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22 avril 2020 3 22 /04 /avril /2020 12:14
Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées...

 

 

Ce poème de Victor Hugo est extrait d'un recueil intitulé Feuilles d'automne... L'automne, on le sait, est la saison de prédilection des romantiques, une saison souvent associée à la mélancolie : l'automne représente la tristesse, il symbolise le déclin, le temps qui passe. C'est une saison en accord avec l'humeur des romantiques qui expriment leur mal de vivre, ce que l'on appelle "le mal du siècle", une sorte de mélancolie indéfinissable.

La composition est très classique : 4 strophes de 4 vers, 4 quatrains.

Dans les trois premiers quatrains, Hugo évoque une nature immuable face à la fuite du temps.

Dans le dernier quatrain, en opposition, le poète fait irruption dans le poème avec l'emploi de la première personne du singulier : "Mais moi... je... je..." C'est l'évocation de la condition humaine : l'homme est voué à mourir, il est soumis, lui, au temps qui passe.

Ainsi, par cette structure, le poète apparaît isolé, humble, minuscule face à la pérennité de la nature. 

 

I )Le thème de la fuite du temps est essentiel dans ce poème.

 

1)Le champ lexical du temps est abondant et récurrent dans tout le texte : "ce soir... Demain, le soir, la nuit, Puis l'aube... Puis les nuits, puis les jours, pas du temps..."

Tous ces jours, sans cesse... chaque jour... bientôt"

Certains de ces mots indiquent une permanence, d'autres une imminence.

 Le thème du soleil couchant suggère aussi le temps qui passe, dès le premier vers, le crépuscule représentant symboliquement le soir de la vie.

 

2) Les différents temps employés dans le poème soulignent aussi le thème de la fuite du temps.

Le futur domine : il marque une certitude et  la fuite inéluctable du temps : 

Au vers 2 : "Demain viendra l'orage", au vers 5 : "tous ces jours passeront".

Dans la troisième strophe : " les bois toujours verts s'iront rajeunissant." "le fleuve prendra."

Dans la dernière strophe : "je m'en irai".

On remarque aussi un passé composé dans le premier vers : "Le soleil s'est couché..." et quelques présents : "pas du temps qui s'enfuit", "roule", "nous aimons", "il donne" etc.

 

3) Le temps est personnifié dans l'expression "pas du temps qui fuit" au vers 4 : il semble ainsi exercer sa toute puissance sur les êtres...

 

4) Des répétitions suggèrent aussi une sorte de monotonie dans l'écoulement du temps : le mot "soir" , le verbe "passeront", l'expression "sur la face"sont repris. On relève aussi l'anaphore de l'adverbe de temps "puis", de la préposition "sur" et de la conjonction de coordination "et".

On remarque des effets de rime intérieure : au vers 1 "couché, nuées", au vers 3 "clartés, obstruées", au vers 5 "passeront, passeront".

 

5) Des verbes de mouvement traduisent et restituent l'écoulement du temps : au vers 2 "viendra", au vers 4 "fuit", vers 5 "passeront", vers 11 "s'iront", vers 14 "je passe", vers 15 "je m'en irai".

 

6) Des parallélismes de construction suggèrent aussi le passage monotone du temps : vers 2, 4, 5, 6, 7. On remarque de nombreuses césures , notamment dans la deuxième strophe.

Au vers 4, une succession de monosyllabes peut restituer la lourdeur du temps qui passe.

 

II Face au temps qui s'enfuit,  la nature apparaît immuable : le temps n'a pas de prise sur elle.

 

1)Ainsi, la nature est magnifiée dès le premier vers avec l'évocation d'un somptueux coucher de soleil : un vers majestueux, ample où l'on perçoit des effets de sonorités : sifflante "s", et chuintante "ch", des consonnes emplies de douceur.

Dans la deuxième strophe, c'est la fricative "f" qui domine, encore une sonorité très douce.

 

2) La nature est personnifiée dans les expressions : "la face des mers, la face des monts", "le soleil joyeux". Elle est surtout associée à des verbes d'action, ou de mouvement : Demain, viendra l'orage, le fleuve des campagnes prendra... le flot qu'il donne".

