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6 mai 2020 3 06 /05 /mai /2020 10:51
Est-ce que ce monde est sérieux ?

 

Comment dire la barbarie de la corrida ? Comment restituer la souffrance de l'animal voué à être sacrifié dans l'arène ?

Francis Cabrel a fait le choix judicieux de nous faire entendre les pensées d'un taureau qui s'exprime à la première personne : il personnifie l'animal qui retrouve ainsi toute sa dignité et toute sa noblesse.

 

Le poète nous fait voir le taureau, au moment même où il va entrer dans l'arène, enfermé, isolé dans une "chambre noire", un lieu effrayant alors que l'animal perçoit des bruits de fête au bout du couloir : le contraste est saisissant entre l'obscurité et la gaieté de l'ambiance créée par les hommes : "on s'amuse, on chante... les fanfares"....

Le contraste est saisissant aussi entre la solitude du taureau et la foule compacte représentée par le pronom indéfini "on" et plus loin par le mot au pluriel : "les fanfares".

L'animal est assailli de sensations, visuelles, auditives, particulièrement intenses : "la chambre noire", puis "le grand jour", le bruit du "verrou", les chants de la foule.

Et tout d'un coup, après une longue attente, le taureau découvre brutalement "le grand jour"...

 

On entre alors dans les pensées de l'animal, qui évoluent vers la compréhension de la situation : il est acculé, obligé d'avancer dans l'arène et d'affronter cette "danseuse ridicule"...

Le torero désigné par cette métaphore est dévalorisé et rabaissé grâce à l'emploi du féminin. Vêtu de son costume clinquant, il se réduit à une image grotesque.

 

Dès lors, l'animal n' a plus qu'une solution : avancer, combattre.

La question réitérée : "Est-ce que ce monde est sérieux ?" montre bien l'absurdité de la situation à laquelle est confronté le taureau : des gens qui se réjouissent d'un combat à venir.

 

L'animal évoque ensuite son pays d'origine l'Andalousie et ses "prairies bordées de cactus"... pour se donner du courage face à l'adversaire désigné encore par des termes péjoratifs : "ce pantin, ce minus".

L'homme est d'ailleurs mis sur le même plan que son chapeau dans l'expression : "lui et son chapeau", il est ainsi ravalé au rang d'objet, méprisable.

 

Et on perçoit la hargne de l'animal acculé à combattre : "Je vais l’attraper, lui et son chapeau
Les faire tourner comme un soleil..."

Et de rajouter avec une assurance marquée par l'emploi du futur :

"Ce soir la femme du torero
Dormira sur ses deux oreilles..."

 

Mais le voilà frappé et terrassé par des coups violents, contraint de "s'incliner".

Et à nouveau, l'animal ne comprend pas qui sont ces êtres qui l'entourent : il pose une question dénonciatrice : les toreros sont assimilés à des "acrobates, Avec leurs costumes de papier" et aussi à des "poupées".

Ces métaphores, cette féminisation les discréditent et les ridiculisent à nouveau.

"Ils sortent d’où ces acrobates
Avec leurs costumes de papier?
J’ai jamais appris à me battre
Contre des poupées..."

 

Face à la douleur, seul le sable de l'arène réconforte l'animal, ainsi que le souvenir de son Andalousie natale.

On le voit aussi "prier pour que tout s'arrête."

 

Le dernier couplet met en scène la mort en direct du taureau avec des contrastes poignants qui soulignent la cruauté dont sont capables les humains : le rire, la danse devant la mort.

"Je les entends rire comme je râle
Je les vois danser comme je succombe
Je pensais pas qu’on puisse autant
S’amuser autour d’une tombe."

 

Le texte s'achève avec ces paroles en espagnol, une invitation à danser encore autour de la mort des taureaux, comme une tradition qui se perpétue inlassablement :

"Si, si hombre, hombre
Baila, baila

Hay que bailar de nuevo
Y mataremos otros
Otras vidas, otros toros
Y mataremos otros
Venga, venga a bailar...
Y mataremos otros

Oui, oui mec
Danse, danse
Faut danser de nouveau
Et nous en tuerons d’autres
D'autres vies, d'autres taureaux
Et nous en tuerons d'autres
Allez viens
Venez, venez danser… "

 

La mélodie d'abord sombre, ténébreuse restitue bien la cruauté de la corrida, puis elle s'anime au rythme de la fête, et s'emporte pour évoquer l'agonie terrible de l'animal.

Cette dénonciation de la tauromachie met bien en évidence la violence des hommes, leur inconscience face à la douleur, leur mépris du vivant.

