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15 janvier 2022 6 15 /01 /janvier /2022 09:43
Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve...

 

Nous commémorons, en ce 15 janvier, les 400 ans de la naissance de Molière, l'occasion de lire et de relire son oeuvre, notamment la fameuse tirade de Dom Juan, célébrant l'inconstance : un chef d'oeuvre d'élégance, de poésie et de cruauté.


 Dom  Juan apparaît sur scène à l'Acte I, scène 2, après avoir été décrit par son valet, Sganarelle dans la première scène de la pièce :  il s’exprime longuement dans une tirade. On passe d’une vision populaire, d’une esquisse caricaturale, celle de Sganarelle, à une peinture plus approfondie du personnage.


Au début de la scène, Dom Juan confirme qu’il n’aime plus Done Elvire et exprime son intention d’enlever une jeune fiancée, il envisage donc une nouvelle conquête. Sganarelle ose émettre une critique : c’est là que se situe la tirade.
Dom Juan y expose sa propre conception de l’amour : une théorie  mûrement réfléchie, il  développe sa philosophie et celle des libertins de son temps.


 
I)  L’ART DE CONVAINCRE : APPEL A LA LOGIQUE (LE LOGOS), UN DISCOURS A  VALEUR GENERALE

  1)On peut d'abord étudier l’énonciation : dans la première phrase : les pronoms « on » «  nous »  l’emportent.
Plus loin: « pour moi, la beauté me ravit … »  on trouve l'emploi de la première personne.
Plus loin « on goûte une douceur extrême… »
Constamment Dom Juan  alterne  « je » et « nous » : il généralise donc son discours et lui donne ainsi une valeur de théorie.
   

2)Dom Juan parle sous forme de maximes ou de proverbes : « la constance n’est bonne que pour les ridicules »  « tout le plaisir de l’amour est dans le changement ». On note l'emploi du présent à valeur intemporelle : un présent de vérité générale et l'utilisation du pluriel à valeur généralisante.


  3)Ce discours bien construit vise à convaincre:
-1ère partie : « Quoi…….sur nos coeurs »  La fidélité est ridiculisée.
-2ème partie :« Pour  moi…je les donnerais tous » Eloge de l’inconstance.
-3ème partie : Les inclinations naissantes…conquêtes amoureuses » Le thème de la conquête.

Ce plan est habile : il va du négatif au positif, de la défensive à l’offensive. Dom Juan renverse les valeurs traditionnelles : il valorise l’infidélité et  discrédite la fidélité : c’est un éloge paradoxal  de l’inconstance.

 

II) LA CRUAUTE  ET LA DUPLUCITE DU PERSONNAGE

 

1) La stratégie de séduction passe par la tromperie : il s'agit de flatter par "cent hommages", de jouer un rôle avec des "larmes, des soupirs".

 

2) Dom Juan s'attache à séduire des femmes jeunes, naïves : "l'innocente pudeur d'une âme".

 

3) La femme devient un objet entre les mains de Dom Juan, un objet qu'il "mène" et manipule à sa guise...

 

 

III) L’ART DE PERSUADER : APPEL AUX SENTIMENTS  (LE PATHOS) APPEL A 
L’AFFECTIVITE, AUX EMOTIONS

     1)Dans la dénonciation de la fidélité,  Dom  Juan caricature la constance.
           -il utilise un ton interrogateur et ironique, au début de la tirade « Quoi   tu veux qu’on se lie.. » : c'est une fausse question qui  contient en elle-même la réponse : Sganarelle n’est même pas invité à répondre. On remarque dans la première phrase un  rythme ternaire insistant.

 

Plus loin, on trouve l’expression « la constance  n’est bonne que pour les ridicules ». Ainsi, la fidélité est associée  au rire et à des  termes péjoratifs « ridicules …. faux honneur ».


-la fidélité est aussi représentée par une succession d’images: « se lier…nous  prend…renoncer au monde….s’ensevelir  …être mort ». Celles-ci évoquent toutes l’idée d’enfermement, le manque de liberté : elles sont classées  dans un ordre croissant. On passe du verbe « lier » à  la claustration religieuse(« renoncer au monde ») plus loin à la mort, avec le tombeau, symbole ultime de l’enfermement.
Ces images de prison et de mort  ont pour but  de susciter la peur. La fidélité est aussi associée à  l’immobilité  et l’infidélité au mouvement  (« demeurer #entraîne  …changement »)


C'est un discours habile qui trouble l’auditeur d’autant que la morale traditionnelle est renversée : l’infidélité devient morale, elle est valorisée : Dom Juan parle en termes de droit : « les justes prétentions ». Ainsi la constance est une "injustice" faite  aux autres femmes. Dom Juan substitue une morale naturelle à la morale traditionnelle,  comme le suggère l’expression : « la nature nous oblige ». Dom Juan semble défendre la liberté, une idée séduisante.


   2)dans l’éloge de l’inconstance : là encore, Dom Juan  sait se montrer persuasif.
-il use d’un langage poétique : « la beauté me ravit partout où je la trouve » : un bel alexandrin suivi de deux octosyllabes. On relève un autre procédé poétique, un oxymore : « douce  violence ». Plus loin des sonorités très douces sont mises en jeu dans la phrase : « les inclinations naissantes ont des charmes inexplicables… » 
des sifflantes « s  z », une chuintante « ch », des voyelles nasalisées  « an    on » qui ralentissent le rythme. Dom Juan sait donner à ses idées une force irrésistible, une grâce poétique : la douceur des sonorités correspond bien à l’idée énoncée : le plaisir l’emporte.
   -le champ lexical du plaisir domine : « charmes, plaisir, goûter, extrême douceur ».
On perçoit la sensualité du personnage, son goût du plaisir.


    3)dans le thème de la conquête : la quête amoureuse devient une entreprise périlleuse et glorieuse. Ce thème est perceptible  à travers différents procédés :
-une longue phrase suggère les étapes successives de cette quête : « combattre par des transports…larmes, soupirs » : la réussite doit être lente, progressive. De nombreuses relatives permettent de ralentir le rythme dans cette phrase.
-le  procédé de l’énumération de verbes : « voir …combattre …forcer.. vaincre »
-le vocabulaire du combat, de la guerre : « combattre  forcer  vaincre  être maître  triompher, conquérants   victoire ». Ce champ lexical traduit une volonté de domination et de puissance  implacable.


-le registre épique a pour but de provoquer l ‘admiration de l’auditeur : des hyperboles  avec de nombreux pluriels « toutes les autres beautés, toutes les belles. aux autres etc. »
Des nombres : « dix mille,  cent hommages ».


-la dernière partie de la tirade est significative avec la référence à « Alexandre ».
On perçoit l’orgueil démesuré de Dom Juan : il se compare au plus grand des conquérants.


Dom Juan  a le goût de l’absolu : il refuse les limites.  Cet absolu s’exprime à travers une antithèse : « rien…toute la terre ». La phrase mime la démesure de Dom Juan : les membres de phrase  deviennent de plus en plus longs, le rythme s’amplifie...

 

On perçoit dans cette tirade la force et le pouvoir de persuasion du discours de Dom Juan : il fascine, il subjugue Sganarelle mais aussi l'ensemble de l'auditoire.
  

 

Le texte :

 

Dom Juan
Quoi ? Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable ; et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

 

 

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12 janvier 2022 3 12 /01 /janvier /2022 09:41
Houellebecq sous haute protection !

