deux héros sont de "parfaits amants." Cette perfection est romanesque, loin de la réalité.

 

II ) Pourtant, les réalités de l'existence sont très présentes dans le roman...

C'est même une réalité sordide qui fait irruption dans le roman français : le héros apparaît comme un escroc, Manon est une fille des rues, on peut parler d'une certaine ambiance de débauche.

1)-Le cadre est bien  réel : l'action ne se passe pas dans un univers lointain et mythique.

-C'est une époque bien précise qui est évoquée : la Régence... Des Grieux et Manon sont présentés comme contemporains de l'auteur : le roman paraît en 1731 et l'action se déroule en 1719 sous la Régence de Philippe d'Orléans, pendant la minorité de Louis XV.

-Les lieux sont réels : les aventures débutent à Amiens avec la première rencontre des deux héros et se terminent tragiquement en Louisiane. Mais, pour l'essentiel, elles se déroulent dans le Paris de la Régence.

Quelques lieux parisiens sont ainsi rapidement évoqués : le Luxembourg, le jardin des Tuileries, le bois de Boulogne, le café Féré rue Saint André des Arts, le pont Saint Michel, l'hôpital de la Salpêtrière (qui était alors une prison destinée aux femmes), la prison Saint Lazare.

2)-L'argent joue un rôle essentiel dans le roman : avec de l'argent, on peut tout se permettre... pour se le procurer, tous les moyens sont bons...

Le couple Des Grieux Manon a sans cesse des problèmes d'argent.

Pour s'en procurer, Des Grieux recourt aux moyens les plus indignes : il triche au jeu, entre dans une "académie", c'est à dire une maison de jeux fréquenté par des truands et des gentilshommes.

Manon et Des Grieux essaient d'abuser les riches amants de Manon, et de les voler.

Pour s'en procurer, Des Grieux recourt aussi à l'aide de Tiberge, son ami.

Le couple est lui-même victime de vol : les domestiques s'emparent de leur argent.

C'est une société où l'argent tient une place importante, où tout s'achète, la complicité d'un valet de la prison, les charmes de Manon, par exemple.

C'est un récit assez moderne : il fait penser à notre société où l'argent est une valeur essentielle.

Dès lors, on ne peut s'étonner du scandale que produisit le roman au 18ème siècle.

Les deux héros apparaissent comme des victimes d'une société corrompue par l'argent : c'est la contagion du Paris corrompu de la Régence qui pèse sur Manon. D'ailleurs, l'amour de Manon semble se purifier sur le continent américain.

3)L'action se déroule dans les bas-fonds de la société : tripots, cafés, prisons, et tous les personnages qui fréquentent ces lieux.

Les personnages ont des moeurs douteuses : il y a des tricheurs professionnels (le frère de Manon en fait partie). Les amants de Manon sont riches et dépravés...

On assiste à un dérèglement des moeurs, caractéristique de la Régence.

4)Les réalités de cette époque sont évoquées : les déportations en Louisiane, on cherchait alors à peupler cette colonie. Les déportées voyageaient dans de mauvaises conditions : elles étaient enchaînées.

Un de ces convois avait été attaqué par le célèbre bandit, Cartouche, et l'une de ces déportées était devenue sa maîtresse.

Pourtant, dans l'ensemble, ce réalisme reste discret : Prévost ne décrit pas longuement les lieux, il donne seulement quelques détails significatifs.

 

En conclusion, un roman fait de contrastes : un mélange d'invraisemblances et de réalités.

Contraste entre les actions commises (mensonges, vol, meurtre, tricherie, escroquerie) et la présentation qui est faite des personnages (Manon exquise, douce, tendre.)

Contraste entre le cynisme de Manon et sa candeur...

Contraste entre les deux héros : Des Grieux destiné à l'état ecclésiastique et Manon, la courtisane...

 

Prévost arrive ainsi à exprimer toute l'ambiguïté de la condition humaine : l'être humain apparaît complexe, mystérieux. Ces contrastes suggèrent que la nature humaine est nuancée, complexe, pleine de possibilités diverses.

Bien sûr, Prévost a le souci d'authentifier son récit, en l'insérant dans une réalité qu'il connaît : il réussit à faire sonner vraie et juste une histoire parfois à la limite du vraisemblable. Il nous livre aussi un témoignage sur son temps, et il mêle à l'analyse de la passion des remarques contemporaines.

Le roman lui-même reste ambigu : dans l'avis au lecteur, l'auteur affirme sa volonté d'écrire une histoire morale pour instruire le lecteur, mais, en fait, il veut rester sans doute fidèle à la tradition des moralistes français. C'est aussi un bon moyen pour Prévost de parler, malgré tout, de sujets interdits tout en mettant en avant le prétexte de la morale.

 

 

 

 

 

Romanesque et réalisme dans Manon Lescaut...
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15 janvier 2023 7 15 /01 /janvier /2023 13:29
La Maison Carrée en lumières !

 

Un temple romain au coeur de la ville de Nîmes ! Un des plus beaux temples romains, un des mieux conservés...

Les fêtes de Noël ont été l'occasion de mettre en lumière ce monument unique, l'occasion d'évoquer l'histoire de ce bâtiment vieux de 2000 ans...

