Une chanson qui évoque la corrida, toute en nuances... une chanson interprétée par Jean Ferrat...
La mélodie joyeuse nous entraîne, dès le début, dans l'ambiance festive d'une corrida... un sifflet empli de gaieté, d'enthousiasme ouvre la chanson.
Le regard se porte alors sur "Les belles étrangères Qui vont aux corridas", une vision idyllique d'un spectacle qui attire un public de choix, des femmes venues sans doute de loin pour assister à la corrida, des femmes riches puisque le regard s'attarde aussi sur "leur chapeau huppé". La corrida est ainsi associée à la beauté, à la musique, elle est aussi présentée comme un loisir pour touristes riches.
On voit même ces belles étrangères "se pâmer d'aise devant la muleta", une expression très forte, une hyperbole qui traduit un ravissement infini, une admiration sans bornes.
Et, pourtant, la fin du premier couplet révèle une autre réalité : soudain, ces belles étrangères "Ont le teint qui s'altère À l'heure de l'épée".
Sous les apparences festives, elles découvrent l'horreur de la corrida simplement suggérée par l'évocation de l'épée destinée à tuer le taureau... tout un art de la suggestion !
Et soudain, on entend une voix qui pourrait être celle d'un défenseur et d'un amateur de la corrida, qui se moque de la sensibilité des détracteurs de ce spectacle :
"Allons, laissez-moi rire
On chasse on tue on mange
On taille dans le cuir
Des chaussures, on s'arrange"
L'emploi du pronom indéfini "on" suggère que tous les hommes s'accommodent bien de la mort des animaux, dans d'autres circonstances : la chasse, la nourriture, l'utilisation du cuir...
Et l'évocation des "abattoirs" vient compléter cet argumentaire, d'autant que les boeufs y sont "traînés"... et alors "La mort ne vaut guère mieux Qu'aux arènes le soir"...
Mais le regard se porte à nouveau sur les belles étrangères, alors que "montent les clameurs de la foule"... on retrouve une ambiance festive et voilà que ces étrangères "se lèvent les premières En se tenant le coeur..."
Le coeur symbole qui représente traditionnellement le centre des émotions, de l'affectivité est évoqué pour mettre en évidence le trouble produit par le spectacle qui se déroule dans les arènes.
Et dès lors, plus question pour elles de rêver au plus célèbre des toreros, Ordóñez.
Et voici que s'élève, cette fois, la voix d'un opposant à la corrida, répondant à l'amateur de ce spectacle... on retrouve la même formule de dérision au début :
"Allons laissez-moi rire
Quand le toro s'avance
Ce n'est pas par plaisir
Que le torero danse"
Cet opposant fustige le principe même de la corrida : le danger, la mort érigés en spectacle de "danse".
L'explication qui est donnée de cet engouement pour la corrida, c'est qu'elle a une dimension sociale : en Espagne, on envoie des enfants risquer leur vie dans les arènes pour essayer d'échapper à la misère...
Le choix qui leur est donné se résume alors à cette alternative scandaleuse : "La faim ou le toro".
Dans les derniers vers, on voit "Les belles étrangères Quitter leur banc de pierre Au milieu du combat".
On perçoit là tout un art du sous entendu : elles ne peuvent supporter la violence et l'horreur de ce spectacle sanguinolent et elles quittent les arènes.
Le narrateur ne décrit pas l'horreur de ce spectacle mais en suggère ainsi d'autant mieux toute la brutalité et l'ignominie...
Et comment ne pas voir une note d'humour dans cette qualification appliquée aux belles étrangères : "Végétariennes ou pas" ?
C'est là comme un écho contre les arguments des défenseurs de la corrida qui se moquent de la sensibilité des anti corridas...
Sans être végétarien, on peut percevoir l'horreur de ce spectacle où la mort est longuement préparée et mise en scène...
La mélodie emplie de gaieté nous transporte dans l'ambiance d'une corrida, mais elle se ralentit et s'interrompt même lors de l'évocation de la mort dans les arènes et lors du rappel de la misère sociale qui pousse le torero à combattre des toros.
Magnifique chanson qui met en évidence le fait que, sous des apparences clinquantes (beauté, richesse, musique) se cachent la mort, la peur, l'horreur, la misère de la corrida...
Pour mémoire :
Les paroles de cette chanson sortie en 1965 ont été écrites par Michelle Senlis, la musique composée par Jean Ferrat.
Les paroles :
https://genius.com/Jean-ferrat-les-belles-etrangeres-lyrics
Vidéo :
https://youtu.be/Gf-UmwOAHpE?si=isopkn1OqjXO52-_
D'autres chansons sur la corrida :
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