 

Le nouveau roman de Michel Houellebecq est paru ce vendredi 7 janvier... le lendemain, je me rends en librairie pour le feuilleter avant de l'acheter... ce que je fais souvent, avant d'acheter un livre, quel qu'il soit...

Sur un rayon, bien en vue, de nombreux exemplaires du roman... ils étaient tous sous blister, un emballage plastique transparent.

 

J'entreprends alors de déchirer le blister, afin de feuilleter l'ouvrage.

Sacrilège ! La libraire se précipite vers moi, me tance, et m'arrache le livre des mains...

 

Je n'avais pas le droit de le feuilleter et d'en découvrir quelques extraits.

Je lui rétorque alors : "On n'a pas le droit de voir ce que l'on achète ? Tous les autres livres sont à disposition, et on peut les feuilleter..."

Peine perdue. La libraire emporte le livre pour le mettre à l'abri ! (Il est vrai que l'édition est soignée : une belle couverture cartonnée, un signet rouge...)

Aussitôt, je lui dis : "Bon, alors, je vais acheter le livre ailleurs ! Je rebrousse chemin en lui lançant : "Bonne après midi, Madame !"

J'ai trouvé cette dame très pointilleuse et ce n'est pas la première fois : c'est elle qui avait vertement réprimandé un client lorsqu'il avait simplement enlevé son masque anti-covid pour se moucher !

 

Je suis donc allée à la FNAC pour découvrir le livre...

Un exemplaire était en libre accès, je l'ai feuilleté et j'ai été aussitôt intriguée par un message crypté, illisible, écrit avec des caractères inconnus et mystérieux, au début du roman, et je l'ai acheté : peut-être serai-je déçue ?

J'avais particulièrement apprécié Soumission, Sérotonine : des romans emplis de surprises, d'humour.

 

Houellebecq a amorcé un renouveau en littérature : c'est un auteur atypique qui surprend, étonne, Houellebecq dépeint la déprime, la misère de l'homme moderne, mais il nous fait rire.

Et le rire est salvateur, bénéfique.

J'aime le personnage et j'aime l'écrivain : un auteur qui étonne, qui surprend par son humour décalé, par ses références au monde moderne, un auteur qui vit dans son temps et qui se fait l'écho de notre époque...

 

J'ai vu quelques critiques sur France Culture : elles ne sont pas bonnes.

"Un roman plat, ennuyeux, la construction est complètement bancale, un personnage plat..."

"Un roman de la banalisation de l'extrême-droite... un roman misogyne, un niveau de réflexion problématique..."

"Ce n'est même pas un roman d'anticipation..."

"Une grande place accordée au catholicisme : il montre l'horreur du monde sans Dieu, mais ce n'est pas original."

Bref, des critiques plutôt sévères...

De toutes façons, je lirai le roman pour m'en faire une idée précise...

A suivre, donc...

 

 

https://www.franceculture.fr/litterature/lire-ou-pas-aneantir-le-nouveau-roman-de-michel-houellebecq

 

https://www.franceinter.fr/emissions/parcours-critiques/michel-houellebecq-episode-4

Houellebecq sous haute protection !
Houellebecq sous haute protection !
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7 janvier 2022 5 07 /01 /janvier /2022 12:21
Le succès du livre...

 

Face à l'avalanche de mauvaises nouvelles que nous subissons, enfin une éclaircie en ce début d'année 2022 : le succès du livre !

 

L'année 2021 a été marquée par des ventes exceptionnelles de livres : elles ont augmenté de 19% en deux ans : confinements, couvre-feux, restrictions nous auraient donc donné des envies de bouquiner...

Une très bonne nouvelle !

 

Il est vrai que les Français ont été saturés d'écrans avec le telé-travail : ils aspirent à autre chose, ils refusent le règne des images.

Le livre, lui, permet une vraie concentration, une attention, une curiosité sur toutes sortes de sujets...

 

J'aime les livres, ils peuvent procurer une détente, une évasion, mais aussi une réflexion sur le monde.

 

Il est important aussi d'offrir des livres à ceux que l'on aime : une forme de partage essentiel...

 

Entrez dans une librairie, c'est tout un monde à découvrir ! Il y a une âme ! Un monde qui fait rêver...

On peut feuilleter les livres à loisir, mieux les choisir : on est attiré par un titre, une phrase, un titre de chapitre, un développement...

Oubliez la vente en ligne ! Rien ne vaut une visite chez un libraire pour faire un choix judicieux !

 

La lecture est un moment de repli sur soi, de recueillement, mais aussi d'ouverture sur les autres et le monde...

Vive le livre !

Le livre est un bien essentiel, une respiration, un bonheur à découvrir...

Quand j'ouvre un livre, une curiosité insatiable me saisit...

C'est un outil de discernement, de jugement si important !

Comment a-t-on pu fermer les librairies en temps de confinement ? Quelle erreur !

 

Comme l'écrit Céline Pina dans son ouvrage Ces bien essentiels, "Aldous Huley imagine le type de société que les progrès techniques de son époque pourraient engendrer. La pensée a disparu, la culture se limite au divertissement et l'homme n'est plus conscient de sa condition... Le Meilleur des Mondes est une dystopie ou une contre-utopie. Celle-ci nous montre par le biais de la fiction un univers déshumanisé et totalitaire dans lequel les rapports sociaux sont dominés par la technologie et la science."

Lire est un acte de résistance dans un monde dominé par la technologie...

 

 

Quelques suggestions de lecture :

 

Seules les pensées que l'on a en marchant valent quelque chose, de Christophe Lamoure

L'Art d'être Français, de Michel Onfray

Ces biens essentiels, de Céline Pina

La joie des larmes, de Francis Métivier

Entrer dans la douceur, de Jean-Claude Guillebaud

L'Autre à distance, de Anne Muxel

Aujourd'hui : parution du nouveau roman de Michel Houellebecq, Anéantir... affaire à suivre...

 

https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/roman/culture-des-ventes-de-livres-exceptionnelles-en-2021_4896939.html

 

Le succès du livre...
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13 décembre 2021 1 13 /12 /décembre /2021 12:53
François Sarano, Réconcilier les hommes avec la vie sauvage...

 

Dans son ouvrage intitulé Réconcilier les hommes avec la vie sauvage, François Sarano, plongeur et océanographe nous raconte l’Océan, sa faune, sa flore, et la cohabitation de l’homme avec ce qui lui est étranger. Il invite à voir dans la diversité du vivant une richesse et à changer notre regard sur la vie sauvage. Un témoignage salutaire illustré de jolis moments de ballets avec les cachalots et les raies géantes.

J'ai pu assister à une conférence de cet océanographe : François Sarano insiste sur la notion de rencontre, de partage sans tomber dans la culpabilisation : les livres écologistes sont souvent pessimistes, ce n'est pas le cas du livre de François Sarano.

Voici le message qu'il délivre :

"En plongée, on n'est jamais seul, mais toujours en équipe... C'est beaucoup mieux de partager les bonheurs, à la rencontre de la vie sauvage, de l'autre côté de la surface de la peau de l'océan... c'est un monde qui n'a rien à voir avec notre monde à terre...

Sur terre, on est toujours besogneux, sous l'eau, on s'envole, on vole au dessus d'une forêt de gorgones, on rejoint les poissons, tout est léger, une sensation physique formidable.