 

D'abord, la construction de ce temple de culte impérial entre 2 et 5 après JC : il occupe à l'origine l'extrémité du forum, place principale de la cité antique. Le temple est réalisé pour l'essentiel en pierre de Lens, extraite d'une carrière à 30 km de Nîmes. Un temple commandité par le premier empereur romain Auguste.

 

En 345, les premiers chrétiens en font une église...

 

A partir de 462, Wisigoths, Sarrasins et Francs l'occupent successivement...

 

En 1198, le temple devient Maison Consulaire : elle accueille en son sein les quatre consuls.

 

1530 : Louis Boys un laboureur de Nîmes acquiert le bâtiment comme maison d'habitation...

 

1670 : les moines Augustins la rachètent pour en faire une église.

 

1758 : Jean François Séguier un érudit nîmois déchiffre et réussit à reconstituer la dédicace disparue au fronton de la Maison Carrée. Les traces laissées dans la pierre par les accroches des pierres lui suggèrent l'inscription :  "A Caius Caesar, fils d'Auguste, consul et Lucius Caesar, fils d'Auguste, consul désigné. Aux Princes de la Jeunesse." La Maison Carrée est donc un temple de culte impérial dédié aux petits fils d'Auguste, adoptés par l'empereur et destinés à lui succéder.

 

La Révolution française confisque les biens ecclésiastiques, et la Maison Carrée devenue bien national accueille les archives.

 

1823 : la Duchesse d'Angoulême en fait un musée qui abrite des collections d'art.

 

1840 : la Maison Carrée est classée Monument Historique.

 

2005 : Jean Paul Fournier, maire de Nîmes lance les travaux de restauration de la Maison Carrée.

 

2010 : fin de la restauration qui rend sa splendeur au monument romain...

 

On le voit : ce monument a été préservé car il n'a cessé d'être utilisé au fil des siècles...

Inspirée par les temples d'Apollon et de Mars Ultor à Rome, la Maison Carrée séduit par l'harmonie de ses proportions. C'est le seul temple du monde antique complètement conservé.

 

 

 

 

Photo et vidéos : rosemar

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11 novembre 2022 5 11 /11 /novembre /2022 13:20
Manon Lescaut : quelles visions du monde ?

 

Présentation : le roman raconte une histoire d'amour entre un noble et une jeune fille légère. Ce roman très célèbre a connu un succès de scandale : les journaux de l'époque qualifient le héros d'escroc, l'héroïne de catin ou de prostituée. Un fils de bonne famille est ensorcelé par une fille de joie !

 

Quelles sont les visions du monde présentes dans ce roman ?

 

I Ce roman est d'abord le reflet d'une époque : la Régence (début du 18ème siècle), une période libertine, débridée.

 

Louis XIV meurt en 1715 : c'est la fin d'un long règne qui s'achève dans l'austérité, la tristesse. Louis XIV représentait l'absolutisme, le conformisme, un catholicisme rigide et étroit.

A la mort du roi, Philippe d'Orléans devient régent : on assiste alors à une libération des moeurs. Le grand argentier Law, un écossais, invente le papier-monnaie, la banque, le crédit, c'est le début du capitalisme moderne.

 

1) Importance du plaisir, du luxe

Manon représente bien ce goût du luxe : elle a sans cesse besoin d'argent. C'est l'époque où le peintre Antoine Watteau met en scène dans ses tableaux des couples dans des habits somptueux en train de se distraire...

2) Le goût du jeu

On s'adonne au jeu avec frénésie : les pertes d'argent sont pour certains si grandes que certains jeux sont interdits par ordonnance. Les maisons de jeu clandestines se multiplient. Des joueurs ruinés se suicident.

 

3) Les déportations en Louisiane

La Louisiane, nouvelle colonie récemment conquise par Louis XIV doit être peuplée : des femmes, des prisonnières, des prostituées sont envoyées en déportation pour peupler cette colonie. Le transport de ces femmes a lieu dans des charrettes : l'embarquement se fait au Havre de Grâce ou à La Rochelle. Des gravures de l'époque représentent ces convois de déportées.

Au début du roman, le Marquis de Renoncour voit pour la première fois Manon dans l'un de ces convois.

4) Les personnages du roman symbolisent bien cette époque

Manon est coquette, avide d'argent, de plaisirs, elle ne supporte pas le manque, la pauvreté.

Des Grieux lui-même subit l'influence de Manon : il enfreint la loi à plusieurs reprises : vol, tricheries, meurtre.

L'argent est un thème essentiel dans le roman.

 

II La vision du romancier transforme les faits et les personnages.

 

1) Si les personnages s'insèrent dans un cadre réaliste et une époque précise, ils sont aussi idéalisés et deviennent des symboles.

Les deux héros ne sont jamais décrits longuement ( à la différence des héros de romans du 19ème siècle ).

Le lecteur ne voit pas Manon : elle est simplement charmante, il s'agit d'exalter l'imagination du lecteur qui a une connaissance lyrique du personnage.

Manon et Des Grieux symbolisent la passion amoureuse : un couple idéal, ravissant, émouvant, malgré tout.

2) Les faits et les lieux sont aussi idéalisés, embellis ou stylisés.

L'évocation du convoi des déportées reste très sobre. Manon elle-même en haillons rayonne, elle attire tous les regards.

