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17 mai 2024 5 17 /05 /mai /2024 11:39
Journées romaines...

Comme chaque année, au début du mois de mai, Nîmes est redevenue une ville romaine : avec son fort de légionnaires, des spectacles variés mettant en scène des Romains et des Barbares, des animations qui permettaient de découvrir la vie des Romains, leurs différentes activités...

 

Cette année, c'est le personnage de Germanicus qui était mis à l'honneur avec un grand spectacle dans les Arènes de la ville : Germanicus était un général très admiré et très populaire, qu'on a souvent comparé à Alexandre le Grand. Dans un décor exceptionnel, plus de 600 reconstituteurs venus de toute l’Europe ont fait  revivre l'histoire de la bataille de Teutobourg,  aussi appelée "massacre de Varus"  ou "massacre d'Arminius". Cette bataille a opposé en septembre 9 apr. J.-C., dans la forêt de Teutobourg, trois légions romaines commandées par Varus, gouverneur de Germanie, et une coalition de tribus germaniques ayant bénéficié de la trahison d'Arminius, commandant des troupes auxiliaires de Varus, prince chérusque éduqué à Rome, fait citoyen romain et formé dans l'armée romaine.

 

Cette bataille se solde par un désastre pour les Romains, la destruction des trois légions engagées dans l'opération. Malgré plusieurs campagnes au cours des années qui suivent, les Romains, alors dirigés par l'empereur Auguste, renoncent rapidement à leurs projets d'expansion dans les territoires situés à l'est du Rhin et instituent le système du limes.

 

À trente ans, (en 14) Germanicus se trouve à la tête de huit légions en Germanie pour venger la défaite infligée par Arminius à Varus, cinq ans auparavant. Il réussit à pacifier momentanément cette turbulente province jusqu'à l'Elbe. À la mort d'Auguste, les légions romaines proclament Germanicus empereur. Mais celui-ci, légaliste, refuse cette charge.

C'est donc Germanicus, homme politique romain,  auteur d'importantes victoires contre les Germains qui était la vedette des Journées romaines de Nîmes...

 

De nombreux spectacles étaient accessibles aux Nîmois :

Soudain, on voyait défiler dans la ville une légion romaine, en costumes d'époque, en armes, bouclier à la main...

Un fort romain construit près des Jardins de la Fontaine était ouvert aux visiteurs : on y découvrait, par exemple, l'art de la fresque, des portraits, de magnifiques natures mortes, l'art de la poterie avec des vases étrusques, des lampes à huile, des céramiques décorées, des bijoux, l'art du tissage, le travail du cuir.

 

Un stand était réservé à la table romaine : légumineuses, lentilles, pois chiches, fèves, légumes, carottes, oignons, haricots, figues, huile d'olive...

"Les légumineuses, consommées par tous, étaient extrêmement populaires, puisqu'elles conjuguent tous les atouts : idéales pour la culture, quelle que soit la nature du sol, économiques, faciles à conserver, à transporter, roboratives à l'envi, elles sont aussi simples à cuisiner...", nous dit Martine Quinot Muracciole dans son ouvrage intitulé Rome, côté cuisine.

 

Les enfants pouvaient s'initier au tir à l'arc... ils pouvaient visiter des tentes de légionnaires, avec leurs armes, leur paquetage, leurs bagages...

On pouvait aussi s'intéresser à la religion, la magie... aux jeux des enfants romains : jeux à damier, osselets, toupies...

On pouvait découvrir les instruments de musique de la Rome antique : la flûte double, le tambourin, la lyre, le sistre.

 

Plus loin dans les Jardins, un atelier de couronnes végétales où les enfants pouvaient eux-mêmes composer ces couronnes.

Des enfants armés d'épées en bois et de bouclier simulaient des combats... 

Plus loin, un atelier de magie et de divination chez les Germains...

 

Un peu partout dans la ville, des spectacles consacrés à Germanicus, spectacles sérieux ou complètement loufoques permettaient dans tous les cas de s'intéresser à l'histoire romaine de Germanicus et de ceux qu'on appelait alors les Barbares...

 

 

 

 

 

 

 

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10 mai 2024 5 10 /05 /mai /2024 12:00
Quand passent les cigognes...

 

Invitée par l'association Cartes blanches, la comédienne Macha Méril a participé à une rencontre autour du film soviétique Quand passent les cigognes...

Elle présente ainsi le film :

"Je ne m'imaginais pas à quel point ce film serait d'actualité, et à quel point je suis contente de vous voir si nombreux pour le voir : non seulement, c'est un chef-d'oeuvre, mais c'est aussi un film très important, parce que c'est un film qui a été tourné en 1958, du temps de Khrouchtchev, au moment où la Russie s'est un peu desserrée, l'étau s'est un peu desserré et ça a donné quelques films extraordinaires dont celui-là... qui par la suite a gagné la Palme d'or à Cannes, parce qu'il a été repéré par Claude Lelouch qui était à Moscou, à ce moment-là, il faisait des reportages, il est allé sur le tournage de Kalatozov, il a trouvé ce tournage formidable, il est rentré à Paris, a parlé au directeur du Festival de Cannes, en lui disant : "Il faut absolument l'inviter."

Le cinéma est une matière vivante, ça bouge, on n'a pas tout le temps les mêmes réactions vis à vis d'un film. François Truffaut disait : "Il faut aller revoir les films." Il faut les voir et les revoir, parce que, nous, on change, le monde change, donc les films, on les voit différemment, et quelquefois, tout d'un coup, on découvre leur grandeur, on découvre même quelquefois leur actualité... c'est le cas de ce film.

Depuis quelque temps, on montre beaucoup moins les films russes : c'est très regrettable... avant, il y avait à Paris deux salles, l'Arlequin et le Cosmos où l'on pouvait voir tous les grands films russes... maintenant, étrangement, parce qu'il n'y a pas de vedettes connues, parce qu'il y a une inflation de films du monde entier, on voit beaucoup moins de films russes, alors qu'il y a des films remarquables.

Nous, avec notre association, nous montrons des films que même les Russes quelquefois ne voient pas parce que les cinéastes sont dans une telle situation en ce moment qu'il faut absolument qu'on montre leurs films et on me dit : "Quoi ! Le cinéma russe en ce moment !" ben oui, justement ! parce que les intellectuels et les artistes ont la double peine : la difficulté de faire leurs films en Russie, et en plus, la difficulté de ne pas pouvoir les montrer...

Notre festival s'appelle Pour une autre Russie, parce qu'il existe une autre Russie...

Ce film est tellement maîtrisé, tellement vrai et pourtant, d'une sophistication extrême : en 1958, il n'y avait pas les techniques d'aujourd'hui, et les plans qu'a réalisés ce cinéaste ! C'est un film très construit. Ils ont une école de cinéma extraordinaire en Russie ! Une école qui a formé les plus grands cinéastes.

Cela me fait aussi penser au cinéma japonais, à ce cinéma dont chaque image est un petit chef d'oeuvre, un tableau.

Ce film a été tourné au moment où la Russie s'ouvrait un tout petit peu, c'était après la mort de Staline et Khrouchtchev avait dévoilé les crimes de Staline, la société russe se desserrait un peu, ça a duré quand même quelques années, ça a procuré un cinéma formidable, des cinéastes ont éclairé cette période.

Il n'empêche que le film finit quand même dans une belle parabole soviétique : malgré son chagrin, l'héroïne se réjouit qu'ils aient gagné la grande guerre.

J'affectionne particulièrement le noir et blanc parce que je pense que le noir et blanc est une esthétique. C'est Orson Wells qui avait dit quand on lui a demandé de tourner en couleurs : "En couleurs, les gens ont l'air de jambons."

Quand j'ai tourné Belle de Jour avec Bunuel, c'était donc un film en noir et blanc, et huit jours avant le tournage, les producteurs lui ont dit : "On peut pas faire le film en noir et blanc parce que commercialement, on ne pourra pas."

Et Bunuel qui était un fin stratège et qui savait que pour l'exploitation, ça diminuait les possibilités, il a dit : "D'accord, mais il n'y aura pas de couleurs", et si vous regardez bien Belle de Jour, tout est en gris, beige, marron, etc. on a dû refaire toute la garde-robe de Catherine.

Le noir et blanc a une force particulière parce que cela nous rappelle des photos, de notre famille, de notre jeunesse, je suis sûre que chacun de vous a le souvenir d'une photo en noir et blanc qui reste dans le coeur et dans la mémoire.

Vous comprenez que ce thème de la grande guerre patriotique a occupé les écrans en Russie, très très longtemps. C'est un des thèmes que continue à brandir Poutine, comme si c'était vraiment le mérite gigantesque de la Russie, effectivement d'avoir vaincu les Allemands, sauf que ce qu'on oublie de dire, c'est que Staline a vraiment sacrifié son armée, il y a eu 20 millions de morts inutiles parce qu'on envoyait tous ces jeunes au front, exactement comme ça se passe maintenant en Ukraine avec Poutine... Et même quand par hasard, ils refusaient d'aller au front, il y avait le NKVD qui est l'ancêtre du KGB et du FSB d'aujourd'hui qui fusillait ceux qui refusaient d'aller au front, parce qu'ils n'étaient pas armés, ils savaient qu'ils allaient à la mort. Donc, il y a eu cette cruauté incroyable, inutile, ils auraient probablement gagné même sans cette cruauté.