C'est un monde libre, ouvert, pas de route... c'est notre dernier monde sauvage.

On peut s'approcher des poissons, on peut se mêler à cette vie sauvage sans que cela perturbe. On peut tisser des liens, être bienveillant l'un avec l'autre.

On peut encore rencontrer les géants de la planète, des baleines, des cachalots. On peut rencontrer les derniers prédateurs de notre planète. On peut même s'approcher du grand requin blanc.

Cela nous amène à comprendre ce que pourrait être notre relation avec tous "les sauvages."

Pour beaucoup de gens, le requin représente la mort : on reste avec cette image du film Les dents de la mer..."

Et François Sarano nous raconte ses rencontres avec les requins blancs dans le Pacifique. "Il faut être très discret, les attirer avec l'odeur de poissons.

En fait, les requins ont peur, fuyant l'approche des plongeurs. Mais un jour, une femelle l'a accepté pendant une minute, tout près.

Oubliez le film de Spielberg et tous les films sensationnels ! s'exclame François Sarano.

Cette rencontre nous dit des choses extraordinaires... On n'ose pas aller à la rencontre des autres.

C'est valable pour toutes les autres différences de religions, de sexualité, de traditions.

Il faut y aller sans rien, sans fusil, sans bâton, sans tricherie : si on veut recevoir, il faut être complètement offert.

En fait, nous faisons partie du même monde : il faut considérer les animaux à égalité.

Ainsi, on peut leur donner des noms : Lady Mystery pour cette femelle requin, par exemple. On peut côtoyer l'animal à 10 centimètres sans le toucher, on respecte ainsi la vie sauvage, avec une marque de respect essentielle.

Aujourd'hui, tout est médiatisé : les animaux nous appartiendraient, la nature serait à notre service.

Le génie de l'homme, c'est d'avoir conscience du monde, de toutes les espèces, de leur fragilité, de notre force, et cette conscience nous donne une invraisemblable responsabilité à leur égard. Il s'agit de respecter les autres avec leurs différences, de nous réconcilier avec la vie sauvage.

Dans ces moments de contact avec un requin, on aime le monde entier : la vie sauvage est riche parce qu'elle est imprévisible à la dimension de nos rêves.

La diversité biologique, c'est la richesse de notre planète.

Le requin a un langage, même s'il ne fait pas de bruit alors que les petits poissons demoiselles se servent de leurs dents pour communiquer. Le langage du requin est fait d'attitudes, de contorsions : si ses nageoires sont baissées, il manifeste son mécontentement, il essaie de vous intimider et vous demande de partir, et si on reste calme, il se détourne.

D'autres animaux extraordinaires sont des animaux sociaux : les cétacés, notamment les cachalots qui ne sont que tendresse. Les cachalots jouent, se caressent, se font des câlins. Ces animaux sauvages se laissent approcher, acceptent une autre espèce, même dans des moments de fragilité.

Une maman cachalot qui allaite un bébé accepte la présence des humains. Chez les cachalots, il existe des nounous : un bébé tête une femelle puis une autre.

Quand on prête attention à ces animaux, on découvre des choses incroyables : ces animaux qui ressemblent à de grosses saucisses sont très proches de nous.

Un jour, un cachalot a commencé à danser pour nous : avec des expressions sonores, associées à une demande de câlins, il a essayé de m'apprivoiser. Moi, l'autre espèce, j'étais l'objet de toutes ses attentions. Jamais, il ne nous touchait, il était délicat, attentionné...

Non, je ne fais pas d'anthropomorphisme ! Il a choisi de venir voir une autre espèce, de rentrer en contact et de m'apprivoiser. C'est le renard et le petit Prince...

Les cachalots sont différents de nous, mais ils ont une société basée sur la solidarité. Non, la vie sauvage n'est pas agressive si nous nous montrons bienveillants et accueillants.

Bientôt, nous serons 10 milliards d'habitants sur cette planète : on ne pourra pas tous se comprendre, cette impossibilité nous oblige-t-elle à nous affronter ?

Ce qui est important, c'est de vouloir se comprendre. Prêter attention aux fleurs, aux arbres, aux hérissons, aux libellules... Ce sont là des trésors que nous avons oubliés : on a les poches pleines d'or !"

 

Une conférence pleine d'enthousiasme et d'optimisme : François Sarano sait passionner son auditoire et remporter l'adhésion !


 

 

 

 

https://www.lepoint.fr/sciences-nature/cop26-les-oceans-ces-grands-oublies-09-11-2021-2451319_1924.php

François Sarano, Réconcilier les hommes avec la vie sauvage...
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5 novembre 2021 5 05 /11 /novembre /2021 09:42
Vive la nostalgie !

 

Dans une société libérale tournée vers le profit, la rentabilité, l'immédiateté, le bonheur de l'instant, la nostalgie n'a plus sa place...

 

Il faut être tourné vers l'avenir ! C'est le credo de notre époque.

Il faut profiter de tous les progrès qui nous sont accessibles : le smartphone, la montre connectée, les écrans de toutes sortes...

 

Ainsi, la mélancolie, la nostalgie ne sont plus à l'honneur.

C'est même être réactionnaire et passéiste que d'être nostalgique...

Un certain Alain Finkielkraut en sait quelque chose...

 

La culture classique est jugée ringarde par certains, trop élitiste, trop difficile... Il faut vivre dans le présent, la modernité et oublier l'héritage qui nous vient du passé...

Mais quelle erreur !

C'est le passé qui nous construit et qui nous permet de mieux vivre le présent.

Nous avons tous besoin d'un ancrage, d'un bagage culturel, de souvenirs.

Comme l'écrit Jean-Paul Brighelli, "adhérer à la nostalgie, au regret, à la mélancolie, c'est critiquer la pensée vivifiante de notre souverain d'aujourd'hui..."

"Les grandes époques dictatoriales ne supportent pas que la littérature glorifie autre chose que le présent..." On perçoit bien le danger de ce culte voué au présent.

 

"Il faut vivre avec son temps", dit-on souvent. Certes, mais on ne peut oublier que nous sommes tous influencés par ceux qui nous ont précédés, à qui nous sommes redevables : nos parents, nos grands-parents, notre famille, nos ancêtres...

Tous les apprentissages sont fondés sur une culture antérieure.

C'est cette culture qui nous nourrit. Il est important de vénérer le passé.

Comme l'écrit Michel Onfray, dans son ouvrage L'art d'être Français : "Notre époque ne permet plus d'être rabelaisien, cartésien, voltairien, de pratiquer le marivaudage, et de se réclamer de l'idéal de Victor Hugo. Ce qui faisait notre civilisation n'est plus défendable, sauf à passer pour un conservateur, voire un réactionnaire, quand ce n'est pas pis : un vichyste, un pétainiste visant à réactiver l'atmosphère nauséabonde des heures les plus sombres de notre histoire..."

 

Nous sommes tous en quête de bonheur, mais le bonheur est fait aussi de souvenirs, de lectures, d'expériences, d 'apprentissages divers.

La nostalgie fait partie de la condition humaine, elle nous aide aussi à mieux vivre le présent.

 

Soyons mélancoliques ! Soyons nostalgiques ! Refusons la culture de l'immédiateté et de l'instant !

 

 

 

 

Source : un article de Jean-Paul Brighelli paru dans Marianne, La nostalgie est à tes trousses.

 

Vive la nostalgie !
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22 septembre 2021 3 22 /09 /septembre /2021 08:24
Un vingt-deux septembre au diable vous partîtes...