 

Le texte :

 

https://www.paroles.net/francis-cabrel/paroles-la-corrida

 

 

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commentaires

M
Électrochocs, amputation des cornes et partiellement éborgné, la liste serait peut-être trop longue !
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M
“Profondément religieux”
Répondre
M
Bonjour Rosemar, s’ils n’ont que des regards tristes et doux aux contours merveilleux d’un grand rêve, l’esprit ridés et vieillissant, le dos courbés, dès leur jeunesse les premières larmes; c’est qu’ils sauront affronter une mort injuste,finir dans d’étranges assiettes, dos et nuque brisée, drogués d’extraits de caféine et de viagras, devant l’homme agenouillé et profondément en donnant la mort. Bonne journée à tous.
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R
Et, en plus, les taureaux sont drogués avant d'être blessés, torturés et tués ? C'est terrible...<br /> <br /> Bonne soirée, Michel
A
"Certains disent que c'est un "beau spectacle" ? Je ne vois rien de beau si ce n'est la musique, les costumes"...Il en va des corridas comme des matchs de foot, il y en a de très bons, des moyens et des franchement nuls. Pour éviter les malentendus oublions deux secondes la souffrance de l'animal aussi injustifiable pour toi que pour moi et attachons nous uniquement sur l'aspect esthétique. C' est évident qu'il y a une recherche du geste, de la perfection, du mouvement, de l'instant arrêté... Pour qu'il y ait une grande corrida il faut 2 ingrédients : un grand torero en face d'un grand taureau...Chaque toréro possède son style avec lequel il va tenter un ballet de la mort avec l' animal. Le toréro va ralentir le temps pour créer un art du mouvement à deux. Le grand toréro provoquera par ses figures exécutées avec la muleta des frissons dans le public. Ces moments ne peuvent se répéter et sont par essence uniques...De la même manière qu'au foot il y a des supporters fans du jeu de telle ou telle équipe, il y a chez les aficionados des supporters du style de tel ou tel toréro. C' est un monde en soi, un univers à part dans lequel tout tourne autour de l'esthétique. Un univers cruel aussi pour les toréros car s'ils trichent avec l' animal ils seront conspués...Evidemment on peut être insensible a`cette esthétique-là de la même manière que d'autres le sont à celle du foot, ou du ballet classique. On peut être insensible à l'esthétique mais on ne peut la nier car elle est la substance même de ce spectacle.
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R
Recherche du geste, du mouvement, de la perfection ? Mais le sang qui coule, l'animal qui bave de souffrance, qui est blessé, affaibli, avant d'être tué... c'est esthétique ? Non, sûrement pas... Au foot, dans un ballet, il n' y a pas de violence qui aboutisse à la mort...
A
C'est sans doute le meilleur texte anti-taurin qui ait été écrit, un texte qui adopte le point de vue de l'animal et qui fustige le mépris humain pour sa souffrance. <br /> Il y a toute une culture, toute une esthétique qui tourne autour de la corrida qui ne peut se résumer à un simple acte de barbarie. La corrida brise un tabou car c'est l'expression sacrée d'un spectacle collectif organisé autour d'une mise à mort qui est ritualisée de manière très "liturgique" avec ses 3 tercios. Il y a une mise à mort certes, mais celui qui va la donner devra faire preuve d'art et de bravoure sinon il sera hué.<br /> Il faut savoir comprendre la corrida (qui fait partie de notre histoire culturelle et de notre patrimoine, que ça nous plaise ou pas) tout en la condamnant aujourd'hui car, d'un point de vue éthique, elle n'est plus soutenable ni conforme à nos valeurs.<br /> Bonne journée l' amie<br /> PS: Je ne peux m' empêcher de rappeler, non pas en guise de justification mais afin de critiquer certaines hypocrisies, qu'un taureau de combat mène une vie en liberté dans des grandes haciendas afin d' acquérir une bonne condition physique, et qu'en cela sa vie est bien plus préférable à celle des 7 milliards d'animaux abattus chaque année pour notre consommation.
Répondre
R
Le problème de la corrida, c'est que la mort est érigée en spectacle, ainsi que la souffrance de l'animal : le taureau blessé, terrassé, ensanglanté, mordant la poussière... c'est terrible. Certains disent que c'est un "beau spectacle" ? Je ne vois rien de beau si ce n'est la musique, les costumes...<br /> Ceci dit, il est vrai que les animaux d'élevage sont aussi parfois abattus dans des conditions déplorables, ce qui est inadmissible.<br /> <br /> Belle soirée, AJE
P
Une belle chanson militante mais à la versification boiteuse. C'est peut être volontaire.
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R
Je ne trouve pas que la versification soit boiteuse ? A moins d'être un puriste de la versification...
L
J'ai voulu savoir qui chante en espagnol à la fin et j'ai trouvé...<br /> <br /> « La Corrida » est une chanson de Francis Cabrel, incluse dans l'album « Samedi soir sur la Terre, sorti en 1994 ». Elle est écrite par Francis Cabrel ; Nicolas Reyes des Gipsy Kings a participé à l'enregistrement pour les chants en espagnol de la chanson. Cette chanson marque l'opposition du chanteur à la corrida.
Répondre
R
Merci pour cette autre version que je ne connaissais pas : une belle intro à la guitare...
R
Merci pour cette précision...
L
J'ai écouté aussi la version chantée avec Idir, qui vient de nous quitter...<br /> <br /> https://youtu.be/zspXEWgLHN0