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28 février 2024 3 28 /02 /février /2024 10:34
Goulag et colonies pénitentiaires...

 

"Historiquement, bien entendu, le goulag a une existence limitée dans le temps de l'URSS entre les années 1920 et les années 1960.

Pourtant, la mort récente d'Alexeï Navalny dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique a rappelé, ne serait-ce que géographiquement, l'implantation des camps de travail de la période stalinienne. C'est le durcissement du régime de Vladimir Poutine vis à vis de ses opposants qui provoque aujourd'hui une réflexion renouvelée sur les méthodes répressives utilisées dans la Russie contemporaine.

 

"Mon message, dans le cas où je serais tué, est très simple : Ne pas abandonner. Ecoutez, j'ai quelque chose de très important à vous dire : je vous interdis d'abandonner. S'ils décident de me tuer, cela signifie que nous sommes extrêmement puissants... nous devons faire usage de ce pouvoir, ne pas oublier, nous souvenir que nous sommes un immense pouvoir. Un pouvoir qui est oppressé par ces mauvaises personnes. Nous ne nous rendons pas compte de la force que nous possédons. C'est la passivité des personnes justes qui permet au mal de triompher. Donc, ne restez pas sans rien faire."

C'est ainsi que s'exprimait Alexeï Navalny dans sa lutte contre la répression du régime russe...

 

Sa mère a enfin réussi à voir le cadavre de son fils, mais elle accuse les enquêteurs russes de chantage à propos des funérailles d'Alexeï Navalny, déclarant qu'ils tentaient de la forcer d'enterrer son fils en secret, sans cérémonie, ce qu'elle dit avoir refusé...

Une question se pose alors : Peut-on encore parler de goulag dans la Russie actuelle ?

Luba Jurgenson, professeur de littérature russe  analyse les similitudes qui permettent de rapprocher le goulag du XXe siècle du système pénitentiaire actuel : "L'institution cesse d'exister après la mort de Staline, mais les pratiques sont toujours là à l'époque de Khrouchtchev, de Brejnev, et finalement ne se sont jamais totalement éteintes. Et certaines de ces pratiques sont aujourd'hui recyclées. En sachant encore une fois que les goulags pouvaient être très différents. Donc lorsque l’on parle de cette postérité, on parle d'un éventail de pratiques très diverses. Mais la première chose qui fait penser au goulag, c'est la géographie. Il s'agit d'éloigner les personnes indésirables et de les mettre dans des conditions de vie vraiment extrêmes, aussi bien climatiques que sur le plan du traitement.

La configuration des espaces fait aussi penser au camp du goulag, puisqu'on est dans des colonies pénitentiaires qui ressemblent à des sortes de camps... il y a bien sûr des différences : les colonies pénitentiaires d'aujourd'hui ne sont pas un acteur économique de la vie russe, au même titre que l'était le goulag qui était une véritable force économique, elles sont en revanche un acteur de la guerre, puisqu'on y recrute des criminels de droit commun pour les envoyer au front en Ukraine... aujourd'hui, le gouvernement russe utilise des techniques de communication qui étaient inconnues à l'époque soviétique, mais sa propagande est différente : on ne prétend pas rééduquer les personnes qui sont aujourd'hui dans ces colonies. Leur rôle est purement punitif. Et on simule une espèce de transparence, c'est à dire, par exemple, Navalny a pu communiquer avec ses proches... ce qui ne voulait absolument rien dire quant au traitement qui lui était réservé...

Emilia Koustova, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Strasbourg, explique : "On retrouve la géographie du goulag dans le système pénitentiaire contemporain dans toute sa complexité, d'une part, il y a bien sûr l'usage de la distance, des distances immenses, l'usage de cette immensité de l'espace russe pour isoler, briser, punir davantage. C'était le cas déjà à l'époque stalinienne, cela reste le cas aujourd'hui. Quand on est envoyé au-delà du cercle polaire, il y a le climat très rude, l'absence de soleil... Et quand Alexeï Navalny est resté pendant plusieurs mois dans une colonie située dans une région proche de Moscou, les conditions de détention y ont été épouvantables, et c'est probablement là que sa santé a été fragilisée par l'envoi régulier dans la cellule d'isolement.

Il est toutefois certain qu' il y a beaucoup moins de détenus dans ces colonies qu'au moment de la mort de Staline."