 

 

Le début de l'automne évoque traditionnellement le déclin, la perte, une certaine nostalgie du passé...

Pour Brassens, le 22 septembre est associé à une rupture amoureuse dans une célèbre chanson intitulée "Un vingt-deux septembre".

"Un vingt-deux septembre au diable vous partîtes..."

L'expression est savoureuse car elle ne traduit pas vraiment un désarroi, une tristesse : elle exprime au contraire une certaine désinvolture, comme si le poète avait souhaité le départ de la belle... ou comme si, le temps étant passé, la rupture semblait moins amère.

Et pourtant, chaque année, cette date était ponctuée par des pleurs : 


"Et, depuis, chaque année, à la date susdite,
Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous..."

Les thèmes du souvenir et du temps qui passe sont ainsi entremêlés dès le début de la chanson : l'alternance des temps, passé simple, imparfait, présent suggère bien cette fuite du temps, ainsi que les adverbes de temps qui scandent le texte : "aujourd'hui, jadis, à présent."

Le présent marque un changement total souligné par cette image : "Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre" et par une expression brutale et triviale :

"Plus une seule larme à me mettre aux paupières 
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

Et le poète revient pourtant sur la force de cet amour qui lui faisait accomplir des prouesses :

"Jadis, ouvrant mes bras comme une paire d'ailes,
Je montais jusqu'au ciel pour suivre l'hirondelle
Et me rompais les os en souvenir de vous..."

On perçoit un élan, un enthousiasme avec l'image de l'hirondelle...

Mais  cet élan a disparu et on trouve comme souvent dans les chansons de Brassens, une référence littéraire et mythologique :

"Le complexe d'Icare à présent m'abandonne,
L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

On aime aussi ce renversement du dicton "Une hirondelle [arrivant] ne fait pas le printemps", qui signifie qu'un seul signe ou indice ne constitue pas une preuve.

Brassens n'oublie pas d'évoquer de nombreux thèmes associés à l'automne : le départ des hirondelles mais aussi les feuilles mortes, le deuil :


"On ne reverra plus au temps des feuilles mortes,
Cette âme en peine qui me ressemble et qui porte
Le deuil de chaque feuille en souvenir de vous...
Que le brave Prévert et ses escargots veuillent
Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles."

Sans oublier la référence littéraire aux poèmes de Prévert...

On retrouve le thème des pleurs et des souvenirs tristes dans la strophe suivante :


"Pieusement noué d'un bout de vos dentelles,
J'avais, sur ma fenêtre, un bouquet d'immortelles
Que j'arrosais de pleurs en souvenir de vous..."

Les "immortelles" que Brassens arrose de pleurs semblaient, pourtant, être là pour signifier un amour éternel.

Mais la suite vient à nouveau former un contraste saisissant avec cette déclaration d'un amour sans fin :


"Je m'en vais les offrir au premier mort qui passe,
Les regrets éternels à présent me dépassent:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

Brassens n'oublie pas de jouer malicieusement sur le sens du verbe "passer", ce verbe signifiant aussi par euphémisme "mourir".

L'amour s'en est allé, et c'est une rupture qui semble définitive, comme le suggère l'emploi du futur dans la strophe suivante :


"Désormais, le petit bout de coeur qui me reste
Ne traversera plus l'équinoxe funeste
En battant la breloque en souvenir de vous..."

Finis la tristesse et le désarroi...

Et Brassens de reprendre les clichés traditionnels de la poésie amoureuse et galante, avec ces images précieuses mêlées à un vocabulaire familier... c'est là tout le talent de Brassens de mélanger les genres !


"Il a craché sa flamme et ses cendres s'éteignent,
A peine y pourrait-on rôtir quatre châtaignes:
Le vingt-deux de septembre, aujourd'hui, je m'en fous."

 

Et, le poème s'achève sur ce vers :

 

"Et c'est triste de n'être plus triste sans vous"

 

 Ainsi, cette chanson exprime, malgré tout, la nostalgie d’un bonheur passé et … l’indifférence nouvelle.

Quelle richesse dans ce texte, que de références littéraires, quelle culture et quelle bonhomie aussi !

Brassens nous livre ici un véritable poème de facture classique en alexandrins, un poème où se mêlent jeux de langage, culture, humour, tendresse...

 

 

 

 

 

 

 

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10 septembre 2021 5 10 /09 /septembre /2021 11:20
Un savoureux spectacle culinaire...

Du XVème au XXIème siècle : chansons et poésies gourmandes du Sud de la France et d'ailleurs... Les poètes et les écrivains parlent des produits, du goût de la vie et du partage des bonnes choses... une histoire poétique de la nourriture...

Tel est le spectacle savoureux que nous ont présenté Bruno Paternot, comédien et Tom Pablo Gareil, musicien, vibraphoniste, percussionniste...

 

Il faut toujours commencer par une fable de La Fontaine... nous conte Bruno Paternot :

 

"Le glouton

A son souper un glouton
Commande que l'on apprête
Pour lui un seul esturgeon
Sans en laisser que la tête,
Il soupe ; il crève.
On y court,
On lui donne maints clystères,
On lui dit pour faire court
Qu'il mette ordre a ses affaires.
"Mes amis, dit le goulu, m'y voilà tout résolu.
Et puisqu'il faut que je meure,
Sans faire tant de façon,
Qu'on m'apporte tout à l'heure,
Le reste de mon poisson ".

Et puis, on n'oublie pas, avant le repas, un apéritif à la façon de Boris Vian :

" – Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianocktail est achevé, tu pourrais l’essayer.
– Il marche ? demanda Chick.
– Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
– Quel est ton principe ? demanda Chick.
– A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Seltz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.
– C’est compliqué, dit Chick.
– Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
– C’est merveilleux ! dit Chick.
– Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave.
– Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible.
-Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer.

Chick se mit au piano. A la fin de l’air, une partie du panneau de devant se rabattit d’un coup sec et une rangée de verres apparut. Deux d’entre eux étaient pleins à ras bord d’une mixture appétissante."

 

Goûtons ensuite les sardines, celles de Raymond Queneau :

"Une fois n'est pas coutume : allons au restaurant 
nous payer du caviar et des ptits ortolans

Consultons le journal à la rubrique esbrouffe 
révélant le bon coin où pour pas cher on bouffe

Nous irons à çui-ci, nous irons à çui-là
mais y a des objections : l'un aimm ci, l'autre aimm ça

Je propose : engouffrons notre appétit peu mince 
au bistrot le troisième après la rue Huyghens

Tous d'accord remontons le boulevard Raspail 
jusqu'aux bars où l'on suss la mouss avec des pailles

Hans William Vladimir et Jean-Jacques Dupont 
avalent goulûment de la bière en ballon

Avec ces chers amis d'un pas moins assuré 
nous trouverons enfin le ptit endroit rêvé

Les couteaux y sont mous les nappes y sont sales 
la serveuse sans fards parfume toutt la salle

Le patron — un gourmet ! vous fait prendre — c'est fou 
du pipi pour du vin et pour du foi' du mou

La patronne a du cran et rince les sardines 
avec une huile qui fut huile dparaffine

La carne nous amène un rôti d'aspect dur 
orné concentricment de légumes impurs

Elle vous proposera les miettes gluantes 
d'une tête de veau que connurent les lentes

Elle proposera les panards englués
d'un porc qui négligea toujours de les laver

Peut-être qu'un produit à l'état naturel 
échappra-z-aux méfaits dla putréfiantt femelle

« Voici ma belle enfant un petit nerf de bœuf 
que vous utilizrez pour casser tous vos œufs »

De l'omelette jaune où nage le persil 
elle fera-z-hélas un morceau d'anthraci

Ce bon charbon croquant bien craquant sous la dent 
se blanchira d'un sel sous la dent bien crissant

Plutôt que de noircir un intestin qui grêle 
nous dévorerons la simili-porcelaine

L'hôtesse nous voyant grignoter son ménage 
écaillera les murs de l'ampleur de sa rage

Alors avalerons fourchettes et couteaux 
avant d'avec vitesse enfiler nos manteaux

Fuyards nous galoprons dans la rue où ça neige 
sans peur de déchirer la couturr de nos grèges

Nous retournant au bout de cinquante ou cent mètres 
nous verrons le souillon jouer au gazomètre

et nous péter au nez ses infâmes insultes
— patronne de bistrot, empoisonneuse occulte..."

