Le mot "cyclope" évoque les origines mêmes de notre littérature et un des plus célèbres épisodes de l'Odyssée d'Homère, un des plus effrayants aussi : celui du Cyclope Polyphème... on se souvient de ce monstre cruel qui dévore les compagnons d'Ulysse, méprisant, ainsi, les lois sacrées de l'hospitalité, si chères aux grecs.
Le Cyclope nous fait voir la rondeur de sa voyelle "o" en son centre, et, aussitôt, on entrevoit l'oeil rond et unique de cet être fruste.
Ce personnage est décrit, dans l'Odyssée, comme l'envers de l'humanité : cruel, impitoyable, il se comporte comme un monstre avide de sang humain, une sorte d'ogre féroce...
Il fait partie d'un peuple de pasteurs qui ne pratiquent pas l'agriculture, vivant de ce que la nature leur procure ; ce sont des bergers mangeurs de fromages et de grands consommateurs de viande. Ils n'ont aucune organisation politique.
L'œil unique pourrait être le symbole d'un état primitif de l'évolution et de l'intelligence. Dans la mythologie grecque, les Cyclopes sont parmi les premières créatures de l'univers, créatures imparfaites. Ce sont des forces primitives de nature explosive, volcanique, d'où leurs rapports étroits avec Héphaïstos, le dieu des volcans.
Le Cyclope inquiète et fascine, en même temps : le mot déroule, d'ailleurs, des consonnes variées, une sifflante initiale pleine de douceur, une gutturale plus âpre, une labiale empreinte de séduction.
Il représente une force brutale, et il aime tout de même les plaisirs de la vie : on le voit s'enivrer du vin que lui a offert Ulysse, afin de le dompter. Grâce à cette ruse, Ulysse parvient à aveugler le monstre et à sauver sa vie et celle de ses compagnons survivants...
Ainsi, le Cyclope semble subir un juste châtiment, lui qui n'a pas su respecter le lois saintes et sacrées de l'hospitalité : il n'a pas su accueillir des étrangers, les a méprisés et tués... Ce monstre anthropophage se comporte avec la plus grande sauvagerie.
Privé de son oeil unique, Polyphème crie alors son désespoir et sa haine...
Le mot "cyclope" évoque bien la rondeur de cet oeil unique : il est composé de deux éléments : "kuklos, le cercle" et "ops, l'oeil."
On reconnaît le premier radical de ce mot, dans les noms "cycle, cyclique, cyclomoteur, bicyclette." Et on retrouve le terme "ops" dans ces vocables "optique, opticien, ophtalmologie..."
L'oeil rond du Cyclope fait de ce personnage un être à part, une sorte de monstre qui n'a pas d'humanité et qui se conduit de manière indigne.
Confronté à ce géant hors norme, Ulysse montre toute son habileté et son inventivité : il parvient à abuser Polyphème, prétendant qu'il se nomme "personne", "outis", en grec, et quand les autres Cyclopes l'interrogent, au moment où le monstre aveuglé lance des appels de détresse désespérés, il s'écrie : "c'est personne !"
Et les autres Cyclopes le laissent seul face à son désespoir...
En tout cas, voilà un personnage digne de figurer dans les contes de notre enfance : effrayant, mystérieux, il suscite une peur panique.
On le voit : ce personnage est, en fait, un symbole, il représente une forme d'inhumanité...
Insensible à la pitié, il refuse de se plier à des règles de respect, de convivialité.
Ulysse confronté à cette altérité totale, à un être d'une grande cruauté, peut grâce à cet épisode évoluer...
Cette rencontre lui permet de surmonter et de vaincre ses peurs et ses angoisses.
Ainsi, l'Odyssée apparaît comme un véritable voyage initiatique qui offre au héros la possibilité de progresser.
Nous éprouvons tous des peurs qu'il nous faut dépasser pour mieux vivre...
L'Odyssée est bien une leçon de vie : le sage est celui qui parvient à dompter ses peurs, il peut alors accepter la finitude humaine car il arrive à vaincre la peur ultime, celle de la mort.
"L'histoire d'Ulysse est celle d'un homme qui va de la guerre à la paix, de la haine à l'amour, du chaos à l'harmonie, de l'exil au retour chez soi, bref, il va de la vie mauvaise à la vie bonne. Ce n'est donc pas seulement une épopée magnifique, dont les épisodes sont encore enseignés dans les écoles du monde entier vingt-huit siècles après sa première apparition, mais c'est surtout la matrice de toute l'histoire de la philosophie." Luc Ferry
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