Les maisons de jeux ou tripots sont évoqués dans un langage noble, élégant : on parle "d' Académie."

La prison, ( l'hôpital de la Salpêtrière ) n'est pas vraiment décrite : elle est d'ailleurs transformée grâce à la présence de Manon : elle devient un palais, "Versailles."

Prévost transfigure la réalité : il utilise souvent un langage noble, un style classique, plein de pudeur... l'amour embellit tout, transforme les êtres et les lieux.

 

III Quelle est la signification de l'oeuvre ?

 

1) C'est apparemment une oeuvre morale : au 18ème siècle, la religion exerçait encore toute son influence, la morale religieuse occupait une place importante.

La religion jouait un rôle essentiel : les précepteurs, les maîtres étaient souvent des religieux. L'abbé Prévost est lui-même un ecclésiastique.

Le récit a une valeur morale : la passion conduit Des Grieux vers la déchéance. A la fin du roman, Manon est punie, elle meurt en Amérique.

On perçoit encore l'influence de la littérature du 17ème siècle et de ses auteurs dont la devise était "Instruire et plaire". Prévost montre les dangers de la passion amoureuse de manière plaisante, à travers un roman d'aventures aux multiples péripéties.

2) Pourtant, le message est plus ambigu 

La passion amoureuse est aussi valorisée : les héros attirent la sympathie de nombreux personnages, Tiberge l'ami fidèle de Des Grieux, l'homme de qualité, ou encore l'administrateur de la prison, M. de T.

La plupart des personnages secondaires aident le couple en perdition.

Le sujet lui-même était audacieux à l'époque : un noble s'éprend d'une fille des rues qui l'entraîne dans la déchéance.

 

Conclusion :

 

On perçoit dans ce roman un monde en train d'évoluer sous la Régence : le plaisir, l'argent occupent une place importante. Le monde semble se libérer aussi du carcan de la religion.

Manon et Des Grieux sont, en ce sens, des héros modernes, ils revendiquent une certaine liberté de vie, de moeurs.

De plus, les romanciers dépassent souvent le contexte historique et social pour donner à leur oeuvre une valeur universelle : Prévost se livre à une réflexion universelle sur la passion amoureuse, il nous en présente à la fois les dangers et les attraits.

 

 

 

 

 

 

Manon Lescaut : quelles visions du monde ?
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21 octobre 2022 5 21 /10 /octobre /2022 11:53
Un duo enchanteur...

 

Au programme : flûte et harpe pour ce concert empli de charme et de douceur... A la harpe, Martine Flaissier, à la flûte, Claire Sala...

Avant le spectacle, on a le loisir d'admirer la harpe, magnifique instrument sculpté, incrusté de ramages, aux teintes dorées. Les formes, les couleurs nuancées, la matière, un bois d'épicéa en font un objet précieux, une véritable oeuvre d'art.

 

Le concert s'ouvre avec une sonate de Donizetti emplie d'élégance, de légèreté qui nous invite à l'apaisement et au rêve... Merveilleuse musique aux sons enchanteurs ! On se laisse bercer par ce morceau si doux...

 

La célèbre Sérénade de Schubert nous emporte encore dans un monde de rêve... Quelle harmonie, quelle finesse !

 

Puis, c'est une sonate en do mineur de Ludwig Spohr qui nous ravit par sa mélodie envoûtante, tantôt douce, tantôt virevoltante... un compositeur allemand du 19ème siècle que je ne connaissais pas...

 

Les deux musiciennes nous emmènent ensuite En bateau, avec la Petite Suite de Debussy : on se laisse porter au fil de l'eau par cette mélodie très évocatrice... on perçoit un léger bruit de vagues, le léger roulis de la mer... On s'y croirait...

 

On est encore ébloui par cet air alerte, vif, clair, élégant, enjoué dans ses "espagnolades" prestement enlevées : Entracte de Jacques Ibert...

 

On écoute avec ravissement les murmures de La Source d'Alphonse Hasselmans, un morceau composé pour la harpe...

 

Quant à l'Elégie de Tedeschi, quelle élégance, quel enchantement dans cette musique qui tourbillonne et nous emporte dans ses volutes !

 

Un vertige de notes à la harpe pour ouvrir le dernier extrait : La Czardas est une composition de musique classique du compositeur italien Vittorio Monti (1868-1922). Il s'agit d'une rhapsodie pour violon et orchestre composée en 1904 et inspirée par la csárdás, une danse hongroise. C'est de loin la pièce la plus connue de Vittorio Monti...

Une musique sur un rythme endiablé, un tourbillon... qui s'apaise et nous invite encore à une douce rêverie...

Puis, le rythme s'accélère à nouveau et nous emporte dans un éblouissement de notes !

Un merveilleux moment d'écoute, de concentration, de ravissement au cours de ce spectacle...

 

Ce concert fut aussi l'occasion de découvrir cet instrument peu connu : "la harpe qui fait partie des instruments les plus anciens puisque la première harpe que l'on a retrouvée date d'environ 3500 ans avant J C. A l'origine, c'était un arc sur lequel on avait tendu trois cordes... Depuis ce temps-là, l'instrument a beaucoup évolué. La harpe dans sa forme actuelle date de 1811, et depuis il n'y a guère eu d'évolution.", nous explique Martine Flaissier.