 

Goûtons les recettes en vers de Léontine DESBOUCHAGES :

"Les RAYOLES

Avec de la fleur de farine,
Eau, beurre, œuf, quelques grains de sel,
Faites une pâte très fine ;
Étendez ; c'est l'essentiel.
Découpez beaucoup de rondelles,
Prenez un verre pour compas,
Et, pour bien garnir ces parcelles,
Écoutez..., et ne riez pas !...

Écrasez un peu de citrouille ;
Hachez des épinards blanchis ;
Garnissez : que votre doigt mouille
La pâte autour du hachis ;
Pliez d'un coup de main habile ;
Joignez les bords en les pressant ;
Dans l'eau qui bout, mettez, agile,
Cuire un instant chaque croissant.

Pilez des noix. Râpez ensuite,
Du bon fromage à votre choix.
Sur un plat, superposez vite
Un lit de pâte, un lit de noix,
Un lit de fromage et de beurre.
Voilà le chef-d'œuvre requis.
Couvrez et laissez un quart d'heure
Près du feu. Goûtez : c'est exquis !..."

 

Un petit tour au  Dernier Restaurant avant la Fin du Monde de Douglas Adams :

"Un imposant animal laitier s'approcha de la table de Zappy Bibicy, vaste et gras quadrupède bovin aux grands yeux humides, avec des petites cornes et sur le mufle ce qui pouvait presque passer pour un sourire engageant.
«Bonsoir». La bovine créature s'assit pesamment sur son arrière-train. «Je suis le plat du jour. L'une ou l'autre partie de mon cops vous tenterait-elle?» Elle se racla la gorge, gigota de l'arrière-train pour se caler dans une posture plus confortable puis les considéra placidement. Examen qui lui permit de découvrir un regard de surprise abasourdie chez Arthur et Trillian, un haussement d'épaules résigné chez Ford Escort et l'estomac dans les talons de Zappy Bibicy.
«Un morceau d'épaule peut-être? suggéra la bête. Braisé dans une sauce au vin blanc.
-Euh… votre épaule à vous? souffla Artur, horrifié.
-Mais naturellement, mon épaule, monsieur, meugla la bête avec satisfaction. Je suis le seul maître de mon corps.»
Zappy avait déjà bondi de son siège pour venir tâter en connaisseur l'épaule de l'animal.
« Ou la culotte, qui n'est pas mal non plus, murmura le bovin; l'ayant beaucoup exercée et m'étant gavée céréales, je puis vous garantir qu'il n'y a que de la bonne viande dans ce coin.» Elle poussa un doux grognement, assorti d'un gargouillis et se remit à ruminer. Puis ayant ravalé le tout, ajouta :

 

«Ou alors un ragoût de moi peut être?
-Vous voulez dire que cet animal a réellement l'intention qu'on le mange? murmura Trillian à Ford.
-Moi? dit Ford, les, yeux vitreux. Je ne veux rien dire du tout.
-Mais c'est absolument horrible, s'exclama Arthur. Voilà bien le chose la plus révoltante que j'aie jamais entendue.
-Où est le problème terrien? dit Zappy dont l'attention s'était à présent reportée sur l'énorme croupe de la bête.
«Simplement que je n'ai pas envie de manger d'un animal planté devant moi s'il m'y invite, dit Arthur. Je trouve ça cruel.
-Ca vaut toujours mieux que de bouffer un animal qui n'en a pas envie remarqua Zappy.
-Là n'est pas la question», protesta Arthur. Puis il réfléchit à la chose : «D'accord, c'est peut être effectivement la question. Enfin, peu importe, je n'ai pas le coeur à y songer pour l'instant. Je vais juste...euh...»
(Autour de lui, l'Univers continuait de se convulser dans les affres de sa Fin.)
«Je crois que je vais me contenter d'une salade verte, marmonna t'il.
-Puis-je insister pour vous recommander mon foie suggéra la créature. Il doit être particulièrement tendre et moelleux à présent : cela fait des mois que je me gave.
-Une salade verte dit Arthur avec insistance..
-Une salade verte? dit la bête en roulant des yeux dépités.
-Vous n'allez pas me dire que je ne devrais pas prendre une salade verte quand même?
-Eh bien dit l'animal, je connais plus d'un légume à être ferme sur ce point. Ce qui est la raison pour laquelle en fin de compte on a décidé de trancher définitivement la question en élevant un animal effectivement désireux d’être mangé et capable de la dire à haute et intelligible voix. Et me voici»
La bête esquissa une légère révérence.
«Un verre d'eau s'il vous plaît, dit Arthur.
-Ecoute, expliqua Zappy. On veut tout simplement manger, on ne va pas en faire tout un fromage. Alors donnez nous quatre beaux steaks, s'il vous plaît et vite. On a rien avalé depuis cinq cent soixante seize mille millions d'années. »
La bovine créature se releva maladroitement. Elle laissa échapper un doux gargouillis.
«Un choix fort judicieux, monsieur, si je puis me permettre. Excellent dit-elle. Le temps d'aller m'en couper une tranche et de passer à la casserole»
Elle se tourna et lança un clin d'oeil amical à Arthur.
«Ne vous inquiétez pas monsieur, Je serai très humaine»
Et elle regagna sans se presser les cuisines.
L'affaire de quelque minutes, le garçon revenait avec quatre énormes et fumantes tranches de steak. Zappy et Ford les engloutirent recta sans l'ombre d'une hésitation. Trilian hésita, puis haussa les épaules et attaqua son morceau.
Arthur contemplait sa portion, l'air vaguement mal à l'aise.
«Eh l'Terrien», lança Zappy avec un sourire malicieux sur celui de ses visages qui ne se goinfrait pas, on est pas dans son assiette?»
Et l'orchestre enchaîna."


 

 

Et comment ne pas être tenté par le poisson au coup de pied de Colette ?