C'est une guerre qui a vraiment marqué : toutes les familles russes ont eu un ou deux ou plusieurs morts de cette grande guerre patriotique.

Et le talent de Staline a été de retourner ça en fait de gloire et de grande fierté.

Pourquoi j'ai choisi ce film ? Je pense que vous ne l'auriez pas vu sans moi, peut-être, parce que non seulement c'est du grand cinéma et parce que je pense que le cinéma va au delà de nos propres désirs, c'est à dire qu'il y a une intimité avec un gros plan au cinéma qui est plus forte que l'intimité que vous avez avec les gens avec qui vous vivez... parce que cela vous va directement dans le coeur.

Et il y a dans ce film en particulier un soin, alors c'est une grande école d'acteurs, qui est d'être absolument vrai. Nous, l'école européenne, c'est le "mentir vrai", c'est à dire mentir à un point tel que ça a l'air vrai... pas là, là ils étaient dans une recherche d'authenticité. Dans le jeu de tous les personnages, il y a une authenticité qui est tout à fait unique.

Et puis, ça a l'air très simple, l'histoire d'une fille qui se fait embobiner par son cousin, mais en réalité le film est d'une très grande sophistication, et même dans le montage, la façon dont c'est raconté, qui était d'avant garde. On n'a pas le sentiment que c'est un film vieillot. A cause de cette formidable caméra, de ce mouvement perpétuel, on n'a pas le temps de s'ennuyer.

Je suis une fervente de la musique au cinéma, et je pense que la musique et le cinéma sont les deux arts qui sont le plus proches, parce que ce sont des durées.

Il y a en plus une sorte de description des sentiments humains qui, à mes yeux, est extrêmement originale, parce que les personnages ne sont jamais ni bons ni mauvais, ils ont tous des aspirations à la vie, à la beauté, et en même temps, ils sont un peu faibles et crapules, donc je trouve que c'est un portrait de l'humanité très réussi.

Ce que je trouve très réussi dans la photo de ce film, c'est qu'il y a beaucoup de clair-obscur, on voit bien qu'il n'y avait pas beaucoup d'éclairage, et on a exploité cette atmosphère.

Dans la société russe, un artiste, une grande chanteuse, une grande actrice sont considérés comme des dieux vivants, il y a une sorte de vénération de l'art et je vais vous expliquer l'origine de cela : c'est ma version, je descends d'une très grande famille qui remonte au IXème siècle... mon ancêtre, Vladimir le Rouge, un des premiers tsars de Russie... les premiers tsars étaient des princes suédois qui étaient descendus de la Volga, ils étaient beaucoup plus civilisés que toutes les peuplades qui peuplaient la plaine de Kiev, les Rus étaient païens, nomades, et les Suédois ont voulu les sédentariser, et alors cet ancêtre a voulu trouver une religion pour fédérer toutes ces peuplades, alors il a fait son marché... déjà l'Islam, ce n'était pas possible, ils ne boivent pas, les catholiques, déjà ils se haïssaient, pas question et il y avait une religion qui était pratiquée par les Khazars, qui en fait sont les ancêtres des ashkénazes, des gens qui avaient adopté la religion hébraïque sans être sémites, là dessus, il fait un grand voyage à Constantinople, et on lui met dans les pattes une belle Théodora, on l'emmène dans les églises : c'étaient les ors, l'encens, les chants, il a trouvé tout ça formidable... il a donc adopté l'orthodoxie.

Et qu'est-ce qu'il a ramené à Kiev ? C'est le théâtre, l'art, l'expression et je crois que c'est une clef pour comprendre le peuple russe, c'est que l'art est pour eux presque religieux, et la religion elle-même est un spectacle... je ne sais pas si vous avez entrevu les obsèques de Navalny : c'est quelque chose de bouleversant, c'est un peu archaïque avec le cercueil ouvert, c'est comme ça dans la tradition orthodoxe... ils ont une capacité de rejoindre l'absolu, l'éternel et donc, ils ont cultivé les arts.

 

Ce film, je l'ai vu un peu autrement, à cause de tout ce qui se passe en ce moment, évidemment et j'ai été tout à fait bouleversé par le courage des gens qui sont allés à cet enterrement parce que, jamais, même sous Brejnev, même sous Staline, la Russie n'a été aussi bouclée, aussi enfermée, aussi terrorisée... donc, l'espoir que j'ai, c'est que le mythe que va devenir Navalny, ce grand sacrifice qu'il a fait de sa personne, de sa vie, c'est "no return", je pense que c'est vraiment quelque chose qui va transformer la société russe... ça prendra peut-être du temps, mais vous savez, les dictateurs, cela ne dure jamais et on a des exemples de retournements colossaux, on a la fin du nazisme... tout le peuple allemand avait hurlé avec Hitler, et puis, tout d'un coup, en l'espace de quelques mois, ils ont rejeté le nazisme... la même chose pour Pinochet, en 3 semaines, il n'y avait plus de suiveurs... je ne sais pas ce qui va lui arriver à Poutine, mais cela peut tomber tout seul. Et je pense que cette page de Navalny, c'est un grand événement... je pense que c'est une page déterminante dans l'histoire de la Russie

 

Imaginez vous qu'un jour j'ai croisé Navalny : un jour, j'étais au festival de Moscou, c'était en 2019, je sors d'un musée et je vois un bel homme avec un jeune garçon. Je dis à ma guide : "Mais, c'est Navalny ?" Elle me dit :"Oui" et elle se carapate, elle s'en va. Moi, je voulais le voir, je lui dis : "Vous êtes Alexeï Navalny ?"

Il me dit : "Oui" et alors, il était très étonné que je le reconnaisse... "Alors, en France on me connaît ?" "Bien sûr qu'on vous connaît." On a eu le temps de bavarder un petit peu, il allait au musée avec son jeune garçon.

Je lui ai posé cette question : "Mais vous n'avez pas peur ?" Il m'a dit : "Je n'ai pas le droit d'avoir peur." Et je lui ai demandé s'il pouvait être entendu par les Russes. Il m'a répondu : "Oui, parce que je ne suis pas un extrémiste, je ne suis pas radical, je parle aux Russes, comme ils sont maintenant."

 

En Russie, la répression est très forte... Poutine dit qu'il va combattre le nazisme, mais le nazisme, c'est lui. Dès l'enfance, les enfants apprennent à devenir des soldats, à combattre. Donc, le chemin est long mais j'ai confiance. Je pense que le peuple russe est un peuple inventif, créatif et le fait qu'ils aiment les arts, c'est une arme."

 

 

Pour mémoire :

 

"Quand passent les cigognes est une histoire d’amour sur fond de Deuxième Guerre mondiale, une diatribe sur la guerre, un mélodrame psychologique sur les choix d’une femme et les conséquences de sa décision. Le film a souvent été qualifié de mètre étalon, de référence par les historiens du cinéma. Des qualificatifs qui peuvent parfois rebuter un spectateur qui s’attend dès lors à un cinéma inaccessible. On est loin du compte. Plus qu’un exercice de style, c’est une splendide histoire d’amour que nous offre Kalatozov.

Le film a surpris la critique internationale par sa rupture avec le cinéma de propagande que la Russie avait coutume de proposer."

 

« Cartes blanches » est une association que l’on doit à deux passionnés, Jean-Noël Grando historien du cinéma et Rodolphe Faure de Radio France, qui a pour objectif d’organiser des soirées de cinéma avec des personnalités. Une association basée dans le département du Gard. Un concept simple, une personnalité, un film, une soirée de partage. L’invité de la soirée choisit un film qui a marqué sa vie, vient en parler et échanger à ce sujet avec le public. Un film culte, de référence ou un vrai coup de cœur mais qui ne fasse pas partie de sa propre filmographie. 

 

 

 

 

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19 avril 2024 5 19 /04 /avril /2024 12:01
Le fabuleux destin de Jean-Baptiste Tavernier...

 

Un homme qui cultivait l'exotisme, qui aimait bien se mettre en scène dans les tenues des pays qu'il fréquentait... un garçon très peu connu, une sorte de Marco Polo ignoré... Il s'appelle Jean-Baptiste Tavernier...

Pierre Ménard est venu présenter son ouvrage intitulé Le chasseur de diamants. Les fabuleuses aventures de Jean-Baptiste Tavernier, lors du Festival de la Biographie :

"Un homme connu seulement des connaisseurs de diamants... mais qui a vie assez fascinante. C'est un libraire au départ, fils de graveur qui a un inconvénient pour un libraire, ce qui lui rendait la vie très dure, c'est qu'il détestait lire...

Il était tout de même fasciné par les livres de voyage et un jour, dès qu'il a terminé sa période chez le libraire qui l'employait, il s'est dit : plutôt que lire des livres de voyages, je vais voyager moi-même.

Il est né en 1605, et en 1623, sous Louis XIII, il part avec son petit baluchon pour l'Europe, il découvre un monde qui est en pleine mutation, notamment en Hollande : il y a énormément d'échanges, beaucoup de richesses qui arrivent d'un peu partout dans le monde...

C'est quelqu'un qui navigue à vue : il se laisse porter par les événements, il fait des rencontres, il tombe à moitié amoureux de la femme d'un colonel de l'armée allemande, il s'engage dans l'armée, il combat d'abord les catholiques, après il va chez les protestants, puis il repasse chez les catholiques...

C'est l'époque de la guerre de Trente ans : tout le monde se bat en permanence...

