Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 novembre 2015 3 11 /11 /novembre /2015 10:39
Pour dénoncer l'ignominie de la guerre...

 

 

 

La guerre : voilà un mot aux sonorités évocatrices de toutes les horreurs qu'elle génère...Des gutturales pleines d'âpretés viennent souligner l'atrocité des conflits qui ont traversé l'histoire, et qui persistent encore, dans nombre de pays...

Gutturale initiale, gutturales "r" redoublée, ce mot décrit la dureté des combats, la cruauté des adversaires qui s'opposent...

Une des plus cruelles fut, sans doute, la guerre de 14, celle qu'on appela "la grande guerre", celle qui vit, pour la première fois, l'apparition d'armes terribles, les gaz de combat qui annihilaient les soldats, infectaient, brûlaient et anéantissaient leurs poumons...

Une guerre qui a fait des millions de morts, des millions de mutilés, des millions de victimes, des jeunes gens, souvent...

Une guerre qu'on ne peut et qu'on ne doit pas oublier : nos grands parents ont connu cette guerre tragique, ils ont combattu dans les tranchées.
Une guerre dévastatrice, une guerre ignoble par toutes les atrocités et les destructions commises.

Une guerre dénoncée par de grands écrivains : on se souvient des pages écrites par Barbusse, Céline, Giono, des pages qui dénoncent un monde inhumain, où l'homme est transformé en girouette, en objet, et devient une marionnette...

Barbusse, dans Le Feu, met en évidence le désarroi des soldats face à des armes destructrices qui semblent s'animer, les objets personnifiés deviennent autonomes, et l'homme se trouve réduit à néant...


"Il y a quatre nuits qu’ils ont été tués ensemble... Nous étions de patrouille... Vers minuit, on est sorti de la tranchée, et on a rampé sur la descente, en ligne, à trois ou quatre pas les uns des autres et on est descendu ainsi très bas dans le ravin, jusqu’à voir, gisant devant nos yeux, le talus international. Des balles sifflaient autour de nous, mais elles nous ignoraient, ne nous cherchaient pas... L’un de nous s’est retourné, en bloc et son fourreau de baïonnette a sonné contre une pierre. Aussitôt une fusée a jailli en rugissant du boyau international. Alors une mitrailleuse placée de l’autre côté du ravin a balayé la zone où nous étions... J’ai vu quatre cadavres... Chacun d’eux contenait plusieurs blessures à côté l’une de l’autre, les trous des balles distants de quelques centimètres... Barque et Biquet sont troués au ventre, Eudoxe à la gorge... Lamuse a eu l’épaule droite hachée par plusieurs balles et le bras ne tient plus que par des lanières d’étoffe de la manche et des ficelles qu’on y a mises... Un nuage de pestilence commence à se balancer sur les restes de ces créatures avec lesquelles on a si étroitement vécu, si longtemps souffert."



Dans un extrait de son oeuvre, Le grand troupeau, Giono oppose, quant à lui, une nature bienveillante aux destructions de la guerre et la nature elle-même subit les affres des tourments de la guerre...


"Le jour est venu tout d'un coup. Le mont Kemmel fume de tous côtés comme une charbonnière. On est le long d'une route de saules : des saules déjà touchés de printemps ; des bourgeons de belle amitié qui s'ouvrent.
Les balles claquent dans les branches ; la peau d'herbe est toute blessée. L'étang doucement s'en va, on le voit s'en aller dans les trous et puis s'enfoncer dans la terre.
Des vols d'obus passent, s'abattent, sautent, arrachent des branches, rugissent sous la terre, se vautrent dans la boue, puis tournent comme des toupies et restent là. On creuse à la pelle de trou à trou. On a tout le temps dans les jambes cet étang qui veut s'en aller, et qui coule tantôt d'ici, tantôt de là, sans savoir. On le repousse, on le frappe, il revient, il geint. On le frappe à coups de pelle. Un obus se plante là tout près. On se couche sur l'étang et, tout de suite, il se met à lécher l'homme tout du long, des genoux à la figure avec sa langue froide.
Là-haut à trois cents mètres, on voit un moulin. Un peu à gauche, un petit tas de pierres. C'était un pigeonnier."



Dans le Voyage au bout de la nuit, Céline stigmatise, aussi, l'inhumanité de la guerre, la rage des hommes, quand ils se livrent des combats sans pitié.


"Le vent s'était levé, brutal, de chaque côté des talus, les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient de là-bas sur nous. Ces soldats inconnus nous rataient sans cesse, mais tout en nous entourant de mille morts, on s'en trouvait comme habillés. Je n'osais plus remuer.
Ce colonel c'était donc un monstre ! A présent, j'en étais assuré, pire qu'un chien, il n'imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu'il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l'armée d'en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? Dés lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment ...Pourquoi s'arrêteraient-ils ? Jamais, je n'avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.
Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? Pensais-je. Et avec quel effroi !...Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en auto, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage ( ce que les chiens ne font pas ), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique."


Enfin, Giono montre les ravages de la guerre dans l'esprit humain, les séquelles qu'elle laisse, de manière irréversible...

"Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur.... Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L’horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque. J’ai été soldat de deuxième classe dans l’infanterie pendant quatre ans, dans des régiments de montagnards. Avec M. V., qui était mon capitaine, nous sommes à peu prés les seuls survivants de la 6ème compagnie. Nous avons fait les Eparges, Verdun-Vaux, Noyons-Saint-Quentin, le Chemin des Dames, l’attaque de Pinon, Chevrillon, le Kemmel. La 6ème compagnie a été remplie cent fois et cent fois d’hommes. La 6ème compagnie était un petit récipient de la 27ème division comme un boisseau à blé. Quand le boisseau était vide d’hommes, enfin quand il n’en restait plus que quelques-uns au fond, comme des grains collés dans les rainures, on le remplissait de nouveau avec des hommes frais. On ainsi rempli la 6ème compagnie cent fois et cent fois d’hommes. Et cent fois on est allé la vider sous la meule. Nous sommes de tout ça les derniers vivants, V. et moi."


Tous ces témoignages, tous ces récits nous montrent l'ignominie de la guerre : que les hommes prennent conscience de ces abominations, que les nouvelles générations méditent ces messages, afin que ce mot terrible "la guerre" puisse, un jour, disparaître et s'effacer des réalités du monde...

La guerre est la plus grande défaite de l'homme, elle anéantit les corps, les âmes, les esprits, elle détruit l'humanisme, elle s'attaque souvent, aussi, à des victimes civiles innocentes et fragiles, des enfants, des femmes, des vieillards...


 
Autres articles sur ce sujet :


http://rosemar.over-blog.com/article-la-guerre-la-plus-grande-defaite-de-l-homme-124985982.html

http://rosemar.over-blog.com/article-a-l-encontre-du-vieil-homere-123645631.html

 

http://rosemar.over-blog.com/article-quand-des-enfants-meurent-124194067.html

Pour dénoncer l'ignominie de la guerre...
Partager cet article
Repost0

commentaires

A
Je ne connaissais pas ces textes de Barbusse et de Giono sur la guerre de 14.Ce sont des témoignages terribles, sans appel...<br /> Le texte de Céline est celui que me touche le plus.Son anti-héros est pris de panique devant tant de stupidité et d' imbécilité profonde...On a beaucoup d' empathie pour lui car on se dit que notre réaction à nous serait très proche de la sienne...Si nous vivions une telle situation nous aurions l' impression d' être pris en otage par une secte-suicide dont les chefs n' auraient plus vraioment de cerveau et obéiraient à une hierarchie complètement débile et déconnectée de la réalité...!!!! Un monde absurde et barbare où on ne retrouve plus ses références humaines.<br /> Bonne fin de soirée l' amie et merci pour ces textes à lire et à relire...
Répondre
R
Le texte de Céline met bien en évidence la folie furieuse de la guerre, en effet : tout l'art de Céline et son style qui nous emporte dans la fureur de la guerre, comme dans un tourbillon...<br /> <br /> Belle soirée, AJE
F
Une belle idée Rosemar que de mettre tous ces auteurs à l'honneur en ce jour du 11 novembre.<br /> J'ai lu "Le grand troupeau" il y a longtemps et j'avais vraiment beaucoup aimé ce livre.<br /> On reproche souvent l'esprit pacifiste qui régnait avant 40 mais on doit aussi le comprendre, se remettre dans la situation de l'époque. Tous ces gens qui avaient connu l'horreur du de la Grande Guerre n'e voulaient pas revivre ça. Pour eux tout était bon pour croire qu'on pouvait éviter une nouvelle boucherie.<br /> Bien sur, tout cela a joué un rôle lors de la défaite de juin 40, mais comment leur en vouloir?<br /> Il serait aussi injuste de tout leur mettre sur le dos. Pour mieux comprendre cette débâcle il faut lire "L'étrange défaite" de Marc Bloch.<br /> Bises et belle soirée Rosemar
Répondre
R
La guerre de 14 a été une véritable boucherie, les allemands ont utilisé, pour la première fois, des armes chimiques, les gaz de combat, contre lesquels les soldats français n'avaient pas de protection...<br /> Bon, la défaite de 40 a sans doute de multiples causes... Et l'horreur a recommencé...<br /> <br /> Bises de l'automne
L
La seule oeuvre de Giono que j'ai lue est "l'homme qui plantait des arbres"... Un jour peut-être le reste...<br /> Merci pour les extraits et bises
Répondre
R
Tu as donc encore de nombreux ouvrages de Giono à découvrir... Regain, Le grand troupeau, Le hussard sur le toit, etc.<br /> <br /> Bonnes lectures, LH et bises
R
Bonjour Rosemar,<br /> Très bon article, très bien illustré par des passages forts tirés des œuvres de Barbusse, Giono, Céline.<br /> Pour couronner le tout, une chanson de l'inoubliable Brassens ...<br /> J'ai beaucoup aimé.<br /> Bonne journée.
Répondre
R
Merci pour ce message, Richard : nos parents et grands parents ont connu la guerre et en ont été marqués pour toujours, nous avons un devoir de mémoire, et il est important de relire ces témoignages...<br /> <br /> Belle soirée