Cette chanson poignante de Jean Ferrat se présente sous la forme d'un discours où alternent première et deuxième personne du singulier : le poète s'adresse avec pudeur, simplicité, tendresse à un être cher.
Il exprime d'abord un souhait et un regret marqué par le conditionnel passé : "J'aurais bien voulu te prendre
Avec nous comme autrefois..."
La réalité est pourtant venu briser ce souhait : "Mais Suzy m'a fait comprendre
Qu'on est un peu à l'étroit."
Le discours est familier, protecteur : c'est comme si le poète s'adressait à un enfant...
"Il faut être raisonnable
Tu ne peux plus vivre ainsi
Seule si tu tombais malade
On se ferait trop de souci..."
Mais, on comprend, avec l'évocation de la maladie qu'il s'agit d'une personne âgée, en fin de vie.
Le refrain, avec l'emploi du futur de l'indicatif, "Tu verras, tu seras bien" se veut convaincant et persuasif.
Et le discours tenu ne laisse aucune place à une réponse, comme si la personne âgée était privée de paroles et de droit de décision....
D'ailleurs, aussitôt, il est question de "trier les affaires, les photos auxquelles tu tiens", résumé d'une vie entière qui "peut tenir entre les mains...", dit le poète, soulignant ainsi le côté dérisoire de l'existence humaine.
Et aussitôt, le locuteur suggère au futur ce que pourra être la vie auprès des "autres pensionnaires", avec lesquels il sera possible de parler sans fin de ce sujet : les photos, la famille.
Le terme même de "pensionnaires" qui renvoie à l'enfance est terrible pour une personne adulte... et c'est pourtant le mot qui convient.
Les sujets d'inquiétude sont aussitôt écartés : "le chat qui s'agite" sera recueilli par les voisins... "le serin qui chante à tue-tête" sera accepté par "le directeur" de l'établissement, encore un terme qui fait songer au monde de l'enfance, à l'école.
Et la suite du discours qui se veut rassurante est terrible :
"T'auras plus de courses à faire
De ménage au quotidien
Plus de feu en plein hiver
T'auras plus souci de rien..."
Les négations qui se multiplient évoquent une sorte de néant auquel est réduit l'individu, jusqu'au mot "rien" qui résonne comme un anéantissement total.
Puis, le locuteur énumère tous les avantages promis à la vieille dame, afin de mieux la convaincre :
"Y a la télé dans ta chambre
En bas y a un beau jardin
Avec des roses en décembre
Qui fleurissent comme en juin..."
Puis, viennent les promesses des visites du Dimanche... des promesses de sorties, de fêtes, avec une sorte de retour dans le passé, comme si le temps était aboli...
"Et puis quand viendra dimanche
On ira faire un festin
Je me pendrai à ta manche
Comme quand j'étais gamin"
Et toutes ces promesses impliquent une sortie de cet univers dans lequel va se retrouver enfermée la vieille dame...
"Tu verras pour les vacances
Tous les deux on sortira
Là où l'on chante où l'on danse
On ira où tu voudras."
On perçoit implicitement un enfermement, un univers clos dont il faut sortir pour retrouver le bonheur de vivre : chanter, danser, aller où l'on veut...
La mélodie douce, mélancolique restitue un besoin de rassurer, de réconforter, afin de masquer la douleur de la décision...
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