"C'est la ville de l'opulence au milieu du désert : La Vegas... sa démesure attire des millions de touristes chaque année. Folklore, strass et paillettes d'une Amérique fortunée... C'est la face visible, celle qu'on nous montre : celle d'une ville entière tournée vers le luxe.
Mais on oublie la face cachée : il y a tous ceux qui peinent à se nourrir et à se loger...
Las Vegas ou l'Amérique à deux vitesses...
Taylor Patterson est chauffeur de limousine depuis 10 ans. Il connaît les moindres recoins du boulevard principal, le coeur battant de la ville. Il y a déposé toutes les stars ou presque.
"Alors, comment vont les affaires en ce moment à Las Vegas ?" interroge une journaliste.
"ça va, j'ai plein de réservations." répond le chauffeur.
Mais tout n'est pas aussi flamboyant qu'avant... depuis le Covid, il travaille plus pour gagner le même salaire. Les prix ont explosé partout, notamment à la pompe.
"J'avais l'habitude de dépenser 2000 dollars par mois d'essence, maintenant je paye 3500 dollars. Je suis obligé de travailler tout le temps et je n'ai guère le temps de voir mes enfants." témoigne ce chauffeur.
Le coût de la vie est devenu un thème central de la campagne pour l'élection présidentielle.
Au petit matin, La Vegas dévoile un tout autre visage : celui que l'on ne voit jamais dans les publicités, loin du bling-bling... la misère.
A quelques kilomètres seulement de l'artère principale de La Vegas, le long des routes, on découvre des dizaines de sans-abris... épuisés, piégés par les promesses d'une ville devenue à leurs yeux un simple décor de fête pour les touristes.
Ils sont de plus en plus nombreux à pousser la porte de la banque alimentaire. La hausse record de l'inflation, 20% depuis quatre ans, n'a épargné personne.
"J'ai 15 dollars d'aide par semaine pour manger, je ne peux rien acheter avec ça, j'ai 74 ans, c'est très difficile, et j'ai travaillé toute ma vie", témoigne une Américaine.
"C'est devenu difficile y compris pour la classe moyenne, de nombreuses personnes perdent leur travail. Quand on parle de Las Vegas, on met toujours l'accent sur le glamour, les paillettes, les hôtels. J'ai l'impression que nous qui vivons ici, on est mis de côté." explique un pasteur.
A La Vegas, il y a aussi une autre crise qui touche de plein fouet les habitants.
Dans une banlieue, 20 à 30% des logements sont vides et les maisons ne trouvent pas preneurs. Le marché de l'immobilier s'effondre. Les maisons sont devenues hors de prix, malgré l'offre, beaucoup ne peuvent plus acheter.
Le Nevada est l'un des sept états clés où va se jouer le scrutin, où l'économie vacille, les préoccupations sont grandes... un restaurateur mexicain a fait fortune en venant à Las Vegas, il y a 40 ans. Face à la flambée des prix, il ne lui reste plus beaucoup d'options. Il est à la tête de 5 restaurants, si la situation n'évolue pas, il devra en fermer trois.
En août dernier, il a accueilli Donald Trump dans son restaurant, il a tout de suite été séduit.
"C'est quelqu'un d'intelligent, il sait ce qu'il y a de mieux pour le pays, parce que c'est un homme d'affaires." dit ce restaurateur.
En repartant, Trump a même fait une proposition : finies les taxes sur les pourboires. L'annonce a fait mouche.
Dans cet état, les démocrates ont remporté les quatre dernières élections mais les récents sondages montrent que leur popularité a chuté, précisément à cause des problèmes économiques.
"Je ne vais pas voter pour cet homme fou", dit cependant une Américaine.
"Je pense que Kamala Harris peut faire la différence. Je ne pense pas qu'on aille vers une récession, on va remonter la pente." déclare une autre.
"Donald Trump n'a pas eu à gérer la pandémie, c'est pour ça que tout a augmenté, tout le pays s'est arrêté pendant des mois.", dit un autre.
Deux piliers du rêve américain : la réussite financière et l'accès à la propriété se sont affaissés à Las Vegas, laissant beaucoup d'habitants errer vers un avenir encore plus incertain..."
Et que dire de la situation à San Francisco ? Alain Damasio en fait une description saisissante dans son ouvrage Vallée du Silicium :
"A Tenderloin, quartier le plus pauvre de San Francisco, à deux blocs du siège de Twitter, à touche-touche de la richesse la plus brutale, la folie est partout -liquide, tranquille, visqueuse- elle coule à travers les rues et arpente la place des Nations-Unies. Elle coagule plus loin au bord des trottoirs, contre une poubelle ou sur un banc... La réputation libérale de la ville (de gauche, donc, dans la classification américaine) en a fait un aimant à SDF, que les deux années de covid ont encore renforcé.
En France, nous avons évidemment des sans-abris. Ici, nous sommes au stade supérieur, non seulement parce qu’ils sont beaucoup plus nombreux et hantent le centre ville, mais surtout parce qu’ils sont beaucoup plus atteints et détruits. En les regardant, surgit l'intuition : c'est de là qu'est venue la prégnance des zombies dans l'imaginaire américain- leur regard de vitre, leur démarche à disloque, leurs plaies, leurs bras mutilés...
Au dernier décompte des ultrariches, la Silicon Valley toute proche abrite pourtant 78 milliardaires. Et alors ? Alors, 1% de la richesse d'un seul de ces milliardaires suffirait sans doute à soigner ces sans-abris, ces psychotiques laissés à eux-mêmes et ces drogués que les dealers fabriquent. Une infime miette de cette fortune incompréhensible suffirait à rémunérer une action sociale de long terme digne de ce nom...
Comment peut-on adosser, accoler presque, la richesse la plus obscène à la pauvreté la plus féroce ?
Comment pouvons-nous accepter cette juxtaposition ?"
Les Etats-Unis sont-ils devenus le royaume des inégalités ?
Sources :
Alain Damasio : Vallée du Silicium
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