Lui a des formules assez amusantes : il raconte que la guerre est bonne, il voit des personnages qui se font étriper devant lui, tout le monde se fait tuer, mais ça l'amuse beaucoup. Il combat dans énormément d'armées et à un moment, il rencontre le père Joseph qui est le bras droit de Richelieu. Et très vraisemblablement, le père Joseph souhaite l'employer comme espion, parce que la France a un grand projet : depuis des années, la France se fait sortir du commerce oriental qu'elle contrôlait en partie puisqu'elle avait un gros avantage en Méditerranée, et donc Richelieu souhaite absolument remettre la main sur ce commerce qui est pris par les Anglais et les Hollandais...

Tavernier, sans doute en tant qu'espion, est chargé d'aller voir un peu ce qui se passe en Perse.

Tavernier voyage absolument partout, il voyage à cheval, il voyage à pied, il voyage en bateau, il lui arrive chaque fois des aventures extraordinaires... dans les montagnes, les chevaux crèvent sous lui, il voit des Tartares qui se jettent sur la carcasse de son cheval, c'est le premier steak tartare qui est décrit dans la littérature !

Il raconte avec délectation des scènes de combat où les gens s'étripent devant lui, on voit des Tartares en train de dépecer le cheval et de le mettre sous leur selle et il dit qu'il est alors incapable de manger de la viande pendant une semaine.

A cette époque, la Perse est redevenue un grand empire, la Perse est une plaque tournante du commerce oriental très important notamment pour les épices, ce qui permet d'accumuler des fortunes phénoménales, donc la Perse est une route d'entrée terrestre vers les Indes. D'où cette idée d'aller remettre la main sur le commerce persan qui a été trusté par les Anglais et les Hollandais.

Honnêtement, on ne sait pas exactement ce qu'a fait Tavernier à ce moment-là. Il raconte qu'il a écrit des rapports... j'ai regardé aux archives, je ne les ai pas trouvés.

Tavernier a écrit un livre qui n'est pas vraiment merveilleux, en fait, ce n'est pas lui qui l'a écrit... mais c'est quand même mal écrit. Louis XIV lui a demandé d'écrire ses mémoires pour donner le goût du commerce aux Français. C'est une sorte de guide Michelin de l'époque, de guide du routard. C'est honnêtement assez mal écrit avec beaucoup d'erreurs, tout est faux... quand on est biographe, on se demande s'il a voulu nous nuire... je ne sais pas si c'est un mensonge ou si c'est son nègre qui a voulu se venger puisqu'ils ont été beaucoup en conflit, mais tout est faux partout : il n'y a aucune date qui coïncide, il se trompe d'année à chaque fois.

On arrive à retracer son parcours parce qu'il a été suivi de près par des espions, notamment par des Hollandais.

Après la Perse, il arrive en Inde, et ensuite il va descendre jusqu'à Ceylan, il passe toute sa vie à voyager, il revient de temps en temps en France, il a besoin d'accumuler de l'argent pour investir dans ses voyages, notamment racheter des diamants. Il a parcouru à peu près les deux tiers de la distance de la terre à la lune.

Effectivement, il parcourt les Indes, c'est là qu'il découvre les diamants et il ira jusqu'à Ceylan où il retrouvera son frère qu'il avait envoyé là-bas en éclaireur. Tavernier veut participer à la création de la Compagnie française des Indes qui était, en fait, en concurrence avec lui. Lui faisait ses petits trafics, il était très content qu'il n'y ait pas de Français, il a tout fait pour les discréditer, la moitié de son livre raconte des horreurs sur les envoyés de la Compagnie des Indes qui sont radins, qui sont tous alcooliques, dépressifs, qu'on va ramasser dans les caniveaux au petit matin parce qu'ils sont complètement saouls... il envoie ça à Louis XIV pour se faire bien voir...

On connaît surtout Tavernier pour ses diamants, dans ses voyages, il trafiquait beaucoup de diamants, il a trafiqué d'absolument tout, des métaux, de l'opium même, et le gros avantage des diamants, c'est que vous transportez d'énormes sommes d'argent de manière très discrète.

Il voyageait souvent avec une vingtaine d'hommes armés étant donné les quantités de biens précieux qu'ils convoyaient. Les diamants, ça se mettait dans la doublure d'un manteau, ça passait complètement inaperçu.

Il en a rapporté notamment de son sixième voyage- il vient de se marier, il a alors 58 ans, c'est son premier mariage avec la fille d'un joailler qui s'appelle Jean Goisse, ça prédestine le voyage ! et le voyage se passe assez mal, il force sa femme à venir, elle était assez âgée et assez laide...

Il parle avec vraiment beaucoup de compliments des femmes orientales, on peut imaginer qu'il s'est passé quelque chose, même s'il dit le contraire. On a des témoignages de Boileau, de gens qui l'ont connu à Paris, à son retour, et qui racontent qu'il était extrêmement graveleux, désinhibé par les 50 ans de voyages qu'il avait faits et qu'effectivement il racontait ses aventures avec des femmes aux Indes.

Aventurier, découvreur, trafiquant, il est tout ça, mais il n'est pas écrivain... c'est quelqu'un qui était extrêmement libre, il avait le goût du voyage et le goût de l'argent puisqu'il a fait une fortune abyssale.

Dans son dernier voyage, quand il a épousé la fille de Jean Goisse, il la kidnappe un peu, il l'emmène avec lui, elle arrive à s'échapper dès qu'ils arrivent dans l'empire Ottoman, elle rentre à Paris, et lui poursuit jusqu'aux Indes, il veut faire la plus belle cargaison de diamants qui ait jamais été faite, et donc il rassemble mille diamants là-bas, les plus beaux diamants. Il était encore en concurrence avec les Hollandais qui lui ont fait de mauvais coups puisqu'ils l'ont dénoncé aux douanes, donc il fait tout pour s'échapper et il arrive à rentrer en France avec un millier de diamants.

Et si vous avez vu le film Titanic, il y a un diamant bleu, c'est inspiré du diamant bleu qui a été rapporté par Tavernier.

Tavernier revend ses mille diamants à Louis XIV qui aime beaucoup les diamants. Il a fait une fortune immense, il a pris goût au luxe : il s'est acheté un immense hôtel particulier à Paris, il a fait construire un grand château en Suisse avec une sorte de bulbe oriental.

Au bout d'un moment, il s'ennuie un peu, Louis XIV lui ordonne d'écrire ses mémoires, et Tavernier force un collaborateur (qui écrit d'ailleurs très mal) à écrire...

Comme il veut continuer à commercer, il met tous ses efforts sur son neveu, il lui donne la moitié de sa fortune, et puis le neveu est victime d'une attaque, on sait qu'il arrive en Perse, et après, plus de nouvelles... le neveu, en fait, est parti avec la caisse ! Lui qui a passé sa vie à tromper tout le monde se fait encore berner par un aventurier qui se fait passer pour le fils caché du shah de Perse et qui lui dit : "Moi je vais chercher la fortune qui vous a été volée, donnez-moi donc le reste de votre fortune et je vais vous aider à l'attraper." Et évidemment, il part avec l'argent à Moscou, et Tavernier qui a plus de 80 ans part chercher cet aventurier et son neveu, mais il meurt en cours de route."

 

Un personnage célèbre en son temps qui a sombré complètement dans l'oubli... un personnage d'aventurier optimiste qui a toujours eu confiance en lui... un personnage haut en couleurs qui mérite d'être redécouvert...

 

 

L'histoire du diamant bleu :

https://www.lavoixdunord.fr/900843/article/2020-11-30/titanic-la-veritable-histoire-du-coeur-de-l-ocean-connu-sous-le-nom-de-hope

 

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12 avril 2024 5 12 /04 /avril /2024 11:54
De la cruauté en politique...


Cruauté et politique : il serait présomptueux de vouloir traiter ce thème dans toute son amplitude historique alors que depuis la plus Haute Antiquité les hommes ont eu une singulière tendance à obéir à l'impératif "Massacrez-vous les uns les autres !"
Si la cruauté est de toutes les époques, elle est aussi de tous les continents, même si l'ouvrage dirigé par Stéphane Courtois privilégie l'Europe " de l'Atlantique à l'Oural ", un espace géo-politico-culturel qui nous concerne au premier chef.

Stéphane Courtois est venu présenter son livre De la cruauté en politique lors du Festival de la Biographie... un ouvrage collectif puisque vingt-quatre auteurs ont participé à la rédaction.

"La cruauté commence presque déjà avec Cain et Abel et ensuite cela prend des proportions gigantesques... au départ, c'est un colloque international que j'ai organisé et cette idée m'est venue, il y a déjà pas mal d'années, parce que j'étais un peu énervé par mes collègues historiens qui travaillent sur la première guerre mondiale, sur la deuxième guerre mondiale, sur la shoah, ils ont toujours du mal à nommer les choses...

"Il y a eu de la violence, il y a eu de la violence extrême, il y a eu des exactions..." disent-ils. Mais parlons de ce qui s'est réellement passé : la cruauté... le mot "cruauté" vient du latin "crudelitas" et en latin "crudelitas", c'est la chair sanguinolente, là, on est dans le coeur du sujet.

 

Pour m'amuser dans l'introduction, j'ai évoqué une phrase que j'avais trouvée dans Le Figaro qui parlait de la cruauté des remaniements ministériels... oh ! cela m'avait fait beaucoup rire !