 

"Une harpe de concert a 47 cordes : il y a des cordes de couleur, pour qu'on puisse les repérer puisque nous n'avons pas de repère tactile. Les do sont rouges et les fa sont noirs ou bleus. Les autres cordes sont incolores.

Au bas de la harpe, il y a 7 pédales qui correspondent chacune à une note. Avec ces pédales, nous pouvons faire des altérations, c'est à dire bémol, bécarre, dièse... ainsi, sur chaque corde, on peut faire trois notes. Donc, je vous laisse calculer : 47 multiplié par 3, cela fait beaucoup.

 

Donc, on travaille, en fait, autant avec les pieds qu'avec les mains : les pédales sont comme les touches noires du piano. Ces pédales sont reliées par des tringles qui passent dans la colonne et qui viennent actionner des fourchettes : quand on appuie sur une pédale, la fourchette tourne et pince la corde à deux endroits différents... Dans la partie haute de la harpe, il y a 2500 pièces de mécanique : c'est extrêmement complexe.

 La table est faite en épicéa, un bois très solide. L'instrument pèse 50 kg !"

 

Un moment délicieux passé auprès de ces deux musiciennes pleines de talent...

 

 

 

 

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19 octobre 2022 3 19 /10 /octobre /2022 09:48
S’endavalèm de vos... Nous descendons de vous...

 

 Voici un bel hommage aux troubadours, à ces poètes d'autrefois, chanteurs, musiciens, créateurs qui se sont illustrés au Moyen Age, par des oeuvres d'une diversité et d'une créativité étonnantes... un hommage que l'on doit à Francis Cabrel dans sa chanson "Rockstars du Moyen Âge".

Le mot "troubadour" chante le sud, la langue d'oc, celle du soleil, de la mer, des collines, des paysages méditerranéens.

 

Et c'est cette langue du sud, l'occitan que Cabrel met à l'honneur dans ce texte.

 

Le titre lui-même de la chanson unit et réunit le présent et le passé : Rockstars del Media d'Atge...

Pourquoi donc parler de "langues anciennes" ? L'occitan, c'est aussi notre langue, notre littérature qui a brillé pendant des siècles et qui a raconté l'humanité, ses joies, ses peines, ses amours... La répétition du mot "même" souligne bien ce lien avec le passé dès la première strophe.

 

Et le poète s'adresse directement à ces écrivains du passé, en employant la deuxième personne du pluriel, une façon de faire revivre ces précurseurs que nous avons tendance à oublier :

"C’est écrit dans vos pages
en mieux et bien avant nous."

 

Dans la strophe suivante, Cabrel restitue toute une époque, une ambiance, grâce à quelques détails bien choisis : la plume des poètes,  leurs chants dédiés à des dames, la lenteur du pas des chevaux...

"Vous, c’est un trait de plume,
c’est le pas des chevaux,
c’est chanter à vos Dames
tout ce qu’il y a de plus beau..."

Les sonorités de sifflantes  "s" et chuintantes "ch" traduisent toute la délicatesse de ces poètes d'autrefois...

 

Cabrel évoque ces poèmes de l'Amour courtois, des chants qui honoraient la beauté des visages et des coeurs... Le superlatif et des équivalents de superlatifs "loin au dessus de tout" viennent souligner la profondeur et la sincérité des sentiments.

 

Et la réussite de ces chants d'amour, c'est que chacun peut s'y associer et s'y reconnaître, comme le fait une simple "fille à la fenêtre" :

"La fille à la fenêtre
qui chante les yeux clos
cherche à se reconnaitre
dans chacun de vos mots.
Ça vaut bien davantage
que le plus lourd bijou."

Cabrel peint là un véritable tableau en quelques traits : on voit l'encadrement de la fenêtre, les yeux clos de la jeune fille, on entendrait presque sa voix qui chante...

Et les mots du troubadour deviennent alors un trésor inestimable, comme le suggère le superlatif : "le plus lourd bijou."

 

On voit dès lors une scène de l'époque : le troubadour sous le balcon de la dame, armé d'un tambourin, dans la nuit venir chanter ses poèmes pour une "Belle en cage". La dame étant jalousement gardée et enfermée, le troubadour prend aussi des risques, avec pour "seule armure un tambourin"... cette image guerrière souligne ainsi une forme de danger à courtiser la belle...

 

La strophe suivante en occitan nous permet d'entendre cette belle langue :

"La filha a son fenestron
canta los uèlhs barrats
e dins cada cançon
espera se trobar.
Aquò val fòrça mai."

« La fille à sa fenêtre
chante les yeux fermés
et dans chaque chanson
espère se trouver.
Cela vaut bien plus. »

Il s'agit d'une version en occitan du troisième couplet...

 

Enfin, dans la dernière strophe, Cabrel rend précisément hommage à ces poètes d'autrefois, en citant quelques noms, autant de poètes du passé dont on a oublié les noms, et les oeuvres, autant d'auteurs dont les noms aux sonorités lointaines nous émeuvent et nous intriguent :

 
"Jaufré Rudel, Guillaume
Bernard de Ventadour
Pèire, Bertran de Born,
cent autres troubadours."

