Les fables de La Fontaine, pleines d’enseignements, nous révèlent les réalités de la société du 17 ème siècle, mais elles évoquent, aussi, la condition humaine et ont une valeur universelle, comme la plupart des textes de cette époque…
La fable, court récit plein de vivacité, met souvent en scène des animaux personnifiés qui représentent des catégories sociales ou des défauts humains… Ce genre littéraire correspond bien à l’idéal classique, dans la mesure où il vise à "instruire et plaire", le récit comportant une ou plusieurs morales implicites ou explicites…
On perçoit bien toute la richesse de ce genre littéraire qui parvient à joindre l’utile à l’agréable : le récit fait intervenir des portraits, des descriptions, des discours directs, dialogues ou monologues, le récit est vivant, animé, plaisant. La morale ou les morales se déduisent du récit ou peuvent être exprimées directement, au début ou à la fin de la fable.
Nul animal dans la fable intitulée : La mort et le bûcheron, La Fontaine évoque un pauvre paysan du 17ème siècle... on le voit avancer lentement, chargé d’un fagot de bois : sa démarche est pesante, lourde, on perçoit sa misère physique, morale et sociale : il est âgé, accablé par le poids de sa charge, il se dirige péniblement vers sa "chaumine enfumée".
La Fontaine nous fait voir ce bûcheron dans son travail quotidien : les premiers vers du texte nous peignent le portrait d’un homme affaibli qui a des difficultés à avancer. Les alexandrins entrecoupés de césures, soulignent la lenteur et la pesanteur de la marche, ainsi que les nombreuses voyelles nasalisées qui ponctuent le début du texte : "bûcheron, ans, gémissant, pas pesants, n’en pouvant plus, songe".
Les imparfaits "marchait, tâchait" viennent souligner la lourdeur de son travail.
Cette peinture, pleine de réalisme, d'un paysan accablé de fatigue ne peut que susciter la pitié du lecteur, le personnage nous émeut, dans toutes les difficultés qu'il éprouve.
L'emploi des présents de narration, "Il met bas son fagot, Il songe" permet d'actualiser la scène, comme si elle se déroulait sous nos yeux.
Dès lors, ce paysan s’arrête et s’interroge : on entend son monologue intérieur, dans un discours indirect libre, sous forme de débat et de questions, il évoque sa misère, son désarroi et se demande même s’il a accès à un quelconque plaisir en ce monde… Pauvreté, absence de nourriture et de repos… sa vie lui paraît sans intérêt, il énumère, alors, tous les soucis qui l’accablent : les" impôts, la corvée, le créancier" et, aussi, en premier lieu,"sa femme, ses enfants". On le voit : même les occasions de joie et de bonheur deviennent sources d’inquiétude et d’angoisse, pour ce paysan du 17ème siècle, car il lui faut nourrir une famille…
Les réalités sociales de l’époque sont évoquées, notamment "la corvée, les créanciers".
Devant tant de malheurs et de souffrances, l’homme appelle la Mort, la demande est faite, dans un cri spontané, presque irréfléchi, comme le montre la brièveté de la demande : "Il appelle la Mort."
La Mort ne se fait pas prier, et, aussitôt, on assiste à un revirement du paysan, il trouve un prétexte et demande simplement à la Mort de l’aider à recharger son bois sur ses épaules.
On peut remarquer l’extrême sobriété du récit dans cette évocation de la Mort : aucune description détaillée, aucun effet de terreur, la littérature classique se caractérisant par une grande pudeur dans l’expression.
La morale de cette fable aurait pu être essentiellement sociale et aurait pu souligner l’injustice du sort réservé à ce paysan, mais La Fontaine s’attache plutôt à une morale universelle et humaine : « Plutôt souffrir que mourir,/C’est la devise des hommes »
L’homme a peur de mourir, est viscéralement attaché à la vie, telle est la leçon qui est ici dégagée… C’est bien une morale qui concerne les hommes de tous les temps.
Au passage, on peut noter que la fable s’ouvre sur un singulier, "Un pauvre bûcheron" et s’achève sur un pluriel, "des hommes". On perçoit bien là une volonté de généraliser et de donner une valeur universelle au texte.
La Fontaine parvient donc, à travers cette fable, à délivrer plusieurs messages : l’extrême misère des paysans de l’époque, l’injustice qui les accable, et aussi l’attachement profond de l’homme à la vie.
Il le fait, grâce à un portrait plein de vie et de justesse d’un simple paysan qui représente, aussi, tous les hommes…
"Plutôt souffrir que mourir"… Ne doit-on pas voir, aussi, dans cette phrase, une forme de conservatisme propre à la société du 17ème siècle ? Une société où la révolte n’était pas encore de mise, où il fallait accepter son sort, la misère, les injustices.
C’est bien là, aussi, le message de ce texte qui nous montre une société hiérarchisée, injuste, faite d’acceptation et de soumission pour le petit peuple.
Hélas, la misère, les injustices font encore partie de ce monde et, depuis La Fontaine, la situation des pauvres gens n'a guère évolué dans nombre de pays : on peut, donc, constater toute l'actualité et la modernité de ce texte...
Le texte de La Fontaine :
http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/jean_de_la_fontaine/la_mort_et_le_bucheron.html
Illlustrations : en haut de l'article, gravure de Gustave Doré
En bas, gravure de Lecomte Hippolyte