Ce n'est pas de cela qu'on parle dans ce livre... dans ce livre, on parle vraiment de la cruauté réelle, c'est à dire toutes les relations entre la question du pouvoir et puis le fait d'assassiner, de torturer, de violer, etc. qui est le propre de la cruauté.

Bien entendu, n'importe quel gouvernement doit avoir la force, on parle des forces de l'ordre, et la force est un élément positif... si vous n'avez pas la force, vous ne pouvez pas gouverner.

La violence, c'est déjà autre chose. La force est légale, la violence, ce sont des actes illégaux qui sont des atteintes aux personnes, des pressions, des intimidations...

La cruauté, c'est encore autre chose, parce que c'est, d'une part, la chair sanguinolente, c'est vraiment l'assassinat, et puis, il y a un élément supplémentaire dans la cruauté qui est l'élément du plaisir : le bourreau, celui qui assassine prend du plaisir à assassiner ses ennemis. C'est quelque chose qu'il faut avoir bien en tête, surtout au XXème siècle. Cela dit, il n'y a pas que le XXème siècle.

 

Dans ce livre, j'ai recruté des collègues et amis, surtout des historiens, des professionnels, depuis l'antiquité avec Eric Teyssier qui a écrit un chapitre sur la gladiature... tout le monde est persuadé à cause des péplums que la gladiature, c'est abominable, c'est d'une cruauté épouvantable, avec du sang partout... Que nous raconte Teyssier ? Pas du tout, la gladiature, c'étaient des choses très codifiées...

La cruauté est d'abord liée à la nature humaine, parce que, si chacun se regarde un peu dans la glace, n'a-t-il pas eu un jour l'envie d'étrangler un ministre, un président, un professeur, que sais-je, un voisin  ? 

ça, c'est quelque chose qui est vraiment dans la nature humaine. Dans la relation à la politique, il est tout à fait clair que depuis la haute antiquité, depuis la guerre de Troie, la violence, la violence extrême, la cruauté, c'est à dire le plaisir d'exterminer ses ennemis a été constante.

 

Et il faut bien dire que c'est plutôt dans la période la plus récente depuis le milieu du XIXème siècle, que la progression des régimes démocratiques a quand même contribué à rejeter aux limites extérieures de la société la cruauté dans le cadre de sa relation au pouvoir.

 

Bien sûr, vous ne pouvez pas empêcher des citoyens pour des raisons lambda de s'entretuer, ce sont des affaires privées, mais pour ce qui est du pouvoir, la démocratie parlementaire justement en concentrant les conflits au sein d'une enceinte réglementée, le parlement, une constitution, le vote qui donne un certain état des rapports de force qui est accepté par les partis, a quand même contribué à rejeter très fortement vraiment le plus loin possible du centre de la société, et du pouvoir de l'état, ce qu'était la cruauté.

 

C'est quand l'état est faible que les éléments de cruauté peuvent se multiplier.

Par exemple, au Haut Moyen âge, l'état monarchique est très faible, et il y a toutes sortes de petits barons, de petits chevaliers qui règnent sur leurs territoires, ils sont particulièrement cruels et ils agissent en toute impunité. Même certains hauts personnages de l'état, à commencer par le fameux Gilles de Rais qui est le compagnon de Jeanne d'Arc, connétable de France, qui a commis ensuite des crimes abominables, des assassinats d'enfants.

Mais finalement, quand l'état monarchique est assez fort, il commence à mettre de l'ordre, il commence à mettre les petits méchants au pas, et même dans l'affaire de Gilles de Rais qui est pourtant un notable extraordinaire, eh bien, à un moment donné, l'église a dit : "ça suffit !" On le fait arrêter, et on le remet à l'état monarchique qui l'a fait condamner en bonne et due forme.

Pas assez d'état provoque de très nombreux actes de cruauté parce qu'il y a des petits pouvoirs qui sont incontrôlables et qui agissent en toute impunité.

 

Par contre, l'effet inverse est encore plus dramatique : quand l'état devient tout puissant, et au XXème siècle Dieu sait si on a eu des états tout puissants, que ce soit le nazisme, que ce soit le communisme, alors là on atteint des niveaux de cruauté qui étaient inconnus jusque là.

Des millions de morts dans des conditions abominables, il suffit de voir l'extermination des juifs, il suffit de voir comment le camarade Staline se conduisait avec les paysans Ukrainiens, avec la fameuse famine de 1933 qui fait mourir de faim 5 millions de paysans, hommes, femmes et enfants en dix mois, de manière tout à fait volontaire.

On trouve aussi la cruauté dans les guerres civiles... en cas de guerre civile, l'état est affaibli par la force des choses, donc on a alors un affrontement entre deux parties qui en général vise à l'extermination d'une des deux parties : par exemple la Saint Barthélémy, la population parisienne devient enragée contre les protestants, c'est une tuerie incroyable entre "chrétiens", entre guillemets...

C'est vrai que les guerres civiles sont des moments de cruauté extrême, alors que pendant la guerre de 14, la cruauté n'est pas tellement présente, c'est une guerre qui a fait énormément de morts de tous les côtés... dans les premières semaines, c'est vrai qu'on se tue de près, à la baïonnette, mais ensuite on se tue de loin à coups d'artillerie... mais il y a un code très important : on n'extermine pas les prisonniers... mon grand-père a été blessé pendant la guerre de 14, il s'est fait ramasser par les Allemands, il a été soigné et en 1918, il est rentré.

 

Ce point est très important : en temps de guerre, est-ce qu'on massacre des civils ?

Comme vous le voyez avec ce qui se passe au Moyen Orient, nous sommes en plein dedans, il y a eu une attaque extraordinaire contre Israël le 7 octobre et à partir de ce moment on a d'autres actes de cruauté, il est très difficile d'ailleurs de départager, de dire qui a tort, qui a raison...

C'est un des problèmes de la cruauté : quand les phénomènes de cruauté se déclenchent, en général ils sont  contagieux, c'est à dire qu'on rentre dans un enchaînement qu'il est extrêmement difficile d'arrêter.

Regardez la deuxième guerre mondiale : les nazis sont partis dans un déchaînement pas seulement de violence, mais de cruauté : ils ont martyrisé, torturé, assassiné des gens par millions. D'un autre côté, les Soviétiques ont fait la même chose, ils le faisaient déjà chez eux, ils l'ont fait dans les pays où ils ont pénétré, on ne faisait alors pratiquement pas de prisonnier.

Les Khmers rouges, un petit groupe de révolutionnaires, s'emparent du pays et ils tuent à peu près le quart de la population dans des conditions abominables. A Phnom Penh, il y avait un centre de mise à mort où quinze mille personnes ont été emmenées et il n'y en a pas une qui est sortie vivante, elles ont toutes été torturées à mort. Et Duch, le monsieur qui dirigeait ça a quand même été arrêté par la suite, il est passé dans un procès international, et il a expliqué : "Oui, c'est moi qui ai tenu ce centre, c'est moi qui ai formé tous les bourreaux à torturer pour obtenir des aveux complètement bidons d'ailleurs... et puis ensuite comment il fallait achever le travail, assassiner... Tout ça pourquoi ? Pour une idéologie... ça c'est un élément nouveau de l'histoire de la cruauté, l'émergence d'idéologies modernes, les grandes idéologies, communisme, nazisme, etc. qui légitiment non plus quelques crimes, quelques massacres, mais qui légitiment des crimes de masse, des crimes contre l'humanité.

Dans ce livre, vous avez un chapitre d'un collègue russe sur les bourreaux de Staline, un de ces bourreaux Vassili Blokhine a assassiné d'une balle dans la tête environ quinze mille personnes.

Vous avez des sadiques et des psychopathes et comme par hasard ce type de régime recrute ce type de personnes pour faire le travail. Chez un type comme Blokhine, il tue, cela ne lui pose aucun problème, c'est comme s'il allait au bureau, c'est comme s'il fumait une cigarette, il tue, il tue toute la nuit. Alors quel plaisir a-t-il ? Il a le plaisir d'être un bon communiste qui fait le travail qu'on lui demande de faire. Mais il a un autre plaisir : ce sont des gratifications très importantes... en tant que bourreau en chef, reconnu par Staline, il reçoit un ordre de Lénine, un ordre du drapeau rouge, avec chaque fois des gratifications financières importantes, il reçoit une montre en or, il reçoit une voiture, à l'époque dans les années 30, c'étaient des gratifications extraordinaires."

 

 

 

 

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1 avril 2024 1 01 /04 /avril /2024 12:05
"La chaise nous tue..."

 

On ne dira jamais assez les bienfaits de la marche : bienfaits pour la santé, bienfaits pour la pensée, bienfaits pour l'esprit, pour le mental, pour la créativité...

Pourquoi est-ce qu'on marche ? Et si c'était lié avec le fait de créer ? C'est l'intuition de Pascal Picq dans son essai intitulé "La Marche... Sauver le nomade qui est en nous", un essai qui interroge les liens entre la marche et la pensée, qui démystifie aussi les origines de la bipédie.

Pascal Picq est venu présenter son ouvrage sur le plateau de La Grande Librairie.

Pourquoi et comment l'homme s'est-il mis sur ses deux pieds ?

 

"A l'inverse de ce que montre la fameuse image de l'évolution, on ne se serait pas redressé, mais on serait tombé des arbres... La bipédie et la marche debout descendent tout droit des arbres...

