Une chanson consacrée à la figure d'un père qu'on aurait dû mieux aimer, c'est, au fond, l'histoire de chacun d'entre nous...
Comment ne pas être sensible à la vérité de cette chanson ? Souvent, on ne voit pas les êtres qui vivent à côté de nous, on n'y prête pas assez attention.
Le souvenir d'un père, "au vieux pardessus râpé", hante le poète : associé au verbe "aller", aux saisons contrastées que sont l'hiver et l'été, ce père est l'image d'un ouvrier qui travaille dur, pour gagner sa "graine", c'est bien l'image d'un gagne-petit, qui se léve dans le "petit matin frileux".
L'adjectif "frileux", associé au matin, dans un hypallage, suggère toute la rudesse de l'hiver et du monde du travail.
On perçoit une vie faite d'adversité et de dénuement : un seul jour de repos, le dimanche, des vacances qui se réduisent à "aller voir la mer".
On voit, aussi, le quotidien du personnage : un quotidien morne, "le même autobus de banlieue pris pendant des années", le retour du boulot et le silence dû à la fatigue, à un univers monotone... L'emploi de l'imparfait à valeur itérative, tout au long du texte, restitue cette monotonie : "il s'en allait, on allait voir la mer, il s'asseyait, on ne recevait, il rentrait, on connaissait la chanson, y'avait pas la télé, j'allais chercher."
Et même les dimanches sont faits d'ennuis, dans ce monde où les distractions sont limitées : "on ne recevait jamais personne".
"Les jours de paye" sont, ensuite évoqués, mais sont, aussi, l'occasion de soucis et de révoltes contre les "bourgeois, les patrons", contre celui qu'on appelle "le bon dieu".
Le poète regrette d'avoir fui ce père, cette maison où "il n'y avait pas la télé", pour rechercher à l'extérieur une évasion...
Le père et le fils ne se sont pas regardés, pendant des années... Et le regret transparaît à travers l'emploi des conditionnels :
"J´aurais pu c´était pas malin
Faire avec lui un bout d´chemin
Ça l´aurait p´t´-êt´ rendu heureux
Mon vieux. "
Et l'auteur en vient à évoquer l'adolescence, la jeunesse, une période où "l'on n'a pas le coeur assez grand..."
Quelle vérité dans ces propos !
Le texte, écrit dans un langage courant et familier, restitue bien un univers familial simple, le milieu ouvrier : "la graine, le boulot, gueuler, c'est con, la télé, toutes ces choses là..."
L'emploi d'octosyllabes réguliers traduit la monotonie, l'ennui de cette vie de pauvreté et de travail.
Le poème ponctué par l'apostrophe récurrente "mon vieux", un peu familière et péjorative, semble montrer toute la distance qui sépare le père et le fils.
A la fin du texte, le mot "papa" apparaît, enfin, comme une ultime reconnaissance, accompagnée du regret de l'absence, ce que souligne encore l'utilisation du conditionnel : "j'aimerais."
C'est en 1962 que Michelle Senlis a écrit ce texte "Mon vieux", en hommage à son père, Jean Ferrat l'a mis en musique en 1963. La chanson a été reprise, ensuite, par Daniel Guichard.
Photos : Christelle