3) On relève un champ lexical de la jeunesse : "Et la face des eaux et le front des montagnes, Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts S'iront rajeunissant..." La nature échappe au temps et se renouvelle sans cesse.

4) La nature apparaît grandiose, ce qui est bien suggéré par l'emploi de nombreux pluriels : "les nuées... ses clartés de vapeurs... la face des mers... la face des monts... sur les fleuves... sur les forêts... la face des eaux... le front des montagnes... les bois", etc.

Les nombreux enjambements dans les strophes 2 et 3 donnent aussi une impression d'immensité, de grandeur, d'une nature infinie.

 

III Face à la nature, Hugo évoque la condition humaine vouée à la mort.

 

1) Victor Hugo fait d'abord allusion à la mort des autres : au vers 8 : "Comme un hymne confus des morts que nous aimons". Il est question ici des chers disparus qui semblent présents dans la nature.

2) Puis, à la fin du texte, le poète évoque sa propre mort avec un euphémisme : "je m'en irai bientôt."

La dernière strophe est en opposition avec le reste du poème, comme le montre bien la conjonction de coordination "Mais" : le poète apparaît accablé par le poids du temps dans cette expression " courbant plus bas ma tête".

Face à l'indifférence du monde, il est isolé, à l'écart : on relève l'emploi de la première personne du singulier en début de vers : "Moi... je... je..."

Le poète est en opposition totale avec la nature : alors que le "soleil est joyeux", que le "monde est radieux", lui est accablé : on note le bonheur insolent de la nature face à l'accablement du poète.

L'adjectif "radieux" est souligné par une diérèse. L'exclamation finale traduit la tristesse du personnage.

 

Ce poème lyrique écrit à la première personne exprime toute la mélancolie et le tragique de la condition humaine, les chagrins de la mort, du déclin : cette inquiétude est présente dès la première strophe avec la symbolique du thème du coucher de soleil, avec les termes "nuées, l'orage, vapeurs obstruées." qui suggèrent un paysage embrumé. Ce paysage correspond à l'état d'âme du poète.

Et cette mélancolie s'approfondit dans la dernière strophe. 

Ce poème est particulièrement représentatif de la poésie romantique : paysage-état d'âme, thème de la fuite du temps, exclamations, anaphores, lyrisme.

 

Le poème :


Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées ;
Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit !

Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.

Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.

Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde, immense et radieux !

Victor Hugo, "Les Feuilles d'Automne", Livre XXXV
« Soleils couchants », VI, 1831.

 

 

 

 

 

Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées...
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commentaires

L
En lisant ton long billet je me suis dit qu'un recueil de tous tes articles semblables serait précieux pour les lycéens
Répondre
R
On peut les consulter sur internet... je n'ai pas prévu de publier.
A
C' est un beau poème, très bien commenté, avec une très belle dernière strophe. C'est un poème qui atteint sans doute une dimension philosophique.<br /> L'homme humble qui accepte sa mort face à une nature triomphante qui se renouvelle, l'homme qui sait que c'est dans l'ordre des choses.<br /> Bonne fin de soirée l'amie
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R
Oui, c'est aussi une réflexion sur le tragique de la condition humaine : l'homme est éphémère, fragile, il a conscience de sa finitude.<br /> Hugo a écrit ce poème en 1831, il était encore très jeune mais il souligne la fragilité de l'être humain, un thème souvent traité en littérature, un thème dont on perçoit toute l'actualité avec la crise du coronavirus.<br /> <br /> Belle soirée, AJE
M
Bonsoir Rosemar, je m’alourdis de salade et de fromage pour finir allonger, remplis de mille et une rêvasseries sous l’ombre lourdement parfumée des glycines ou rien ne bouge, mais le soleil, ce ciel sans nuages, trop bleu d’avril, m’enlèvent souvenirs et journées d’automne que j’aime beaucoup. Bonne soirée à tous.
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R
Ah le parfum des glycines peut être très enivrant... L'automne est aussi une saison agréable, douce mais les romantiques la représentent souvent comme la saison du déclin, de la mélancolie... J'aime beaucoup le premier vers de ce poème : beauté, plénitude, harmonie, simplicité....<br /> <br /> Bonne soirée, Michel