La bipédie n'est pas descendu comme un fruit mûr, mais c'est une histoire qui remonte au temps où notre groupe à nous, les grands singes - aujourd'hui, nous ne sommes plus que cinq- gorilles, chimpanzés, orangs outans, bonobos et nous...

 

Et quand vous êtes dans le monde des arbres et que vous avez une grande taille, là ça devient très compliqué. Parce qu'au dessus de 10 kg, si vous loupez la branche, vous êtes mort.

Donc, là, il n'y a que deux possibilités de s'adapter : une qu'on connaît chez les paresseux, et l'autre qui est de se suspendre, de se mettre sous la branche et toute notre anatomie est l'héritière de cette suspension...

 

La marche humaine est l'une des plus efficaces du règne animal... une caractéristique qui est la nôtre est l'endurance. Nous sommes les bestioles qui ont l'endurance la plus incroyable dans l'histoire de toute la biologie. 

Et nous pouvons déployer une diversité extraordinaire de mouvements qu'on ne connaît pas dans la nature : sports, danses, art du cirque...

 

Sur une fresque de Raphaël qui s'appelle L'école d'Athènes, qui date du début du 16ème siècle, tous les philosophes sont assis, en train de penser, et puis on voit Aristote à côté de Platon, un qui montre le ciel et l'autre qui montre la terre et ils marchent tous les deux...

Au moment où je préparais ce livre, je me retrouve avec Michel Serres et il me dit : "Alors, c'est quoi ton prochain livre ?" Et je lui réponds : "C'est autour de la marche et de la pensée" Il dit : "Tu sais, il y a beaucoup de poètes, beaucoup d'écrivains qui marchent... En fait, il y a très peu de philosophes qui marchent... alors quand même, il y a Kant, Kierkegaard" Je dis : " oui, mais ils marchaient en ville, je te parle des philosophes qui cherchent leur inspiration, en partie, en marchant dans la nature..."

Là, la liste est extrêmement courte : il y a Thoreau en Angleterre, Rousseau, il y a  Nietzsche, (j'en ai oublié un au passage) et je lui dis : "Il y en a un cinquième..." Alors, il cherche, il cherche... et je lui dis : "Tu le connais très bien, c'est toi !"

 

Je me suis aperçu que je suis toujours intéressé par des écrivains qui font de longues phrases, Julien Gracq, Proust, etc. J'adore ces longues phrases qui n'en finissent pas, qui vous amènent à cheminer avant d'en trouver le sens.

Plus on marche, moins on vieillit, et les grands ethnologues marchaient, ils arrivaient sur des terrains inconnus, et la manière d'approcher dans la marche permet, en fait d'établir, à distance, une relation de confiance avec les gens qu'on va rencontrer, et là va se mettre en place, ce qu'on ignore complètement dans notre modernité, ce qu'on appelle l'hospitalité : accueillir les gens dans sa maison, on a complètement perdu cela. Et la marche le permet, parce qu'elle a un rythme, toute une signification profonde.

Dans un passage de Proust, il est sur une calèche et au loin, il voit une jeune femme, et là il est fasciné et se construit une image de cette femme, superbe, sublime, et plus il approche, plus il devient déçu, parce que quelles que soient sa beauté et sa grâce, elle ne répond pas à l'image idéale qu'il avait construite autour de ça.

 

Le progrès renforce notre immobilisme : c'est catastrophique, un médecin célèbre a dit :"La chaise nous tue". C'est le cas des jeunes générations. L'armée s'est inquiétée du recrutement devenu extrêmement difficile parce que la moitié des jeunes Français sont en surpoids, 30% qui sont obèses, en Amérique du Nord, c'est une catastrophe encore pire. On est en train de perdre tout ce qui a fait notre évolution. Tout ce qui a fait le progrès, tout est fait pour ne plus marcher.

Aux Etats-Unis, l'espérance de vie est en train de chuter de manière catastrophique.

 

Notre survie dépend de la marche parce que la marche est ce qui mobilise le plus toutes les parties de nos organismes, c'est aussi un contact avec les environnements. 

Et Pascal Picq de citer une chanson interprétée par Yves Montand : "Moi je suis venu à pied tout doucement sans me presser, à pied, à pied..."

Voilà un admirable plaidoyer pour la marche...

 

Source : à 41 minutes, 29 secondes 

https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/saison-16/5784402-emission-du-mercredi-27-mars-2024.html

 

 

https://www.paroles.cc/chanson,je-suis-venu-a-pied,39951

"La chaise nous tue..."
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22 mars 2024 5 22 /03 /mars /2024 13:16
Le voyageur d'histoire...

Comédien, réalisateur, animateur télé et écrivain, Bruno Solo nous propose un voyage dans le temps, à la rencontre de personnages, dans son livre "Le Voyageur d'Histoire". Avec ce nouveau livre, Bruno Solo revendique "une curiosité insatiable". Il était invité lors du Festival de la Biographie où il a présenté son livre :

 

"Je n'ai pas la prétention de raconter la philosophie de Rabelais... je le rencontre et il me parle d'un aspect de sa philosophie, à un moment précis de son existence. Et c'est exactement comme ça que j'ai procédé pour tout le livre. Mon biographe préféré, c'est Stéfan Zweig... Quand vous lisez Marie Stuart ou Marie Antoinette ou Galilée ou Fouché, évidemment, ça se développe sur 300 ou 400 pages. Stefan Zweig rentre vraiment dans la psyché des personnages. Moi, je ne peux pas me le permettre : je n'ai ni ce talent, ni les capacités historiques pour le faire, je n'ai pas accès aux mêmes archives, aux mêmes documents.

Mais pour autant, c'est comme si je faisais une synthèse, je rencontre les personnages l'espace d'une journée, cela ne dure jamais plus de une heure à deux heures. Donc, il faut que je choisisse un moment clé de leur existence.

 

Pour évoquer Hildegarde de Bingen, j'ai écouté sa musique, elle est souvent jouée dans les églises... je suis un athée agnostique forcené, mais j'ai une admiration pour les gens qui ont une foi sincère, lumineuse et généreuse, j'ai eu envie de m'intéresser à quelqu'un qui avait la foi, donc évidemment j'ai dû lire des choses sur elle, et encore une fois, j'évoque un moment précis de son existence : le moment où elle fonde sa nouvelle abbaye, je veux la voir à ce moment-là parce que je sais qu'elle n' en a plus que pour quelques jours, et elle qui discutait avec Dieu, en connexion directe, qui parlait à Dieu et Dieu lui parlait directement... j'ai eu envie de savoir ce qu'il allait lui dire, à quelques jours de sa disparition...

Hildegarde de Bingen, c'est facile d'accès parce que sa musique est abordable, j'ai découvert Hildegarde de Bingen grâce à mon épouse, en fait : elle est maquilleuse dans le cinéma, et elle utilise certains produits estampillés Hildegarde de Bingen, il y a des produits, des onguents, des pommades, des tisanes aussi qu'elle a fabriqués parce qu'elle avait inventé toute une pharmacopée basée sur son observation de la nature et je me demandais pourquoi il y avait des produits qui s'appelaient Hildegarde de Bingen, je trouvais que ce n'était pas un nom très commercial... j'ai commencé à me renseigner sur elle...

 

 

Sur la Comtesse de Ségur, c'est parce qu'elle a marqué ma jeunesse. Moi, j'ai grandi dans une famille un peu libertaire et je lisais en cachette de mes parents la Comtesse de Ségur, mes parents m'ont initié à la curiosité, et dans ce cas, vous lisez des choses qui vont à l' inverse de votre éducation.

Parce que j'ai lu la Comtesse de Ségur, j'ai découvert que cette femme était moins caricaturale que l'image qu'on peut s'en faire et qu'effectivement elle était un peu bigote, aristocrate, enfant martyre, battue par sa mère, très catholique, très imprégnée de religiosité, mais surtout, elle a voulu montrer une éducation des enfants un peu différente : quand on lit entre les lignes de la Comtesse de Ségur, on sent qu'elle était plus progressiste que la récupération qu'on en a faite.

La Comtesse de Ségur, si elle a ce côté un peu compassé, un peu étroit, c'est surtout à cause de son fils, un de ses fils qui était une sorte de curé très radical : les enfants ne pouvaient comprendre l'éducation qu'au travers des coups et des punitions. Elle a essayé de se battre contre cette vision de son fils, mais comme elle aimait son fils plus que tout, elle a cédé de temps en temps à ses injonctions. La Comtesse de Ségur est un peu victime de son époque et elle est beaucoup plus progressiste qu'elle ne semble l'être. Alors, ce n'est pas Françoise Dolto évidemment mais il faut resituer le contexte et c'est pour cela que je l'ai trouvé passionnante et que j'ai eu envie de m'intéresser à elle, d'autant que je suis très engagé sur les combats sur l'enfance à travers La Voix de l'enfant depuis 25 ans.

 

J'ai dans ma vie rencontré beaucoup de gens habités par la foi. notamment du côté de ma maman, mon grand-père, ma grand-mère, tous étaient très imprégnés de religion, ils allaient à la messe et j'étais absolument fasciné par l'idée que la foi permet de regarder le monde avec générosité parce que je crois que les gens qui ont une foi sincère, lumineuse, sont tout à fait capables de traverser le monde peut-être mieux que ceux, comme moi, très pragmatiques qui sont persuadés qu'une fois que c'est fini, c'est terminé.