"Naturellement, vous aimez la Provence. Mais quelle Provence ? Il y en a plusieurs. Une est toute nue, à peine voilée d’un maillot de bain à dessins cubistes, et noire d’un hâle étudié. Elle trône sur un “ planking ” entre deux ou trois palaces et casinos. Celle-là, je la salue à peine quand je la rencontre. Une autre perche sur de petits monts aérés, secs, où tout est d’azur, le ciel, le silex pailleté, l’arbuste bleuâtre. Il y a des morceaux de Provence gras, herbus, baignés de sources, de petites Provences italiennes, même espagnoles ; une Provence — peut-être est-elle ma préférée — maritime, pays de calanques d’un bleu qui n’est point suave mais féroce, de petits ports huileux qu’on ne déchiffre qu’à travers une grille de mâts et de cordages... Une Provence forestière resserre, sous la longue ombre des pins parallèles, les parfums de la résine, et sous les
chênes lièges crépus, écorchés vifs, erre un assez septentrional arôme de fougère, de lichen ras, une fallacieuse annonce de truffe... La multitude des touristes désole, chaque année, toutes les Provences. Optimiste, le touriste habite une villa, dix mètres de sable et cent brasses de mer, et ne bouge guère. Il se rôtit et mijote au bain-marie, alternativement. Pessimiste, il roule en auto, et s’arrête pour boire, transpire, reroule et reboit. Il dit : “ Ce pays serait ravissant si on n’y avait pas si chaud et si la nourriture était  possible. ” Partout il réclame son bifteck aux pommes, tendre à point, ses oeufs au bacon, ses épinards en branche et son café“ spécial ”. Il fait observer que son estomac ne digère pas l’ail et que son médecin lui interdit la
cuisine à l’huile. Ce n’est certes pas pour la seule édification de ce Viking, de cet Anglais, de ce Parigot, de ce Brandebourgeois, de ce citoyen d’Amérique, de ce Genevois, de ce Balkanique, que je prônerai l’excellence de quelque vieux plat provençal, les vertus de l’ail, la transcendance de l’huile d’olive, et ma fidélité aux trois légumes inséparables, vernissés, hauts en couleur comme en goût : l’aubergine, la tomate et le poivron doux.

En forêt du Dom, il est une auberge... Son renom se fait si vite qu’il n’est pas besoin de la désigner plus clairement. Le lieu est beau, en pleine forêt profonde, et la route romantique tourne à souhait pour l’attaque des diligences... Les soirs d’été, deux, trois tables rudimentaires, égaillées sous les acacias, attendent les amateurs de gibier, et les friands du poisson que j’appelle “ le poisson au coup de pied ”. Est-ce une recette ? Non. Un accommodement culinaire primitif, vieux comme l’olivier, comme la pêche au trident.

Jamais cuisson n’a demandé moins d’apprêts —il n’y faut que la manière. Ayez seulement.... une forêt provençale, tout au moins méridionale. Fournissez-vous-y de bois choisi : bûches cornues d’olivier, fagots de
ciste, racines et branches de laurier, rondins de pin pleurant la résine d’or, menue broussaille de
térébinthe, d’amandier, n’oubliez pas le sarment de vigne. A même la terre, entre quatre gros éclats de granit, bâtissez, allumez le bûcher.


Pendant qu’il flambe, rouge, blanc, cerise, léché d’or et de bleu, il n’y a rien à faire que le regarder. Le ciel vert du crépuscule provençal au-dessus de lui, tourne au bleu de lac. Les flammes baissent, se couchent ; vous avez sous la main, n’est-ce pas, une ou plusieurs belles pièces dé poisson méditerranéen, tout vidé ? Vous avez acquis à Saint-Tropez une rascasse monstrueuse, à gueule de dragon, ou vous avez apporté de Toulon les malins mulets à dos noirs, et vous n’avez pas omis, vidant ceux-ci ou celle-là, de glisser, tout le long de leur ventre creux, un fuseau de lard ? Bon. Apprêtez votre balai, j’appelle ainsi ce bouquet odorant de
laurier, de menthe, de pebredaï, de thym, de romarin, de sauge, que vous avez noué avant d’allumer votre feu.

Apprêtez donc le balai, c’est-à-dire qu’il trempe dans un pot empli de la meilleure huile d’olive mêlée de vinaigre de vin — ici nous n’admettons que le vinaigre rose et doux. L’ail — vous pensiez naïvement qu’on
pouvait se passer de lui ? — pilé, jusqu’à consistance de crème, rehausse le mélange comme il convient. Du sel, peu, du poivre, assez.


Attention. Votre feu n’est plus que braise bientôt. Un lit épais de braise qui chante bas, des tisons qui flambent encore un peu ; une fumée translucide, légère, porte à vos narines l’âme consumée de la forêt... C’est le moment de donner le magistral coup de pied qui envoie, au loin, bûches, brandons et fumerolles, qui
découvre et nivelle le charbon ardent d’un rose égal, met à nu le coeur pur du feu sur lequel halète un petit spectre igné, bleuâtre, plus brûlant encore que lui.


Un vieux gril, à trois pieds hauts, salamandre tordue au service de la flamme, reçoit le poisson bénit de sauce, et le tout se plante d’aplomb, en plein enfer. Là !... Vous n’en êtes pas encore à la maîtrise de l’homme du Dom, l’homme de qui l’on ne voit que l’ombre sur le feu. Le bras noir armé du balai aromatique,
le bras noir sans cesse humectant, aspergeant, retournant le poisson sur le gril, pendant...


Pendant combien de temps ? L’homme noir le sait. Il ne mesure rien, il ne consulte pas de montre, il ne. goûte pas, il sait. C’est affaire d’expérience, de divination. Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine.


Le “ poisson au coup de pied ” saute de son vieux gril dans votre assiette. Vous verrez qu’il est roide, vêtu d’une peau qui craque, s’exfolie et bâille sur une chair blanche, ferme, dont la saveur se souvient de la mer et des baumes sylvestres. La nuit résineuse descend, une lampe faible, sur la table, dénonce la couleur
de grenat du vin qui emplit votre verre...


Marquez, d’une libation reconnaissante cet instant heureux..."

Magnifique texte de Colette !

 

Un bon repas sans fromage ? Non !

Goûtons ceux de Zola dans Le ventre de Paris :

 

« Autour d’elles, les fromages puaient. […] Là, à côté des pains de beurre à la livre, dans des feuilles de poirée, s’élargissait un cantal géant, comme fendu à coups de hache ; puis venait un chester, couleur d’or, un gruyère, pareil à une roue tombée de quelque char barbare,  des hollande, ronds come des têtes coupées, barbouillées de sang séché, avec cette dureté de crane vide qui le fait nommer têtes-de-mort. Un parmesan, au milieu de cette lourdeur de pâte cuite, ajoutait sa pointe d’odeur aromatique. Trois brie, sur des planches rondes, avaient des mélancolies de lunes éteintes ; deux, très secs, étaient dans leur plein ; le troisième, dans son deuxième quartier, coulait, se vidait d’une crème blanche, étalée en lac, ravageant les minces planchettes, à l’aide desquelles on avait vainement essayé de le contenir. Des port-salut, semblables à des disques antiques, montraient en exergue le nom imprimé des fabricants. Un romantour, vêtu de son papier d’argent, donnait le rêve d’une barre de nougat, d’un fromage sucré, égaré parmi les fermentations âcres. Les roquefort, eux aussi, sous des cloches de cristal, prenaient des mines princières, des faces marbrées et grasses, veinées de bleu et de jaune, comme attaqués d’une maladie honteuse des gens riches qui ont trop mangés de truffes ; tandis que, dans un plat, à côté, des fromages de chèvre, gros comme un poing d’enfant, durs et grisâtres, rappelaient les cailloux que les bouc, menant leur troupeau, font rouler aux coudes des sentiers pierreux. Alors, commençaient les puanteurs : les mont-d’or, jaune clair, puant une odeur douceâtre ; les Troyes, très épais, meurtris sur les bords, d’âpreté déjà plus forte, ajoutant une fétidité à la cave humide ; les camembert, d’un fumet de gibier trop faisandé ; les neufchâtel, les Limbourg, les marolles, les pont-l’évêque, carrés, mettant chacun leur note aigüe et particulière dans cette phrase rude jusqu’à la nausée ; les livarot, teintés de rouge, terribles à la gorge comme une vapeur de soufre ; puis enfin, par-dessus tous les autres, les olivet, enveloppés de feuilles de noyer, ainsi que ces charognes que les paysans couvrent de branches, au bord d’un champ, fumantes au soleil. La chaude après-midi avait amolli les fromages ; les moisissures des croûtes fondaient, de vernissaient avec des tons riches de cuivre rouge et de vert-de-gris, semblables à des blessures mal fermées ; sous les feuilles de chêne, un souffle soulevait la peau des olivet, qui battait comme une poitrine, d’une haleine lente et grosse d’homme endormi ; un flot de vie avait troué un livarot, accouchant par cette entaille d’un peuple de vers. Et, derrière les balances, dans sa boîte mince, un géromé anisé répandait une infection telle, que des mouches étaient tombées autour de la boîte, sur le marbre rouge veiné de gris. »

