Comment restituer le mouvement léger et doux de la neige ? Comment évoquer toute la mélancolie, la beauté et l'élégance de la neige ? Jacques Brel nous fait voir et ressentir ce lent tourbillonnement, dans une de ses chansons, Il neige sur Liège...
Les sonorités de chuintante "g" réitérée ainsi que la répétition de la voyelle "é" traduisent cette délicatesse, cette harmonie, ce ballet incessant des flocons.
La neige personnifiée "met des gants", devient une entité, l'image d'une jolie femme qui revêt une parure...
Et la Meuse devient "croissant noir" sur le "front d'un clown blanc"... le poète dessine des images nouvelles suscitées par la neige, nous en faisant percevoir toute la beauté dans le jeu des contrastes.
Le poète nous fait aussi entendre l'effacement des bruits sous la neige... Il parvient, ainsi, à nous faire ressentir une atmosphère, la présence de la neige...
"Il est brisé le cri
Des heures et des oiseaux
Des enfants à cerceaux
Et du noir et du gris..."
Il mêle d'ailleurs, dans cette évocation, la sensation auditive et la sensation visuelle : tout s'estompe sous les flocons : les sons, mais aussi, toutes les couleurs sombres de la ville de Liège...
Ainsi, la neige semble apaiser les douleurs symbolisées par le mot "cri", par les couleurs "noir et gris".
Le fleuve lui-même traverse la ville "sans bruit", comme si son cheminement était soudain interrompu, tout paraît s'arrêter sous la neige..
Le poète joue habilement de la paronymie des mots "neige, Liège", qui riment et se ressemblent : la répétition de ces mots semble mimer la chute tourbillonnante des flocons...
Dans ce paysage, tout se confond, le ciel, la terre... Et cette confusion est marquée par une incertitude : "on ne sait plus..."
"Et tant tourne la neige entre le ciel et Liège
Qu'on ne sait plus s'il neige s'il neige sur Liège
Ou si c'est Liège qui neige vers le ciel"...
La neige qui unit le ciel et la terre est ensuite associée à l'union des amants débutants que la neige "marie"... une nouvelle harmonie qui apparaît dans cette évocation.
Dans la dernière phrase, l'emploi de l'adjectif possessif de la première personne," il neige sur mes rêves", nous montre le poète isolé, à l'inverse de ces amants unis par la neige... Le moment "ce soir" évoque bien, aussi, la solitude associée souvent à la tombée du jour...
Les rêves semblent inaboutis, et on perçoit une sorte de blessure dans ces mots : " sur Liège Que le fleuve transperce sans bruit..."
La mélodie monotone traduit bien toute la mélancolie des paysages transformés par la neige...
https://youtu.be/dCX9n8jJiMc