Je sais que dans des moments très douloureux dans ma vie j'aurais aimé être animé par cette foi sincère... ce que je n'aime pas, c'est le dogme, c'est l'obscurantisme, c'est la récupération, c'est la religiosité radicale, on voit les ravages que cela faisait, que cela fait et que cela continuera à faire...

 

Mais quand je vois l'abbé Pierre, la manière dont sa foi lui a permis d'ouvrir ses bras à chacun, aux plus démunis, quelles que soient leur religion, leur culture, leur race, je suis admiratif de ces gens-là."

 

Cette présentation fut l'occasion de découvrir ou de redécouvrir des personnalités attachantes du passé... 

 

 

 

 

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8 mars 2024 5 08 /03 /mars /2024 12:45
Itinéraire d'un enfant des Trente Glorieuses...

 

Le célèbre paléoanthropologue Pascal Picq est venu présenter son livre : Itinéraire d'un enfant des Trente Glorieuses, lors du Festival de la Biographie.

Il est né en 1954, il fait donc partie de la génération des babyboomers. Et c'est la première fois qu'il publie une autobiographie.

"La génération des babyboomers a-t-elle vécu une parenthèse enchantée de l'histoire récente de l'humanité ?
Le célèbre paléoanthropologue, qui est l'un d'entre eux, entreprend ici de raconter l'histoire de l'évolution à l'échelle de leur vie. C'est un recul historique très court pour un préhistorien, prévient l'auteur, mais il est éloquent tant a été spectaculaire le progrès de nos connaissances de la lignée humaine et des sciences de l'évolution en général. Ainsi, jamais l'humanité n'a connu de tels changements, qui ont trait à la fois aux vies des personnes et aux sociétés, à l'environnement, au climat et à la Terre."

 

"J'ai eu l'idée de revenir à ce que j'ai connu dans mon enfance, explique Pascal Picq : mes parents étaient maraîchers à Gennevilliers, qu'on appelle la Petite Couronne. La banlieue n'existait pas, vous aviez Paris, les faubourgs et ensuite tout autour, c'était la ceinture verte.

Mes parents étaient des provinciaux (on a oublié cela : toutes les migrations internes qu'il y avait en France, en Europe, alors bien sûr, on a eu les Italiens, les Espagnols, mais avant ça ou même en même temps, on a oublié comment les gens du Limousin- c'est ma famille- du Cantal, du Morvan ont quitté leur région, comment il y a eu tous ces mouvements de populations, parce qu'il fallait quitter la misère de la campagne, c'était compliqué, c'était dur.) Donc, tous ces gens convergeaient plus ou moins sur Paris.

Moi, je suis né dans ce grand terrain maraîcher, l'école était juste à côté, et, petit à petit, on voyait arriver des immeubles par ci par là jusqu'au jour où nous avons été expropriés, chassés parce qu'il fallait construire l'habitat.

Ce que je rappelle au début du livre, c'est que je suis né une semaine avant l'appel de l'abbé Pierre, en janvier 54 et ce fut l'hiver le plus froid du 20ème siècle.

Mes parents me disaient (parce qu'à l'époque il n'y avait pas de supermarché, c'étaient les petites épiceries du coin) d'aller chercher du lait dans la casserole, et le lait gelait...

Ma mère vendait ses radis aux Halles de Paris... depuis ces années-là, l'évolution a été considérable, comme elle n'avait jamais été auparavant.

Vous vous rendez compte : mes parents -ils travaillaient dur bien sûr- mais ils gagnaient bien leur vie en vendant des radis, des salades, des blettes, des poireaux... maman avait son permis de conduire, pour une femme des années 50, ce n'était pas quand même la généralité et en plus de ça, elle avait son permis poids lourd et c'est elle qui allait aux Halles, dès fois, elle nous emmenait, parfois moi, parfois ma soeur. Et moi, j'ai connu les anciennes Halles de Paris : vous aviez les carabins, les étudiants en médecine, vous aviez les bourgeois qui venaient s'encanailler, vous aviez les artistes, vous aviez les paysans, tout ce monde là se retrouvait à 5 heures du matin, on mangeait la soupe à l'oignon et, pour les plus costauds, une bonne entrecôte, et sur la table à côté, vous pouviez voir les grands artistes, comme Lino Ventura, c'est un monde complètement dingue, quand on y pense...

Petite anecdote : je me retrouve aux Halles, il n'y a pas très longtemps, dans un restaurant du Châtelet, avec mes enfants et ma petite fille qui se prénomme Julia, elle est d'origine à moitié brésilienne, dans le restaurant, il y avait des livres qui étaient là, avec un livre sur les Halles de Paris. Je prends le livre et je dis : "peut-être que je vais voir maman..." c'est bête, mais... alors tout est gris, à l'époque. Paris est gris, la banlieue est grise, tout le monde est habillé en gris... Ma petite fille s'écrie : "Papy, c'est tout gris !" et je dis : "Oui, pour toi qui est brésilienne, évidemment c'est un peu surprenant."

"Mais pourquoi tu regardes ça ?" interroge la fillette. Et je lui réponds :"Peut-être qu'on va voir mamie Ginette..." 

"Moi, j'étais très ému... alors évidemment, on ne la voit pas du tout, mais il y a une autre histoire pour moi qui a été très émotionnelle :

Il y a une vingtaine d'années maintenant, je présidais les bars des Sciences de Paris, c'était dans un café à côté des Halles, qui s'appelle Le Père Tranquille, et cela se passe à l'étage, et j'étais près de la verrière de l'étage, j'étais là en train de regarder un coin de trottoir... c'était là que maman "plaçait", comme on disait et pendant la nuit on vendait les récoltes... alors évidemment, je pars dans mes souvenirs et puis il y a un ami qui me dit : "Pascal, Pascal, on t'attend !", parce que j'étais plus là, quoi.

Il me dit :"Qu'est-ce qui t'arrive?" et je réponds : "Je peux pas te raconter."

Vous vous rendez compte : c'est l'histoire de ma génération, ce petit garçon qui était là en culottes courtes, à 8-9 ans dans le frimas de la nuit, qui vendait des radis auprès de sa maman et qui était fasciné de voir cette espèce de ballet incroyable de la société parisienne, et qui, quand même, 40 ans plus tard était président du bar des Sciences...

Alors, ce n'est pas ma réussite, c'est comment en fait -on a oublié aujourd'hui- comment les réformes de l'Education Nationale à la fin des années 50 et 60, le collège unique qui était tant décrié, l'accès aux études supérieures, ont permis cette réussite (les enfants des classes populaires n'accédaient pas au lycée, à l'époque)...

Il y a eu une ouverture incroyable, notamment pour les femmes, déjà avec les lois Neuwirth, De Gaulle était plus moderne qu'on ne le pense, à bien des égards, ensuite c'est mai 68, c'est l'accès aux études supérieures.

Alors, les gens me disent : "Vous les babyboomers, vous avez tout eu !" Alors je leur dis :"Attendez ! L'ascenseur, il fallait le choper ! Il nous attendait pas, il n'y avait pas un liftier qui disait : "On vous attend."

Donc, ça fait des tas de bouleversements, moi, j'ai fait mon service militaire évidemment, vous savez, on dit ça aujourd'hui, mais en 74, l'Amérique venait de connaître une défaite au Vietnam et l'Union Soviétique était une menace encore incroyable et qui ressurgit d'un seul coup."

Le journaliste qui interroge Pascal Picq intervient alors et commente son livre : "C'est en fait un ouvrage de sociologie, vous racontez dans le détail : la première douche, l'album Tintin que l'on attend avec précipitation, le dessin animé... évidemment, il n'y a pas de téléphone, encore moins de téléphone portable. C'est un portrait de notre société qui est revigorant."

Pascal Picq évoque ensuite le destin de sa mère : "Maman était "placée", comme on disait, on naissait dans une ferme, et après, on était placé dès l'âge légal, à la sortie de l'école, vous alliez gagner votre croûte, et elle s'est retrouvée comme "la bonniche" chez les Picq, c'est là qu'elle a rencontré mon père, et maman a accepté d'épouser mon père (ce n'était pas vraiment un mariage d'amour) à une condition, lui dit-elle : "si nous avons des enfants, qu'ils fassent des études." ça, elle l'a jamais lâché là dessus."

Le journaliste rappelle aussi cette anecdote : "Et quand vous passez en sixième, vous êtes fier, heureux comme tout, en disant : "Papa ! j'ai mon passage en sixième !" Mais lui, ça le laisse de marbre et après c'est pareil."

"Je n'ai jamais eu un seul compliment de mon père, même le jour de la soutenance de ma thèse, il se permet aussi de me dénigrer, je ne veux pas trop en parler de ce personnage.", rétorque Pascal Picq.

"Vous rendez hommage aux femmes dans cet ouvrage." intervient alors le journaliste. "Votre mère devient veuve et elle dit : "Enfin ! Je suis libre..."

"A 80 ans, vous vous rendez compte !" réplique Pascal Picq, "et il est vrai que j'ai dédicacé ce livre à ma mère, elle nous a quittés il y a deux mois, et c'est une combattante de la vie qui nous quitte, et les femmes sont des combattantes de la vie."