 

Moi, à la fin de chaque repas, je m' fais toujours un petit Proust...

 

"Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, je me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière...

 

 Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés depuis si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir."
 

 

Pour finir, un petit mot d'amour de Charles d'Orléans à son amoureuse :

Mon doux cœur, je vous envoie,

Soigneusement choisi par moi,

Le brie de Meaux délicieux.

Il vous dira que malheureux

par votre absence je languis

Au point d’en perdre l’appétit.

Et c’est pourquoi je vous l’envoie,

Quel sacrifice c’est pour moi !

 

Poème dit avec l'accent de l'époque, s'il vous plaît !

 

Un spectacle ponctué par une douce musique délivré par Tom Gareil : un spectacle savoureux, rempli d'humour, de culture, de tendresse, de poésie...

 

Merci à Bruno Paternot et à Tom Gareil pour ce délicieux moment littéraire...

 

 

 

Un savoureux spectacle culinaire...
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1 septembre 2021 3 01 /09 /septembre /2021 08:49
Dans un monde intoxiqué par la vitesse, la lecture est un acte de résistance...

 

Vite, encore plus vite, toujours plus vite ! Notre monde est voué à la vitesse, à une frénésie d'activités sans fin...

La télévision, internet nous emportent dans un flot d'images rapides : a-t-on le temps de les analyser ?

Les images nous dictent leur rythme, nous sommes happés par toutes sortes d'informations qui nous submergent...

 

Le télétravail lui aussi ne nous laisse guère le temps de nous déconnecter...

 

A l'inverse, ouvrir un livre, c'est comme "lancer un défi au culte de la vitesse".

On se cale dans un fauteuil et on oublie tout le reste : on se livre entièrement à la lecture, avec délice et selon le rythme qui nous convient.

 

On a même le loisir de feuilleter les pages, de revenir en arrière, de relire pour mieux savourer...

Quelle détente ! Un pur bonheur !

La lecture permet un maximum de concentration et de réflexion...

Oui, vraiment, lire est un acte de résistance !

 

Dans notre monde hyperactif, la lecture permet un temps d'arrêt, un recul, une attention, une concentration qu'il nous faut retrouver.

Evidemment, dans un monde voué au marché, à l'économie, la culture littéraire semble obsolète, elle paraît n'avoir aucun intérêt...

 

Et pourtant, quel apport essentiel ! 

"Le lecteur de littérature apprend la langue de l'âme. Il apprend que d'autres peuvent ressentir les choses d'une manière différente de la sienne. Un autre amour, une autre haine. Il apprend de nouveaux mots et de nouvelles métaphores pour décrire les états d'âme. Grâce à l'enrichissement de son vocabulaire, de son répertoire de notions, il est en mesure de parler de son vécu d'une façon plus nuancée, ce qui lui permet de ressentir les choses avec plus de finesse.", écrit le philosophe berlinois Peter Bieri.

 

Dans un temps où prime l'économie, la lecture, la culture deviennent suspectes...

Il est temps de réagir contre ces tendances : le culte de la vitesse et de la performance, le mépris de la culture littéraire jugée inutile dans un monde de technicité grandissante...

Il est temps de réagir !

Lisons !

 

 

 

 

 

Dans un monde intoxiqué par la vitesse, la lecture est un acte de résistance...
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4 août 2021 3 04 /08 /août /2021 08:12
Compositrices, autrices, musiciennes : autres chemins...

 

A portée de notes : "Compositrices, autrices, musiciennes : autres chemins" avec Marc Simon...

Une conférence passionnante de Marc Simon nous faisait découvrir toutes ces femmes de l'ombre, compositrices, autrices, musiciennes souvent méconnues.

 

"Dans tous les arts, les femmes ont suivi leur propre chemin, souvent empêchées par les normes sociales et négligées par les institutions (masculines à outrance), au-delà de remarquables exceptions (l’allemande Hildegarde Von Bingen au XII°, la française Elisabeth Jacquet et l’italienne Barbara Strozzi au XVII°…), de Clara Schumann à Brigitte Fontaine en passant par Lakshmi Shankar et Billie Holiday."

 

Quelle est donc la proportion d'artistes féminines ? telle est la question posée par Marc Simon au début de sa conférence. En fait, elles sont nombreuses depuis les siècles passés, mais on n'en parle pas ou si peu : la moitié de l'humanité a produit des oeuvres, mais on ne la connaît pas.

Ces messieurs occupent toute la place !

Dès l'antiquité, la sphère du privé revient au féminin, la sphère du public est dévolue aux hommes.

Les hommes se sont organisés pour que les femmes n'aient pas droit à la parole.

 

Ainsi, on a longtemps méconnu une héroïne du 12 ème siècle : Hildegarde Von Bingen, une religieuse à la carrière artistique exceptionnelle...

Elle disait qu'elle avait des visions, et par là même, elle s'est rapidement attiré des ennuis mais elle a réussi à défendre le bien fondé de ses visions, elle a acquis une autorité morale. Des princes, des rois la consultaient. Elle était intéressée par les soins de la nature, elle a même écrit un traité sur des plantes médicinales.

Hildegarde a composé plus de soixante-dix chants liturgiques, hymnes et séquences, une oeuvre remarquable de poésie.

 

Au Moyen-Age, les troubadours étaient des hommes, car c'était une vie qui ne convenait pas aux femmes.

Pourtant, Marie de France composa des lais : des poèmes, des contes consacrés à l'amour courtois, par exemple le lai de Bisclavret ou celui du chèvrefeuille.

Le lai du Bisclavret est particulièrement étrange et étonnant : une histoire de loup garou !

 

Dans la noblesse, les femmes étaient parfois éduquées à la musique : Marie Tudor jouait du virginal, ancêtre du clavecin.

Au XVI e siècle encore, Maddalena Casulana fut une compositrice, luthiste et chanteuse italienne de la fin de la Renaissance. Elle fut la première compositrice occidentale à avoir été publiée.