Francis Cabrel se veut l'héritier de ces troubadours oubliés, comme le soulignent les derniers mots de la chanson...


"On veille à l’héritage
guitares autour du cou."

Le refrain "Rockstars du Moyen Âge, nous descendons de vous." vient insister sur cette idée tout au long de la chanson.

 

La mélodie très douce, délicate, les choeurs, la langue occitane nous transportent au Moyen Age...

 


 


Paroles de « Rockstars du Moyen Âge »
 

https://lyricstranslate.com/fr/francis-cabrel-rockstars-du-moyen-age-lyrics.html

 

 

 

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12 octobre 2022 3 12 /10 /octobre /2022 09:59
Le prix Nobel de la paix 2022 attribué à l’ONG russe Memorial...

 

Memorial est une association essentielle sur la mémoire du totalitarisme soviétique : Memorial a documenté, raconté et entretenu la mémoire de millions de crimes du stalinisme, c'est une sorte de  Soljénitsyne collectif, que Poutine a interdit.

 

Memorial vient de recevoir le prix Nobel de la Paix : une ONG qui travaille depuis longtemps sur les crimes du stalinisme, qui a été contrainte de fermer ses portes 3 mois avant la guerre, ce qui a été vu par beaucoup d'observateurs comme un prélude à l'invasion de l'Ukraine.

Staline reste encore aujourd'hui très populaire en Russie...

Lev Ponomarev est un militant politique russe, engagé dans la défense des droits de l'homme, il a été un des créateurs de Memorial...

 

Il est né en 1941, pendant la seconde guerre mondiale, il a connu la fin de Staline, la chute de l'URSS, un début d'ouverture à la démocratie, puis le régime de Poutine.

"Memorial sauvait la réputation de la Russie dans le monde, par exemple, en Allemagne, quand il y a eu la vraie dénazification, les Allemands se sont complètement débarrassés aux yeux du monde entier de leurs nazis, et du sentiment qu'ils sont coupables devant le monde entier. Petit à petit, ils ont perdu ce sentiment de culpabilité.

Et en Russie, cette politique de désoviétisation ou de destalinisation n'a jamais eu lieu...

Lorsqu'on me demande, je dis toujours qu'en fait, le prix Nobel aurait dû être attribué à 3 personnes qui sont en prison : Navalny, Iachine et Kara-Mourza, parce que c'est eux qui l'ont vraiment mérité...

Ce prix Nobel est un geste symbolique, Poutine fait du commerce des otages, ces 3 personnes sont des otages du régime de Poutine.

Donc, par exemple, s'ils avaient eu des prix Nobel, le prix de ces otages aurait augmenté, ce serait beaucoup plus probable qu'ils ne soient pas tués, s'ils avaient eu des prix Nobel.", déclare Lev Ponomarev.

 

Ce prix Nobel a été décerné à Memorial mais aussi à une ONG ukrainienne et à un opposant biélorusse, l'idée était de récompenser trois formes d'opposition de trois sociétés civiles au régime de Poutine.

 

"Memorial c'est pratiquement la seule ONG russe qui a essayé de sauver la Russie de son passé, c'est quasiment la seule ONG qui sauve l'honneur de la Russie"...

 

Tout un peuple a été lobotomisé, privé de sa mémoire, frappé d'amnésie : il faudra continuer ce combat pour lever le voile sur les crimes staliniens...

 

 

Source :

https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4144906-emission-du-lundi-10-octobre-2022.html

 

 

 

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30 septembre 2022 5 30 /09 /septembre /2022 12:41
Manon Lescaut : l'incipit...

 

Le mot "incipit" vient d'un verbe latin à la troisième personne et se traduit par "il commence".

L'incipit désigne donc la ou les premières pages d'un roman... Traditionnellement, l'incipit a deux fonctions essentielles :

- une fonction informative : il s'agit d'informer le lecteur sur les temps, lieux, personnages.

- une fonction attractive : il convient d'inciter le lecteur à poursuivre la lecture, et de susciter sa curiosité...

On retrouve ces deux fonctions dans l'incipit du roman de Prévost : Manon Lescaut...

 

I) Fonction informative dans un récit réaliste :

1) Le narrateur parle à la première personne "je", dès la première phrase : on sait qu'il s'agit du Marquis de Renoncour ( Le roman Manon Lescaut était à l'origine inséré dans un ensemble plus vaste : Les Mémoires d'un homme de qualité.)

Le Marquis évoque sa première rencontre avec les héros de l'histoire : Manon et Des Grieux. Le récit se présente donc comme un véritable témoignage : une façon d'authentifier le récit par l'emploi de la première personne. C'est un témoin fiable, crédible qui s'exprime, un homme de qualité.

2) Des renseignements nous sont donnés sur le cadre : un cadre ordinaire, familier, il s'agit d'une scène de rue où l'on voit la populace, "tous les habitants" se précipiter pour assister à l'arrivée d'un convoi. On perçoit quelques détails réalistes : "mauvaise hôtellerie... deux chariots couverts... des maisons... des chevaux fumants".

3) Le lieu est situé précisément : Pacy sur Eure, une ville réelle située en Normandie.