 

A travers cette anecdote, on perçoit la dépendance des femmes, leur soumission à leur mari, à cette époque où a vécu la mère de Pascal Picq. Heureusement, la condition des femmes s'est améliorée dans notre pays, même s'il reste encore des progrès à accomplir.

Avec ce témoignage de Pascal Picq, on voit aussi que l'école était encore un ascenseur social, dans les années 50-60, ce qui hélas n'est plus vraiment le cas à notre époque car le niveau d'exigence s'est considérablement réduit : programmes rabotés, suppression du redoublement, réformes improvisées, absurdes, etc.

 

 

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28 février 2024 3 28 /02 /février /2024 10:34
Goulag et colonies pénitentiaires...

 

"Historiquement, bien entendu, le goulag a une existence limitée dans le temps de l'URSS entre les années 1920 et les années 1960.

Pourtant, la mort récente d'Alexeï Navalny dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique a rappelé, ne serait-ce que géographiquement, l'implantation des camps de travail de la période stalinienne. C'est le durcissement du régime de Vladimir Poutine vis à vis de ses opposants qui provoque aujourd'hui une réflexion renouvelée sur les méthodes répressives utilisées dans la Russie contemporaine.

 

"Mon message, dans le cas où je serais tué, est très simple : Ne pas abandonner. Ecoutez, j'ai quelque chose de très important à vous dire : je vous interdis d'abandonner. S'ils décident de me tuer, cela signifie que nous sommes extrêmement puissants... nous devons faire usage de ce pouvoir, ne pas oublier, nous souvenir que nous sommes un immense pouvoir. Un pouvoir qui est oppressé par ces mauvaises personnes. Nous ne nous rendons pas compte de la force que nous possédons. C'est la passivité des personnes justes qui permet au mal de triompher. Donc, ne restez pas sans rien faire."

C'est ainsi que s'exprimait Alexeï Navalny dans sa lutte contre la répression du régime russe...

 

Sa mère a enfin réussi à voir le cadavre de son fils, mais elle accuse les enquêteurs russes de chantage à propos des funérailles d'Alexeï Navalny, déclarant qu'ils tentaient de la forcer d'enterrer son fils en secret, sans cérémonie, ce qu'elle dit avoir refusé...

Une question se pose alors : Peut-on encore parler de goulag dans la Russie actuelle ?

Luba Jurgenson, professeur de littérature russe  analyse les similitudes qui permettent de rapprocher le goulag du XXe siècle du système pénitentiaire actuel : "L'institution cesse d'exister après la mort de Staline, mais les pratiques sont toujours là à l'époque de Khrouchtchev, de Brejnev, et finalement ne se sont jamais totalement éteintes. Et certaines de ces pratiques sont aujourd'hui recyclées. En sachant encore une fois que les goulags pouvaient être très différents. Donc lorsque l’on parle de cette postérité, on parle d'un éventail de pratiques très diverses. Mais la première chose qui fait penser au goulag, c'est la géographie. Il s'agit d'éloigner les personnes indésirables et de les mettre dans des conditions de vie vraiment extrêmes, aussi bien climatiques que sur le plan du traitement.

La configuration des espaces fait aussi penser au camp du goulag, puisqu'on est dans des colonies pénitentiaires qui ressemblent à des sortes de camps... il y a bien sûr des différences : les colonies pénitentiaires d'aujourd'hui ne sont pas un acteur économique de la vie russe, au même titre que l'était le goulag qui était une véritable force économique, elles sont en revanche un acteur de la guerre, puisqu'on y recrute des criminels de droit commun pour les envoyer au front en Ukraine... aujourd'hui, le gouvernement russe utilise des techniques de communication qui étaient inconnues à l'époque soviétique, mais sa propagande est différente : on ne prétend pas rééduquer les personnes qui sont aujourd'hui dans ces colonies. Leur rôle est purement punitif. Et on simule une espèce de transparence, c'est à dire, par exemple, Navalny a pu communiquer avec ses proches... ce qui ne voulait absolument rien dire quant au traitement qui lui était réservé...

Emilia Koustova, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Strasbourg, explique : "On retrouve la géographie du goulag dans le système pénitentiaire contemporain dans toute sa complexité, d'une part, il y a bien sûr l'usage de la distance, des distances immenses, l'usage de cette immensité de l'espace russe pour isoler, briser, punir davantage. C'était le cas déjà à l'époque stalinienne, cela reste le cas aujourd'hui. Quand on est envoyé au-delà du cercle polaire, il y a le climat très rude, l'absence de soleil... Et quand Alexeï Navalny est resté pendant plusieurs mois dans une colonie située dans une région proche de Moscou, les conditions de détention y ont été épouvantables, et c'est probablement là que sa santé a été fragilisée par l'envoi régulier dans la cellule d'isolement.

Il est toutefois certain qu' il y a beaucoup moins de détenus dans ces colonies qu'au moment de la mort de Staline."

Elsa Vidal, rédactrice en chef de la rédaction en langue russe de RFI, complète cette analyse en insistant sur l’usage de la répression : "Pour traiter de ce sujet, il s’agit de parler de la répression, de l'enfermement et de l'éloignement des minorités dissidentes, à la marge, et qui sont dans une posture de transgression vis-à-vis de la norme. Et cette norme, à l'époque soviétique comme à l'époque actuelle, était édictée à partir d'un centre du pouvoir au Kremlin, peut-être un peu plus collectif à certaines années de l'Union soviétique, mais en tout cas très centralisée au Kremlin. Et c'est encore le cas aujourd'hui. Je pense surtout que ce système est vraiment réactivé par les autorités et les dirigeants russes de manière à entraîner des réactions dans la population d'analogie immédiate avec l'époque soviétique et avec le goulag. Il est même pensé en direction de ces segments de la population qui ont une culture soviétique, pas tellement pour la population des moins de 30 ans, et des moins de 40 ans, qui eux se sont éveillés à la politique en 2011, au moment des manifestations justement emmenées notamment par Alexeï Navalny, qui consistent à demander des comptes au pouvoir..."

 

Selon Luba Jurgenson, professeur de littérature russe à la Sorbonne, dans les livres d'histoire russes, "on minimise le nombre de victimes, l'ampleur du phénomène est minimisée également, c'est surtout le rôle que jouait le goulag dans l'ensemble de la vie soviétique qui est minimisé... A l'époque de Staline, il n'y avait pas besoin d'être dissident ou opposant pour aller au goulag. Il y avait une multitude de gens qui étaient inculpés pour des crimes qu'ils n'avaient pas commis, alors que, par la suite, c'était surtout la dissidence qui était visée par cet appareil pénitentiaire... l'appareil s'est vraiment durci depuis l'invasion, avec l'apparition de nouveaux dispositifs juridiques, depuis les deux derniers mandats de Poutine, avec une centaine de lois répressives qui ont été promulguées ou sorties des oubliettes."

 

Emilia Koustova rajoute : "Il faut souligner la continuité et les liens directs entre la période post stalinienne et  celle d'aujourd'hui. Je pense que Vladimir Poutine n'est pas un héritier direct de Staline, mais c'est bien un héritier fidèle, loyal à Andropov qu'il présente comme son maître, maître du KGB, en l'occurrence, et si on regarde le fonctionnement de la justice, de la police politique, des colonies pénitentiaires dans les années 50-60-70, on retrouve beaucoup de similitudes avec ce qui se passe aujourd'hui. Ce sont des façons de torturer, d'humilier, de menacer..."

 

Selon Elsa Vidal, "Vladimir Poutine est l'héritier d'une pratique guébiste, comme on le dit parfois du pouvoir, et on voit très bien que cette orientation s'est accélérée et renforcée... il y a plusieurs milliers de Russes qui ont contesté leur mobilisation dans le cadre du droit et la justice leur a donné raison pour 9000 d'entre eux... et ce sont les magistrats qui s'opposent à une instrumentalisation du droit par le pouvoir politique.

Luba Jurgenson vient compléter le tableau des colonies pénitentiaires : "Il y a l'isolement, des tortures psychologiques et physiques, c'est la marque du régime poutinien.

En 2008-2009, une militante de l'opposition avait été internée de force, pour la faire taire, dans le grand Nord, nous sommes allés la chercher avec d'autres amis, nous sommes allés l'extraire... La psychiatrie punitive n'a jamais complètement disparu. En revanche, ce n'était plus utilisé de manière régulière jusqu'aux manifestations de 2011-2012, où on a vu de nouveau des manifestants arrêtés et condamnés à des peines d'internement en hôpital psychiatrique. Le retour à ce type de dispositif répressif date déjà d'au moins dix ans...

On est dans un contexte mondial où on constate le recul de la démocratie, même en Europe, on l'a vu avec l'exemple polonais ou encore hongrois, sans parler d'autres contrées dans le monde, le régime poutinien surfe bien sûr sur cette tendance, par exemple avec une politique répressive contre les communautés LGBT.

Emilia Koutova précise : "Il y a beaucoup moins de prisonniers qu'il n'y en avait dans la période soviétique... mais il y a des dizaines voire des centaines de milliers de détenus qui se sont enrôlés d'abord chez Wagner, puis auprès du ministère de la défense russe pour aller faire la guerre en Ukraine.

La situation est bien meilleure qu'à l'époque soviétique, mais il y a les règles qui sont écrites, et puis il y a aussi la pratique, la réalité qui, elle, laisse une large place à de la torture, à des humiliations, l'isolement, etc. Cela ne se limite pas aux prisonniers politiques, il y a aussi des centaines de milliers de prisonniers ordinaires, de droit commun, qui sont victimes de ce système. Et c'est là quelque chose qui est hérité de l'époque soviétique."