Elsa Vidal, rédactrice en chef de la rédaction en langue russe de RFI, complète cette analyse en insistant sur l’usage de la répression : "Pour traiter de ce sujet, il s’agit de parler de la répression, de l'enfermement et de l'éloignement des minorités dissidentes, à la marge, et qui sont dans une posture de transgression vis-à-vis de la norme. Et cette norme, à l'époque soviétique comme à l'époque actuelle, était édictée à partir d'un centre du pouvoir au Kremlin, peut-être un peu plus collectif à certaines années de l'Union soviétique, mais en tout cas très centralisée au Kremlin. Et c'est encore le cas aujourd'hui. Je pense surtout que ce système est vraiment réactivé par les autorités et les dirigeants russes de manière à entraîner des réactions dans la population d'analogie immédiate avec l'époque soviétique et avec le goulag. Il est même pensé en direction de ces segments de la population qui ont une culture soviétique, pas tellement pour la population des moins de 30 ans, et des moins de 40 ans, qui eux se sont éveillés à la politique en 2011, au moment des manifestations justement emmenées notamment par Alexeï Navalny, qui consistent à demander des comptes au pouvoir..."

 

Selon Luba Jurgenson, professeur de littérature russe à la Sorbonne, dans les livres d'histoire russes, "on minimise le nombre de victimes, l'ampleur du phénomène est minimisée également, c'est surtout le rôle que jouait le goulag dans l'ensemble de la vie soviétique qui est minimisé... A l'époque de Staline, il n'y avait pas besoin d'être dissident ou opposant pour aller au goulag. Il y avait une multitude de gens qui étaient inculpés pour des crimes qu'ils n'avaient pas commis, alors que, par la suite, c'était surtout la dissidence qui était visée par cet appareil pénitentiaire... l'appareil s'est vraiment durci depuis l'invasion, avec l'apparition de nouveaux dispositifs juridiques, depuis les deux derniers mandats de Poutine, avec une centaine de lois répressives qui ont été promulguées ou sorties des oubliettes."

 

Emilia Koustova rajoute : "Il faut souligner la continuité et les liens directs entre la période post stalinienne et  celle d'aujourd'hui. Je pense que Vladimir Poutine n'est pas un héritier direct de Staline, mais c'est bien un héritier fidèle, loyal à Andropov qu'il présente comme son maître, maître du KGB, en l'occurrence, et si on regarde le fonctionnement de la justice, de la police politique, des colonies pénitentiaires dans les années 50-60-70, on retrouve beaucoup de similitudes avec ce qui se passe aujourd'hui. Ce sont des façons de torturer, d'humilier, de menacer..."

 

Selon Elsa Vidal, "Vladimir Poutine est l'héritier d'une pratique guébiste, comme on le dit parfois du pouvoir, et on voit très bien que cette orientation s'est accélérée et renforcée... il y a plusieurs milliers de Russes qui ont contesté leur mobilisation dans le cadre du droit et la justice leur a donné raison pour 9000 d'entre eux... et ce sont les magistrats qui s'opposent à une instrumentalisation du droit par le pouvoir politique.

Luba Jurgenson vient compléter le tableau des colonies pénitentiaires : "Il y a l'isolement, des tortures psychologiques et physiques, c'est la marque du régime poutinien.

En 2008-2009, une militante de l'opposition avait été internée de force, pour la faire taire, dans le grand Nord, nous sommes allés la chercher avec d'autres amis, nous sommes allés l'extraire... La psychiatrie punitive n'a jamais complètement disparu. En revanche, ce n'était plus utilisé de manière régulière jusqu'aux manifestations de 2011-2012, où on a vu de nouveau des manifestants arrêtés et condamnés à des peines d'internement en hôpital psychiatrique. Le retour à ce type de dispositif répressif date déjà d'au moins dix ans...

On est dans un contexte mondial où on constate le recul de la démocratie, même en Europe, on l'a vu avec l'exemple polonais ou encore hongrois, sans parler d'autres contrées dans le monde, le régime poutinien surfe bien sûr sur cette tendance, par exemple avec une politique répressive contre les communautés LGBT.

Emilia Koutova précise : "Il y a beaucoup moins de prisonniers qu'il n'y en avait dans la période soviétique... mais il y a des dizaines voire des centaines de milliers de détenus qui se sont enrôlés d'abord chez Wagner, puis auprès du ministère de la défense russe pour aller faire la guerre en Ukraine.

La situation est bien meilleure qu'à l'époque soviétique, mais il y a les règles qui sont écrites, et puis il y a aussi la pratique, la réalité qui, elle, laisse une large place à de la torture, à des humiliations, l'isolement, etc. Cela ne se limite pas aux prisonniers politiques, il y a aussi des centaines de milliers de prisonniers ordinaires, de droit commun, qui sont victimes de ce système. Et c'est là quelque chose qui est hérité de l'époque soviétique."

"La culture de la violence de Poutine, sa vision pessimiste de la nature humaine, la répression qui s'exerçait, les changements à l'intérieur du régime poutinien et ses évolutions extrêmement dramatiques que nous connaissons aujourd'hui, ainsi que la guerre comme instrument de la puissance russe, tout cela, c'est ce qu'on n'a pas vu..." explique Elsa Vidal.

 

 

Source :

 

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/le-goulag-existe-t-il-encore-6631927

Goulag et colonies pénitentiaires...
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