Les femmes qui composent étaient contraintes de s'entourer de précautions... Au XVIIe siècle, Barbara Strozzi composa des madrigaux. En  1644, elle publia sous son nom un livre de madrigaux : le livre est pourvu d'une dédicace adressée à la duchesse de Toscane Vittoria della Rovere, épouse du duc Ferdinand II de Médicis. Dans cette dédicace, Barbara Strozzi offre son premier opus à la duchesse, en la remerciant de l'aide affectionnée qu'elle lui a apportée. Elle affirme qu'elle se sent très téméraire, en tant que femme, de publier son œuvre, mais qu'elle sait que la grande dame lui assurera la protection nécessaire.

 

Sous Louis XIV, Elisabeth Jacquet s'illustra aussi dans la composition : son père était musicien, la jeune fille fut présentée à Louis XIV et devint la protégée de Mme de Montespan. Son mari était lui-même organiste du roi.

Elisabeth Jacquet a composé de très belles pièces inspirées de la mythologie : "Le sommeil d'Ulysse, La tempête".

Au XIXème siècle, Clara Schumann fut encore une remarquable compositrice : elle s'est beaucoup occupée de son mari qui avait une santé mentale fragile. Son père était professeur de piano. Elle se fiança secrètement avec Robert Schuman (son père n'était pas d'accord ). Elle eut 8 enfants.

Elle a commencé à composer très jeune : à 14 ans, elle composa son sabbat. Elle fit des tournées dans toute l'Europe. Son effacement du milieu de la composition est directement lié à sa condition de femme.

Confrontée aux tâches domestiques, elle dut s'occuper de huit enfants : un travail très prenant!

 

Fanny Mendelssohn, la soeur de Félix fut aussi une compositrice de talent au XIXème siècle : qui la connaît ?

 

Alma Mahler a composé des lieder. En épousant Gustav Mahler, il fut convenu qu'elle devait abandonner ses propres aspirations artistiques en musique et en peinture.

 

Dans le domaine de la chanson, les femmes étaient souvent des interprètes, des "enveloppes", elles n'écrivaient pas les chansons.

Piaf a pourtant écrit les textes de quelques chansons parmi lesquelles : La vie en rose, et souvent, on ne le sait pas.

 

Quoi qu'il en soit, une chanson est portée par son interprète : le compositeur produit mais il a besoin d'interprètes de talent.

 

Barbara, elle, fut à la fois autrice, compositrice, et interprète.

Brigitte Fontaine écrit des chansons originales, pleines de fantaisie et de drôlerie. Elle confie ses musiques à des compositeurs.

 

 

 

https://youtu.be/ExWvAJ29jKY

 

https://www.francemusique.fr/emissions/musicopolis/1644-barbara-strozzi-compose-le-premier-livre-de-madrigaux-op-1-73161

 

 

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17 juillet 2021 6 17 /07 /juillet /2021 08:36
Marcel Proust à l'honneur...

 

 

Marcel Proust est né le 10 juillet 1871 à Paris, il y a 150 ans...

Pour commémorer cet anniversaire, voici un article déjà publié sur mon blog : l'analyse d'un magnifique extrait de son oeuvre Sodome et Gomorrhe...

Un extrait où l'on perçoit toute la sensibilité de cet auteur, notamment sa sensibilité face à la nature et  ses splendeurs. 

Dans notre monde moderne, voué à la vitesse, nous ne savons plus observer, admirer, nous étonner devant la nature et ses merveilles.

Proust nous réapprend l'importance du regard...

 

Dans cet extrait,  Proust décrit un champ de pommiers en fleurs... A la manière d'un peintre, il compose un véritable tableau empli de charme et de séduction.

Le champ de pommiers est évoqué à travers un réseau d'images qui font songer à une rencontre amoureuse : la première phrase est révélatrice : " Dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement..."

Proust semble suggérer un coup de foudre, une séduction brutale, inattendue qui le saisit : cette soudaineté se traduit par la brièveté de la phrase, par l'emploi du passé simple à valeur ponctuelle et du mot "éblouissement"

Les pommiers sont présentés à travers des personnifications, des métaphores qui transfigurent le paysage : ils sont "d'un luxe inouï", "en toilette de bal", "ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu'on eût jamais vu..."

Toutes ces évocations font songer à une beauté féminine, parée pour aller au bal... Le style hyperbolique restitue un émerveillement : "luxe inouï, le plus merveilleux satin rose."

Plus loin, la personnification se poursuit et fait penser encore à une séduction amoureuse : "une brise légère mais timide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants". Le verbe "trembler", le terme "rougissant" évoquent des émois amoureux.

Enfin, la description s'achève sur la vision d'une "beauté fleurie et rose."

Le narrateur semble ébloui par le spectacle qu'il a sous les yeux, comme on pourrait l'être au cours d'une rencontre amoureuse. Ce procédé restitue toute l'émotion qu'il éprouve devant ce tableau...

De fait, cette description nous fait songer à un tableau, d'abord grâce à la composition de cet extrait : au premier plan, le champ de pommiers, en arrière plan, le fond du tableau, avec "l'horizon lointain de la mer".

On perçoit aussi des éléments du tableau : "des bouquets, des mésanges, des branches" qui se juxtaposent selon la technique impressionniste, avec des touches de couleurs successives.

Proust fait aussi référence, au cours de la description, à "une estampe japonaise", certains détails correspondent bien à un tableau oriental : "les mésanges, les bouquets de fleurs" étant des thèmes récurrents souvent reproduits dans les estampes japonaises.

Le tableau est coloré dans des tons assez doux : "satin rose, le bleu du ciel, les bouquets rougissants, des mésanges bleues, le gris de la pluie".

La dernière phrase de l'extrait, dans sa brièveté pourrait constituer le titre du tableau : "C'était une journée de printemps..."

Les références artistiques sont bien présentes dans le texte : "estampe japonaise, amateur d'exotisme et de couleurs, artificiellement, effets d'art.."

On perçoit le grand sens artistique de Proust et sa sensibilité : la musique, la peinture occupent une place essentielle dans son oeuvre, ici, la beauté du champ de pommiers a des effets extraordinaires sur le narrateur qui en est ému jusqu'aux larmes, l'impression artistique se traduisant par un effet physique.

La nature devient une véritable oeuvre d'art.

Le champ lexical de la nature est particulièrement développé : "feuilles, pommiers, boue, soleil, mer, ciel, azur, brise, bouquets, mésanges, pluie"... et les 4 éléments y sont représentés : la terre, l'eau, l'air, le feu...

Et cette nature semble elle-même participer à la création du tableau, grâce à l'emploi réitéré du verbe "faire" : "satin rose que faisait briller le soleil, les fleurs qui faisaient paraître son bleu rasséréné.. une brise légère faisait trembler les bouquets rougissants..."

La nature semble vouloir embellir le tableau, par la lumière, par le contraste des couleurs, par le mouvement.

Ainsi, la nature se fait art, elle semble imiter l'art.

La réalité est tellement belle qu'elle semble presque composée artificiellement, tout en restant naturelle....

 

 

 

 

Le texte :

 

 

"Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n’avais vu, avec ma grand’mère, au mois d’août, que les feuilles et comme l’emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d’un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu’on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l’horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d’estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s’écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c’eût été un amateur d’exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu’aux larmes parce que, si loin qu’on allait dans ses effets d’art raffiné, on sentait qu’elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne comme des paysans, sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l’horizon, enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l’averse qui tombait : c’était une journée de printemps."

 

 

   

 

 

 

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