On relève aussi plusieurs noms propres : "Le Havre de Grâce... Paris (Des Grieux a suivi Manon depuis Paris)... l'Amérique : c'est la destination du convoi.

4) Des allusions à l'actualité de l'époque : la Régence... Une nouvelle colonie avait été récemment conquise par Louis XIV : la Louisiane. Pour la peupler, on avait recours à des déportations forcées de filles de joie, de détenues. Pour encadrer ces convois, on venait de créer un corps spécial de militaires : des "archers" avec un uniforme particulier "une bandoulière et un mousquet."

Ces archers avaient mauvaise réputation : ils étaient cupides, brutaux. Un des archers s'exprime dans un discours direct, ce qui authentifie la scène.

5) Quelques détails réalistes émaillent le récit.

"filles enchaînées... la saleté du linge de Manon... l'hôpital" : il s'agit de l'hôpital de la Salpêtrière qui était à l'époque une prison où l'on enfermait les fous, les mendiants, les filles de joie.

 

II La fonction attractive

1) Prévost attire notre regard par une scène spectaculaire, très visuelle : la populace se précipite pour observer un convoi, une scène intense quasi cinématographique.

Le verbe "voir" est utilisé dès le début de l'extrait. Plus loin, on trouve le mot "spectacle".

Les verbes de mouvement traduisent l'élan de la foule attirée par ce spectacle : "se précipitaient... courir... la populace qui s'avançait... se poussant."

2) La curiosité des gens et du narrateur lui-même (le marquis de Renoncour) renvoie aussi à la curiosité du lecteur comme une mise en abîme : le lecteur s'identifie au narrateur et voit la scène en même temps que lui.

3) Les personnages suscitent aussi notre curiosité : 

Manon a un "air et une figure peu conformes à sa condition", elle ressemble à "une personne de premier rang". Manon se distingue des autres, elle apparaît unique.

Pourtant, Manon n'est pas vraiment décrite, elle reste une énigme, sa beauté est suggérée mais n'est pas détaillée. Elle est souvent associée aux verbes "paraître, sembler".

On connaît seulement l'impression, les sentiments qu'elle produit sur les autres : "je vis quelque chose d'assez touchant... du respect et de la pitié... " On a une connaissance lyrique du personnage qui attire immédiatement la sympathie.

Des Grieux, lui, est présenté par un des archers : c'est l'image même de la passion, de la fidélité, une figure tragique associée à des pleurs. On relève des expressions hyperboliques : "enseveli dans une rêverie profonde... je n'ai jamais vu de plus vive image de la douleur."

Le personnage est décrit aussi en termes élogieux soulignés par des adverbes d'intensité : "un air si fin et si noble". Lui aussi apparaît attirant, énigmatique : il n'est pas décrit précisément.

Les deux héros apparaissent distingués et s'opposent au milieu populaire évoqué au début.

 

III La composition du roman et sa technique

1) En fait, dès le début du roman, le lecteur apprend ce que sera le sort de Manon : elle sera déportée en Amérique : avant de connaître en détail l'histoire d'amour des deux héros, leur rencontre, leurs aventures, on sait en partie ce qui va leur arriver.

Quel est l'effet produit ? Une sorte de fatalité pèse sur les personnages comme dans les tragédies antiques où tout est raconté dans le prologue : on entre tout de suite dans le drame.

2) Le roman au XVIII ème siècle est encore influencé par l'esthétique théâtrale : on trouve dans le roman de nombreux aspects qui font songer à la tragédie classique.

Nous avons là une véritable scène de théâtre tragique : Manon est au centre de la scène, la lumière est concentrée sur elle, tout le monde la regarde : la foule, une vieille femme, l'homme de qualité...

Les autres personnages jouent le rôle de figurants. La vieille femme commente l'action comme le choeur dans les tragédies antiques. On peut noter l'expressivité de ses gestes : "joignant les mains et criant que c'était une chose barbare..."

3) On retrouve dans cet incipit les ressorts essentiels de la tragédie classique : "horreur et compassion", la terreur et la pitié, selon la définition d'Aristote. Les exclamations de la vieille femme soulignent le tragique. 

Comme au théâtre, il y a là tout un art de la préparation et de l'attente. Et bien sûr le style direct utilisé à plusieurs reprises dans cet incipit fait songer aussi à l'art théâtral.

 

 

Cet incipit parvient à intéresser le lecteur avide de connaître le destin de ces deux êtres d'exception dans un convoi de déportés. Manon et Des Grieux sont des héros romanesques fascinants.

Manon incarne la fatalité de la passion : c'est une figure de rêve, une beauté idéale qui rayonne et envoûte...

Le style reste classique : plein de pudeur, de retenue : aucune vulgarité dans l'évocation du convoi.

