Le mot "travail" recouvre des réalités très différentes...

André Comte-Sponville, invité sur les Matins de France Culture a évoqué sa brève carrière dans l'enseignement : il dit qu'il a pris sa retraite très tôt à 46 ans !

Et il précise : "Je n'ai pas touché ma retraite à 46 ans, je la touche depuis que j'ai 62 ans... J'ai arrêté d'enseigner à 46 ans grâce au succès d'un de mes livres, Le petit traité des grandes vertus, je n'avais plus besoin de salaire pendant plusieurs années, bref, j'ai arrêté d'enseigner dès que je l'ai pu. Et donc, je serai très mal placé de faire la leçon à ceux qui veulent arrêter de travailler dès qu'ils peuvent et qui préfèrent s'arrêter à 62 ans plutôt qu'à 64ans..."

Et il rajoute :

"L'économiste Galbraith écrit dans un de ses livres qu'on utilise le même mot "travail", "work" en anglais pour désigner des activités tellement passionnantes qu'on les ferait, à la limite, bénévolement et pour désigner des activités tellement fastidieuses, fatigantes, désagréables que l'on fait parce qu'on y est contraint pour gagner sa vie.

Et Galbraith concluait en disant qu'utiliser le même mot pour désigner des activités tellement différentes, c'est déjà un signe évident d'escroquerie.

Eh bien moi, j'ai fait deux "travail" dans ma vie : il y avait l'enseignement et la correction des copies, c'est lourd, je le faisais bien, sérieusement, mais c'est lourd, et puis il y avait écrire des livres qui  était moins un métier qu'une vocation... Et dès que j'ai pu arrêter mon métier d'enseignant à 46 ans pour écrire davantage, bien sûr, je l'ai fait.

Et donc cela veut dire qu'il y a travail et travail.

Bien sûr, pour nous, écrire, faire de la recherche, c'est notre passion, donc on souhaite le faire si on peut jusqu'à la mort.

Mais on ne peut pas appliquer le même genre de discours à des métiers qui sont faits essentiellement parce qu'il faut bien gagner sa vie, et qui sont souvent des métiers fatigants, peu gratifiants et souvent, qui plus est, mal payés..."

Eh oui le mot travail recouvre des réalités très différentes : maçon, plombier, couvreur, chauffeur, aide-ménagère, aide soignante, infirmière, enseignant, banquier, informaticien, PDG etc.

Salaires, pénibilité, conditions de travail, horaires ne sont pas les mêmes..

C'est pourquoi une même réforme des retraites qui s'applique à ces différents métiers paraît totalement inadéquate, inadaptée...

André Comte-Sponville a pu s'arrêter d'enseigner à 46 ans, un privilège exorbitant... et s'il l'a fait, c'est qu'il trouvait le métier difficile, rempli de contraintes et d'aléas. Il a pu se consacrer à l'écriture, à la recherche, et s'est ainsi épanoui.

Et de nombreux métiers ne permettent pas cet épanouissement...

Notre époque réduit l'homme à une machine bonne à travailler et à produire... il faudrait redonner du sens au travail.

Vidéo : à 3 minutes, 20 secondes

Comments

[LH]

J'ai téléchargé un extrait du livre Petit Traité des grandes vertus, merci rosemar.

[rosemar]

Je suis en train de lire : La clé des champs et autres impromptus du même auteur... un ouvrage chaleureux malgré des sujets graves.

[ALEA JACTA EST]

Comte Sponville est un merveilleux divulgateur et il fait partie, dans les grands moments de confusions que nous vivons, des auteurs qui me permettent de ne pas perdre complètement mes repères. En ce moment je lis de lui LE PLAISIR DE PENSER...un petit régal...

https://www.babelio.com/livres/Comte-Sponville-Le-plaisir-de-penser/1409591

Sponville sait parfaitement expliquer qu'on ne peut passer sa vie à exiger d'elle ce que nous en attendons. Sa mère s'est suicidée quand il était déjà adulte et, pour lui, elle a été l'artisan de son propre malheur, par déficit philosophique. Toute la production philosophique de Sponville et son relatif optimisme ont été marqués par le suicide de sa mère.

https://www.babelio.com/livres/Comte-Sponville-Le-Bonheur-desesperement/7140

[ALEA JACTA EST]

Oui, il y a travail et travail...On se souvient tous de Jean Marais montant encore sur scène à 82 ans, 2 ans avant sa mort...Son travail était aussi sa passion.
André Comte Sponville cumulait deux professions, prof et écrivain, et il a gardé la plus gratifiante, et on le comprend: il y a une énorme différence entre s'adresser à un public réduit et écrire pour des centaines de milliers de lecteurs (et y compris, au passage, pour ses ex-étudiants et pour les jeunes étudiants en philosophie).
Qui plus est Sponville ajoute qu'il ne prendra jamais sa retraite car quand on est philosophe on le reste jusqu'à sa mort (et c'est par ailleurs assez merveilleux).
L'immense majorité des métiers ne permet pas un tel épanouissement. J'ajoute que Comte Sponville a été durant sa jeunesse un énorme bûcheur et qu'il a donc lui-même créé les conditions de son propre bonheur.

Bonne fin de journée l'amie

PS: Sponville parle de la vieillesse dans la vidéo. Certaines personnes font de la résistance et essaient de retarder le plus possible certaines échéances inévitables....Cette semaine Bruce Springsteen (73 ans) a commencé sa tournée européenne à Barcelone avec un concert qui a marqué très fort les esprits.

https://www.youtube.com/watch?v=6oLTsDRQgVk

A noter Michelle Obama qui se joint aux choristes pour chanter GLORY DAYS...Barack Obama regarde tout ça en coulisses. Ce qui m' amène à penser que lui aussi, comme tous les présidents, a pris très tôt sa retraite...-)

PS nº 2: J'entendais hier un conseil de Michel Serres pour ne pas devenir gâteux....

https://www.youtube.com/watch?v=dkmjQ0rT2KE

[rosemar]

Oui de nombreux métiers ne permettent pas de s'épanouir, souvent parce qu'ils sont soumis à la notion de rentabilité, de productivité, d'économie.
Ainsi, on en demande toujours plus aux profs : de nouvelles tâches, des classes surchargées, des réformes absurdes non concertées.
Sponville, c'est sûr, a bien bossé pour vivre de sa passion.
Merci pour les liens : j'apprécie les conseils de Michel Serres, et notamment son éloge de la lecture...


Belle soirée, AJE