Merveilleuse émission sur la poésie, présentée par François Busnel, lors de la Grande Librairie... ce mercredi 23 mars sur France 5.
Trois invités sur le plateau : Sophie Nauleau, Jean-Pierre Siméon, et Abdellatif Laâbi...
"Je ferai, oui, l'éloge de la poésie. Sans restrictions. Sans états d'âme. Parce que la poésie n'est justement pas le lieu de la demi-mesure. Je le ferai d'une voix pleine, vive s'il le faut. Parce qu'on ne peut admettre plus longtemps, n'est-ce pas, que les poètes, malgré les révérences qu'on leur fait de loin en loin pour se disculper de la désinvolture et de l'indifférence avec lesquelles on les traite ordinairement, soient renvoyés à leur étrange petit commerce particulier qui n'aurait rien à voir avec les affaires du monde", écrit Jean-Pierre Siméon en quatrième de couverture de son livre intitulé Petit éloge de la poésie.
Sophie Nauleau présente d'abord son ouvrage "S'il en est encore temps" qui célèbre l'éphémère...
Jean-Pierre Siméon rappelle cet aphorisme de René Char : "Si nous habitons un éclair, il est le coeur de l'éternel".
Et si on parlait de l'éclair, de l'arc-en-ciel, de la brièveté et même mieux de l'éphémère !
"Une éphémère : c'est aussi un petit insecte qui est très beau parce que c'est comme un sourire et les deux ailes sont rabattues, l'insecte ne peut pas ouvrir ses ailes, il ne va les ouvrir que dans la mort, dans un lâcher prise ultime, final.
L'adjectif "éphémère", lui, a souvent une connotation péjorative...
"En cherchant, on découvre que cet insecte est le plus vieil insecte ailé de la création et il a résisté à l'extinction de masse qui a tué les dinosaures ! Donc l'éphémère dure !
La poésie est en fait un révélateur..." nous dit Sophie Naleau.
"Tout poème est question, tout poète est un questionneur", commente Jean-Pierre Siméon. "Le poète est celui qui se pose des questions sur tout, sur ce qu'on croit savoir, ce qu'on croit bien connaître. Le poète est celui qui surprend notre habitude, qui dérange notre façon de voir, de comprendre.
Dès qu'on prend le temps d'interroger le mot, on s'aperçoit que c'est un univers plus complexe, plus multiple, c'est la vie, quoi. C'est le mouvement, la contradiction, c'est découvrir l'inconnu, c'est cela la poésie."
"On assiste à notre époque à une sorte de marginalisation de la poésie : aujourd'hui, quand on parle littérature, on pense tout de suite au roman." estime Abdellatif Laâbi...
"Ceux qui font l'opinion dans la plupart des pays ne font pas la promotion de la poésie.", précise Abdellatif Laâbi...
Et Jean-Pierre Siméon développe cette idée :
"La poésie n'est pas au coeur de notre compréhension de la vie sociale comme elle devrait l'être. C'est pourtant un genre majeur, c'est plus qu'un genre majeur, la poésie, c'est un diapason pour penser notre vie individuelle et notre destin collectif. Et si la poésie a disparu dans notre monde occidental industrialisé, c'est en raison des modes socio-économiques qui nous gouvernent depuis des années, qui sont ajustés à trois totems : le pouvoir, l'avoir et le paraître, mais surtout l'avoir, parce que l'avoir engendre la volonté de pouvoir, la prédation, la domination, l'asservissement, l'exploitation, et le paraître est un instrument de tout cela.
Et, ça, c'est antinomique de la poésie... la poésie gêne parce qu'elle définit une autre façon d'habiter le monde.
La poésie est un combat.
Actuellement, nous n'habitons pas le monde, nous sommes sous l'asservissement d'obligations, nous sommes enfermés dans des mécanismes qui ne nous laissent aucun moment de respiration, nous courons, nous nous divertissons. C'est un gâchis énorme, nous sommes enfermés dans des rôles, des obligations, des fonctions, tout le monde souffre de ce modèle.
Que vaut la santé du corps, si l'âme est morte ? Nous oublions l'essentiel de la vie, ce qui nous donne de la joie.
La seule lecture d'un poème nous fait renouer avec la part perdue de l'existence, le feu de l'existence...
La vie intense que nous cherchons tous dans l'éphémère de l'amour, c'est ça qui nous fait vivre profondément, qu'est-ce qu'on passe comme temps dans notre existence à ça, ce moment d'apnée, d'émerveillement, de stupéfaction devant un paysage, devant un visage ?
La poésie, c'est un combat de chacun, c'est un arrachement, c'est s'arracher à cette boue du réel qui nous prend les pieds.
Il faut se mettre dans un ralentissement, faire sécession avec un monde de bruit et de fureur...
Il faudrait que ce soit le diapason de notre vie.
La seule chose qui compte pour tous, c'est de vivre au mieux l'intensité de l'existence."
Magnifique et vibrant plaidoyer pour la poésie qui nous délivre, qui nous fait percevoir l'essentiel !