 

 

 

Le texte :

 "Ayant repris mon chemin par Évreux, où je couchai la première nuit, j’arrivai le lendemain pour dîner à
Pacy, qui en est éloigné de cinq ou six lieues. 
Je fus surpris en entrant dans ce bourg, d'y voir tous les habitants en alarme. Ils se précipitaient de leurs maisons pour courir en foule à la porte d'une mauvaise hôtellerie, devant laquelle étaient deux chariots couverts. Les chevaux, qui étaient encore attelés et qui paraissaient fumants de fatigue et de chaleur, marquaient que ces deux voitures ne faisaient qu'arriver. Je m'arrêtai un moment pour m'informer d'où venait le tumulte ; mais je tirai peu d'éclaircissement d'une populace curieuse, qui ne faisait nulle attention à mes demandes, et qui s'avançait toujours vers l'hôtellerie, en se poussant avec beaucoup de confusion. Enfin, un archer revêtu d'une bandoulière, et le mousquet sur l'épaule, ayant paru à la porte, je lui fis signe de la main de venir à moi. Je le priai de m'apprendre le sujet de ce désordre. Ce n'est rien, monsieur, me dit-il ; c'est une douzaine de filles de joie que je conduis, avec mes compagnons, jusqu'au Havre-de-Grâce, où nous les ferons embarquer pour l'Amérique. Il y en a quelques-unes de jolies, et c'est apparemment ce qui excite la curiosité de ces bons paysans. J'aurais passé après cette explication, si je n'eusse été arrêté par les exclamations d'une vieille femme qui sortait de l'hôtellerie en joignant les mains, et criant que c'était une chose barbare, une chose qui faisait horreur et compassion. De quoi s'agit-il donc ? lui dis-je. Ah ! monsieur, entrez, répondit-elle, et voyez si ce spectacle n'est pas capable de fendre le cœur ! La curiosité me fit descendre de mon cheval, que je laissai à mon palefrenier. J'entrai avec peine, en perçant la foule, et je vis, en effet, quelque chose d'assez touchant. Parmi les douze filles qui étaient enchaînées six par six par le milieu du corps, il y en avait une dont l'air et la figure étaient si peu conformes à sa condition, qu'en tout autre état je l'eusse prise pour une personne du premier rang. Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits l'enlaidissaient si peu que sa vue m'inspira du respect et de la pitié. Elle tâchait néanmoins de se tourner, autant que sa chaîne pouvait le permettre, pour dérober son visage aux yeux des spectateurs. L'effort qu'elle faisait pour se cacher était si naturel, qu'il paraissait venir d'un sentiment de modestie. Comme les six gardes qui accompagnaient cette malheureuse bande étaient aussi dans la chambre, je pris le chef en particulier et je lui demandai quelques lumières sur le sort de cette belle fille. Il ne put m'en donner que de fort générales. Nous l'avons tirée de l'Hôpital, me dit-il, par ordre de M. le Lieutenant général de Police. Il n'y a pas d'apparence qu'elle y eût été renfermée pour ses bonnes actions. Je l'ai interrogée plusieurs fois sur la route, elle s'obstine à ne me rien répondre. Mais, quoique je n'aie pas reçu ordre de la ménager plus que les autres, je ne laisse pas d'avoir quelques égards pour elle, parce qu'il me semble qu'elle vaut un peu mieux que ses compagnes. Voilà un jeune homme, ajouta l'archer, qui pourrait vous instruire mieux que moi sur la cause de sa disgrâce ; il l'a suivie depuis Paris, sans cesser presque un moment de pleurer. Il faut que ce soit son frère ou son amant. Je me tournai vers le coin de la chambre où ce jeune homme était assis. Il paraissait enseveli dans une rêverie profonde. Je n'ai jamais vu de plus vive image de la douleur. Il était mis fort simplement ; mais on distingue, au premier coup d'oeil, un homme qui a de la naissance et de l'éducation. Je m'approchai de lui. Il se leva ; et je découvris dans ses yeux, dans sa figure et dans tous ses mouvements, un air si fin et si noble que je me sentis porté naturellement à lui vouloir du bien. Que je ne vous trouble point, lui dis-je, en m'asseyant près de lui. Voulez-vous bien satisfaire la curiosité que j'ai de connaître cette belle personne, qui ne me paraît point faite pour le triste état où je la vois ? Il me répondit honnêtement qu'il ne pouvait m'apprendre qui elle était sans se faire connaître lui-même, et qu'il avait de fortes raisons pour souhaiter de demeurer inconnu. Je puis vous dire, néanmoins, ce que ces misérables n'ignorent point, continua-t-il en montrant les archers, c'est que je l'aime avec une passion si violente qu'elle me rend le plus infortuné de tous les hommes."

Extrait de la première partie de Manon Lescaut - L'abbé Prévost


 

 

Manon Lescaut : l'incipit...
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16 septembre 2022 5 16 /09 /septembre /2022 11:54
Le registre tragique...

 

Le registre tragique est, à l'origine, propre à la tragédie grecque : ce genre littéraire est né dans la Grèce antique au cinquième siècle avant J. C., avec des auteurs célèbres : Eschyle, Sophocle, Euripide...

 

La tragédie a connu aussi un grand succès en France, au 17 ème siècle : Racine, Corneille se sont illustrés dans ce genre théâtral.

 

Mais on peut également trouver ce registre tragique dans le roman, la nouvelle, la poésie.

 

Quelles en sont  les caractéristiques ?

Souvent, le niveau de langue utilisé est soutenu et noble car la tragédie met en scène des rois, des princes... périphrases, métaphores contribuent à donner un ton solennel au texte.

 

Mais le style peut être aussi familier ou courant, dans un roman, par exemple.

