Dans une interview accordée au journal Fakir, évoquant le phénomène Nuit debout, Emmanuel Todd se livre, une fois de plus, à une déclaration plutôt hasardeuse.
Opposant les jeunes et les vieux, dans un schéma simpliste, il a notamment affirmé :
"Enfin ! La société française est sous la coupe des vieux et des banques. Non seulement pour les richesses, mais pour le pouvoir surtout : le suffrage universel devient un mode d’oppression des jeunes par les vieux, qui décident d’un avenir qu’ils n’auront pas à habiter. Je milite pour la mise à mort de ma génération. Donc, l’idée d’un territoire libéré, à la fois des vieux et des banques, ça ne me déplait pas. C’est pour cette raison que l’éviction de Finkielkraut m’est apparue comme une bonne nouvelle. Jusqu’ici, je trouvais les jeunes trop gentils, au vu de la domination qu’ils subissaient."
On perçoit, là, une forme de provocation, sans doute, mais aussi une opposition caricaturale et dangereuse entre jeunes et vieux : les conflits de génération ont toujours peu ou prou existé, mais il paraît maladroit de les souligner en ces termes, comme si les "vieux" détenaient toutes sortes de privilèges.
Ainsi, s'il est vrai que le chômage touche les jeunes, il n'en affecte pas moins les personnes plus âgées...
Je songe, par exemple, à ce témoignage d'une secrétaire de direction, expérimentée et diplômée qui galère, depuis 8 ans, pour essayer de retrouver du travail, un témoignage diffusé lors du journal de 20 heures sur France 2, mercredi 4 mai.
Et les exemples de ces chômeurs et chômeuses de plus de 55 ans sont légion...
La crise vaut pour tous, hélas : d'ailleurs, les personnes âgées ont elles-mêmes des enfants, des petits enfants et se sentent concernées par le sort qui leur est réservé.
Souvent, la solidarité joue : les parents ont à coeur d'aider les jeunes en difficulté, quand ils le peuvent.
Les vieux, les jeunes... ces distinctions sont absurdes et n'ont pas de sens : les jeunes d'aujourd'hui seront les vieux de demain, et s'ils rencontrent des difficultés, ils bénéficient, aussi, de progrès considérables : internet leur offre toutes sortes de possibilités que les personnes âgées n'ont pas connues.
De tels clivages ne sont pas cohérents.
Si certains vieux détiennent richesses et pouvoir, les jeunes bénéficient, pour la plupart, d'un confort inégalé qui n'existait pas dans les années cinquante ou soixante.
Il ne faut pas oublier, aussi que beaucoup de personnes d'un certain âge sont déjà affectées par le recul de l'âge de la retraite.
Quant à l'éviction d'Alain Finkielkraut de Nuit debout, si c'est une bonne nouvelle pour Emmanuel Todd, on ne peut que le regretter.
Cette éviction s'est faite sous des insultes, des injures dégradantes et indignes.
Et elle ne peut, en aucun cas, grandir ceux qui s'y sont prêtés.
Alors que les insultes prennent de l'ampleur, un peu partout, sur la toile et ailleurs, alors que les insultes remplacent souvent les arguments, il convient de les condamner...
Que peut-on, donc, retenir des affirmations d'Emmanuel Todd ?
La primauté des banques, le pouvoir de l'argent qui sont scandaleux... c'est indéniable et Emmanuel Todd les fustige, à juste titre.
Mais, pour le reste, il vaut mieux oublier cette déclaration du sociologue, car, en se livrant à des oppositions caricaturales, Emmanuel Todd ne fait pas vraiment progresser le débat.
Voulant soutenir le mouvement Nuit debout, il use d'une argumentation simpliste : s'il a raison de dénoncer le pouvoir de l'argent, sa réflexion paraît néanmoins bien sommaire et réductrice.
La déclaration d'Emmanuel Todd :
http://www.fakirpresse.info/emmanuel-todd-nuit-debout-contre-le-grand-vide
Le reportage du journal de 20 heures sur France 2 :
http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/recherche-d-emploi-les-difficultes-d-une-senior_1435910.html
Une chanson de Brassens :
https://youtu.be/KJECg66AgGY