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15 mai 2023 1 15 /05 /mai /2023 12:14
"On me maltraite ici !"

 

Le témoignage de Didier Eribon sur le plateau de la Grande Librairie est particulièrement fort et émouvant : il a dû faire entrer sa mère dans un EHPAD, car elle tombait chez elle et lui et ses frères n'avaient pas d'autres solutions que de l'installer dans un EHPAD... "elle était réticente, elle a fini par accepter. Et elle est morte sept semaines après.

Ma mère me laissait des messages la nuit sur mon répondeur en me disant : "On me maltraite ici, je suis malheureuse. J'appelais le médecin de la maison de retraite car ma mère me disait : "On m'interdit de prendre des douches".

Le médecin expliquait alors : "Pour la lever, il faut deux aides soignantes, je n'ai pas assez de personnel, donc ce n'est possible qu'une fois par semaine..."

Et là, j'étais pris d'exaspération, de colère... Comment c'est possible qu'on traite les personnes âgées comme ça ? C'est un débat public, cela veut dire que le service public est tellement sous financé qu'il n'y a pas de personnel pour que les personnes âgées puissent prendre une douche chaque jour.

Une maltraitance systémique et qui sévit partout.

Les aides soignantes sont elles-mêmes maltraitées dans leur métier. C'est tout un système qui fait qu'il n'y a pas de financement.

Un livre a déjà écrit sur le sujet : EHPAD, une honte française, de Anne-Sophie Pelletier... tout est dit dans le titre. L'auteur parle d'immoralité, elle parle d'un EHPAD dans le secteur privé où la loi du profit veut faire de l'argent, le principal motif de ce qui se passe dans les EHPAD, c'est faire de l'argent pour donner de l'argent aux actionnaires.

L'idée qu'on fasse du profit sur la vieillesse, le grand âge, la perte de l'autonomie physique, parfois aussi la perte de l'autonomie cognitive, tout ça m'a tellement révolté...

Ma mère me laissait des messages et c'étaient des messages très politiques, au fond. Sa plainte était politique.

Tout un système la maltraitait mais cette plainte avait un destinataire qui était moi. Et je me suis dit : je veux faire entendre cette plainte dans l'espace public, parce que, elle, elle ne pouvait pas y accéder. Donc, je serai le porte-parole de ces milliers de femmes qui dans la nuit de leur EHPAD téléphonent à leurs enfants, en disant : On me maltraite ici."

Que raconte ce sandale de notre pays ? 

Voici l'analyse de Nicolas Mathieu :

"Cela raconte quelques chose de notre civilisation, pas seulement de notre pays... Qu'est ce que c'est que notre raison calculante, celle qui fonctionne avec des tableaux excels, qui assigne des moyens ici, qui quantifie là  le nombre de biscottes, de couches, de serviettes, de douches, de personnels.

En fait, quand vous commencez à rechercher la performance et l'efficience à tout prix, cette manière-là, cela produit des situations inhumaines dans tous les coins, partout. Et personne n'est responsable puisque c'est un dispositif. C'est une question d'idéologie, profondément.

Il y a des gens qui au bout du dispositif ont tout à coup des vies de moindre valeur. On est dans une civilisation qui donne des valeurs différentes aux vies selon qu'elles sont puissantes ou misérables, selon qu'on est jeune ou vieux, selon qu'on est étranger ou de souche, etc."

Et rien ne change...

"Un livre dénonce la loi du profit mais ceux qui font fonctionner à leur profit cette loi du profit se moquent totalement de ce qu'on peut dire dans un livre qui les dénonce. Ce qui compte pour eux, c'est de continuer à faire ce profit. C'est la loi du profit poussée à son immoralité la plus abjecte..." ajoute Didier Eribon, auteur du livre Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple.

"On est tous terriblement précaires devant la vieillesse, quelle que soit notre classe sociale... c'est une violence extrême exercée à l'encontre de ces personnes sans défense et sans possibilité de résistance."

Plusieurs livres ont été écrits sur le sujet mais effectivement rien ne change.

 

 

Source :

 

https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-15/4859749-emission-du-mercredi-10-mai-2023.html

 

Rappel : La chanson de Ferrat :

 

http://rosemar.over-blog.com/2018/01/tu-verras-tu-seras-bien.html

 

 

"On me maltraite ici !"
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commentaires

L
En tout cas, en habitant dans un EHPAD, on n'en a pas pour son argent ni pour celui des enfants qui se cotisent pour que leurs personnes âgées puissent être propres et bien alimentées.
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R
C'est scandaleux : des gens dépensent des fortunes pour être maltraités.
A
J'ai écouté le témoignage de Didier Eribon et il est d'autant plus bouleversant qu'il parle d'une situation qui est malheureusement très fréquente, une situation qui dit beaucoup de notre société.<br /> J'ajouterais 2 commentaires:<br /> <br /> 1: dans les pays sous-développés les personnes âgées ne sont pas soumises à de telles maltraitances car la solidarité de la famille, du clan permet de prendre en charge les personnes âgées.<br /> <br /> 2: André Comte Sponville avait écrit un essai intitulé LE CAPITALISME EST-IL MORAL ?...Est-il possible de conjuguer les impératifs d'une bonne gestion des EPHAD (avec notamment les tableaux excell dont parle Nicolas Mathieu) sans y perdre de l'humanité? Je préfère imaginer que oui.<br /> Quand une décision politique ou économique devait être prise Ch. de Gaulle disait que " l'intendance suivra"...or, ce que l'on voit c'est que l'intendance ne suit pas, ou ne suit plus au nom de la recherche du profit. Ce problème-là peut-être résolu même dans le pire des systèmes libéraux en imposant des cahiers des charges à respecter et en instaurant des systèmes d'inspection qui vérifient leur bonne application.<br /> Donc, tout se résume à un manque de volonté politique.<br /> Bonne fin de journée l'amie<br /> PS: suite à la lecture de ton article je me suis plongé dans la biographie de Didier Eribon et de Nicolas Mathieu et j'ai très envie de les lire...un Nicolas Mathieu qui a eu le prix Goncourt dont tu parlais récemment.
Répondre
R
Et dans les hôpitaux c'est souvent le même système comptable, comme dans l'Education... il faut faire des économies... et ce sont les êtres humains qui en subissent les conséquences. Nicolas Mathieu cite l'exemple de son père admis aux urgences pour un AVC, il a attendu 12 heures sur un brancard... et ça s'appelle les urgences ! <br /> Merci pour la référence du livre de Sponville.<br /> L'émission m'a aussi donné envie de lire les ouvrages de Didier Eribon et Nicolas Mathieu.<br /> <br /> <br /> Belle soirée, AJE