Dans un texte de prose, l'auteur peut utiliser des phrases ou des membres de phrases comportant 12 syllabes qui font songer à des alexandrins, les vers employés dans la tragédie classique. C'est ce que l'on nomme "des vers blancs".

Des exclamations, des interrogations, des apostrophes, des invocations, des implorations viennent souligner le désarroi, la souffrance, l'émotion...

Des jeux d'opposition, des antithèses, des parallélismes, des hyperboles, des chiasmes accentuent le déchirement du héros confronté à des décisions ou à des choix contradictoires, obligé de résoudre des dilemmes.

 

Les thèmes associés au tragique sont le mal, la fatalité, la mort...

Le héros tragique est victime d'une puissance qui le dépasse : un destin inéluctable, une fatalité qui pèse sur lui, c'est ce qu'on appelle aussi d'un terme latin, le "fatum".

 

Ce destin peut être représenté par des forces surnaturelles : des dieux, une hérédité ou une malédiction familiale, ou des passions irrépressibles, ou par un autre personnage qui symbolise le tragique.

Le héros subit souvent des passions dévastatrices, comme l'amour, la jalousie, il est exposé à la mort.

Quel est l'effet produit ?

Selon la définition d'Aristote, le tragique doit susciter "la terreur et la pitié."

Il peut provoquer aussi l'admiration à l'égard du héros qui est mis en scène.

 

 Phèdre est l'héroïne tragique, par excellence : soumise à la fatalité, à une lourde hérédité, à une malédiction divine, elle éprouve une passion irrépressible, un amour interdit pour son beau fils Hippolyte.

On connaît ce vers célèbre de la pièce de Racine "C'est Vénus toute entière à sa proie attachée..." : la déesse de l'amour poursuit Phèdre de sa haine, car elle est la "brillante", la petite fille du dieu Soleil qui avait dévoilé les amours coupables de Vénus et d'Arès. (En grec ancien "Φαίδρα / Phaídra",  signifie "Brillante".) 

Phèdre est ainsi soumise à une malédiction qui la dépasse et qui pèse sur elle et toute sa famille.

 

Un extrait de Phèdre...

Phèdre, Racine
Acte I, scène 3, L’aveu de Phèdre 

Phèdre
 Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;

 Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
 Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :
 Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer.
J’offrais tout à ce dieu, que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein, et des bras paternels.
Je respirais, Œnone. Et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence ;
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
 De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J’ai revu l’Ennemi que j’avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus toute entière à sa proie attachée.

 

 

 

 

 

Le registre tragique...
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5 août 2022 5 05 /08 /août /2022 10:11
Un délicieux moment : archiluth et violon au programme...

 

Un délicieux moment passé avec cette violoniste et ce joueur de luth... un duo talentueux qui nous a offert un bien joli moment musical...

Elle, c'est Caroline Menuge, spécialiste de musique ancienne, lui, c'est Ondřej Jaluvka : il est né au coeur de la Moravie. A l’âge de quatre ans, il chante et danse avec la troupe folklorique Hradišťánek. Il est impliqué dès l’âge de 14 ans dans de nombreux concerts.
Il a approfondi son jeu au luth au conservatoire et à l’Université Palacký d’Olomouc (Master d’Anglais et de Musique), au Staatliche Hochschule für Musik de Trossingen, en Allemagne et au Conservatoire Supérieur de Lyon...

 

Ce joueur de luth et cette violoniste sont sans cesse à la recherche de nouveaux horizons musicaux, naviguant de la musique baroque au heavy métal. La sensibilité de leur jeu laisse émerger des parfums du folklore morave.

 

On écoute d'abord la Suave Melodia, de Falconieri, une mélodie très populaire en Italie...

Puis, Ondřej Jaluvka interprète et mime une chanson moldave : l'amour y est comparé à une fleuve qui passe, s'écoule...

La passacaille qui suit est l'oeuvre d'un compositeur Tchèque...

 

On est ébloui encore par un air de Nicola Mattéis, compositeur napolitain du 17ème siècle...

 

Une douce musique aussi avec un air de Merula, compositeur italien du 17ème siècle...

 

Enfin, un air célèbre : Se l´aura spira de Frescobaldi... une fillette improvise alors une chorégraphie emplie de fraîcheur sur cette musique...

 

La douceur du luth ! Sa beauté sonore brillante et délicate ! Un enchantement !

 

"Apparu en Perse et en Egypte, le luth est sans doute le plus beau cadeau que la civilisation islamique ait fait à l'Occident chrétien... Peu puissant, apaisant, intimiste, ses vertus sont légendaires : dans la Bible, David en joue pour soulager le roi Saül qui souffre de dépression...", écrit le journaliste Emmanuel Tresmontant, dans un article paru sur Marianne.

 

"L'instrument charme également par son apparence : une caisse de résonance en forme de poire, sa table souvent ornée d'une rosace sculptée, le manche strié de fines tiges d'ivoire incrusté.", commente encore le journaliste.

"Sacré "roi des instruments à cordes pincées", c'est le plus représenté par les peintres italiens (Le Caravage), français (Georges de La Tour), espagnols (Vélasquez) et flamands (Vermeer)."

 

 

 

 

https://lepoissonreveur.typepad.com/le_poisson_reveur/2009/09/insaisissable-et-fascinant-nicola-matteis.html

 

 

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