"La culture de la violence de Poutine, sa vision pessimiste de la nature humaine, la répression qui s'exerçait, les changements à l'intérieur du régime poutinien et ses évolutions extrêmement dramatiques que nous connaissons aujourd'hui, ainsi que la guerre comme instrument de la puissance russe, tout cela, c'est ce qu'on n'a pas vu..." explique Elsa Vidal.

 

 

Source :

 

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/le-goulag-existe-t-il-encore-6631927

Goulag et colonies pénitentiaires...
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9 février 2024 5 09 /02 /février /2024 13:40
Pour redécouvrir Victor Hugo...

 

Victor Hugo : un des auteurs les plus célèbres de notre littérature... on connaît ses romans, nombre de ses poèmes, mais que sait-on de l'homme, de cet écrivain si renommé ?

Agnès Sandras porte un regard nouveau sur cet auteur qui a été déjà décrit dans de nombreux ouvrages.

Dans son livre, Victor Hugo, Le forçat des Lettres, elle répond d'abord à un défi d'éditeur : quand on lui a proposé d'écrire sur Victor Hugo, elle a eu envie de relever le défi.

"Ce qui m'a intéressée, c'était ce que propose cette collection, une collection qui est un partenariat entre Perrin et la Bibliothèque nationale de France, elle a recours à toute l'iconographie que peut posséder la BNF, à tous les manuscrits, les photographies, etc. parce qu'il y a un fonds Hugo absolument somptueux.

C'était là le premier défi absolument génial : faire une biographie illustrée de Victor Hugo, ce qui n'avait jamais été fait jusqu'à ce jour.

Il existe un Victor Hugo que tout le monde ne connaît pas : c'est quelqu'un qui dessine, qui peint de manière fabuleuse... et je trouve que c'est équivalent à la force de ses romans, c'est vraiment un homme multi-facettes, capable de tout faire...

Comment un écrivain travaille ? On s'imagine souvent le romantique inspiré, en train de se balader et tous les poèmes lui arrivent, non ce n'est pas du tout comme ça.

Victor Hugo, c'est certes quelqu'un qui a beaucoup d'imagination, mais c'est aussi quelqu'un qui travaille ses poésies, ses romans. Quand il écrit des discours politiques, il prévoit jusqu'aux interruptions de la Chambre, et il prévoit jusqu'à ce qu'on va lui dire...

Ce qui m'a intéressée, c'est de montrer Victor Hugo en train de travailler... il travaille ses alexandrins, et en revanche, dans ses dessins, dans ses peintures, il se laisse totalement aller à son inspiration, aux matériaux qui lui tombent sous la main... ses peintures révèlent une part assez sombre, il faut dire que ses dessins sont pour la majorité des dessins d'exil.

Victor Hugo a été obligé de s'exiler en raison de son opposition à l'empereur Napoléon III, il pensait que ça durerait quelques années, en fait, ça a duré 20 ans !

Même si les îles de Jersey, de Guernesey sont fabuleuses, 20 ans loin de Paris, loin d'une partie de sa famille, loin de ses amis, c'est vraiment très compliqué et par conséquent, il y a une part tourmentée, une inspiration tourmentée.

C'est Hugo qui dessine la couverture de la pièce Les Burgraves, il a dessiné aussi pour les décors des pièces, il a des idées pour les décors, pour les costumes.

 

Victor Hugo, c'est aussi quelqu'un qui construit son image, il a absolument envie de passer à la postérité, c'est pour cela qu'il est le premier écrivain à léguer son fonds à la Bibliothèque Nationale de France, et les écrivains par la suite vont l'imiter.

Donc, il va construire sa maison de Guernesey de manière à ce que ce soit une pièce de théâtre... on rentre, c'est tout sombre en bas, ça ressemble à Notre Dame, on monte les étages et cela devient absolument fabuleux : c'est éclairé, c'est plein de lumières.

 

Il y a une autre facette de Victor Hugo : c'est quelqu'un qui ne donne pas toutes les clés de son inspiration et de son écriture. En fait, très peu de gens l'ont approché dans ce travail d'écriture.

Il y a peut-être son petit fils qui a un peu pu voir, Juliette, sa maîtresse, forcément à certains moments, mais pour les autres personnes, la porte est fermée, et on ne saura pas comment il écrit.

Juliette Drouet est absolument indispensable à son inspiration, elle meurt deux ans avant Victor Hugo, elle l'a accompagné pendant 50 ans, et à partir du moment où Juliette Drouet meurt, Victor Hugo n'écrit plus de choses nouvelles. Il va juste trier ses documents, ses manuscrits, il ne peut plus écrire.

 

Juliette Drouet lui écrit tous les jours, c'est lui qui l'exige et elle va avoir un oeil très affûté sur ses manuscrits, puisque c'est elle qui les copie tant qu'elle le peut. Juliette est de très bon conseil... c'est elle qui va lui dire quand ils sont à Jersey et Guernesey : " *Dis-donc tu avais commencé à écrire un livre qui s'appelait Les Misères, c'était vraiment bien, moi j'aimais bien Les Misères, pourquoi tu le continues pas ?"

Et ce sera évidemment Les fameux Misérables qui nous sont arrivés grâce à Juliette... c'est Juliette qui va convoyer les manuscrits entre la France et les îles Anglo-Normandes, parce qu'évidemment la police surveille Victor Hugo. Donc, nous devons énormément de choses à Juliette Drouet.

 

Avant l'exil, Hugo va dans les salons littéraires, il est à la cour, lors de son exil, quelques journalistes viennent le voir mais ils ne peuvent pas être très nombreux, bien entendu, car ils sont surveillés par la police impériale, dans la troisième partie de sa vie, Hugo est une star, puisque les journalistes vont essayer de guetter la moindre de ses apparitions et les gens aussi... Lorsque Victor Hugo va à la plage en Normandie, des gens viennent lui demander des autographes. Donc, c'est une vraie star...

Dans son enfance, tout n'a pas été linéaire pour lui, il a connu quelques vicissitudes avec des parents qui n'ont pas forcément été très présents pour lui. Il naît pendant les guerres napoléoniennes, de deux parents qui se déchirent, son père est général d'empire et le petit Victor Hugo va se retrouver sur les routes au fur et à mesure des dissensions entre ses parents, sa mère vient voir son père, repart avec les enfants, puis son père lui impose à Madrid de rester dans un collège pendant plusieurs mois.

Hugo a dû fabriquer quelque chose avec l'écrit, la lecture pour se sortir de cette situation compliquée pour un enfant.

On appelé Victor Hugo le grand-père de la France pour deux raisons, d'abord Hugo a écrit un recueil extrêmement attendrissant sur l'art d'être grand-père qui est consacré à ses petits-enfants, parce que son fils était mort et qu'il a dû s'occuper de l'éducation de ses petits-enfants. Et c'est un grand-père très laxiste avec ses petits-enfants, et c'est une révolution sociétale... c'est plus qu'un grand-père parce qu'à l'époque ils étaient sévères. Tandis que pour Victor Hugo, s'ils ont le doigt dans le pot de confiture, lui trouve cela ravissant...

Et cela va entraîner une révolution sociétale : on va considérer les petits enfants de manière différente grâce à Victor Hugo.

Victor Hugo est considéré comme celui qui a permis le legs de la République et cette naissance de la III ème République, c'est un choix pour les Républicains qui est très facile de se dire : qui on pourrait choisir comme figure tutélaire ? Eh bien, il y a ce vieux monsieur qui a 80 ans, qui se définit comme un grand-père et qui a travaillé à cela.

Si vous regardez les photographies, vous avez Victor Hugo qui s'est laissé pousser la barbe, qui s'est taillé les cheveux, c'est un charmant grand-père et il devient le grand-père de tout le monde..."

 

 

 

 

http://editions.bnf.fr/victor-hugo-0

https://www.bonjourpoesie.fr/lesgrandsclassiques/poemes/victor_hugo/jeanne_fait_son_entree

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-la-comedie-francaise/jeanne-fait-son-entree-et-georges-et-jeanne-deux-poemes-de-victor-hugo-5891704

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26 janvier 2024 5 26 /01 /janvier /2024 12:32
Les nuits de la lecture : rencontre avec Jean-Philippe de Tonnac...

Jean-Philippe de Tonnac est un homme de livres, il a vécu dans les livres, pour les livres, avec les livres... essayiste, éditeur, journaliste, romancier, il aime les livres...

"Nous sommes tous des amoureux des livres, même quand nous ne le savons pas..." dit-il.

"Le livre est rentré dans ma vie, à l'adolescence, en catimini... ce fut comme une lumière, la puissance du livre est si grande !

Des auteurs qui avaient vécu à Saint Petersbourg pouvaient m'être si proches, partager mes douleurs, mes désirs, mes souffrances... dès lors, on a envie d'appartenir à cette famille, de se mettre au service du livre.

Et j'ai passé ma vie au service des livres : d'abord éditeur chez José Corti, perçu par le monde éditorial comme le "nec plus ultra", avec cette devise : "Rien de commun".

J'ai commencé par vendre les livres de José Corti, j'ai travaillé ensuite chez Grasset, puis au Livre de Poche... et enfin, j'ai publié mes propres livres, 35 livres au total."

 

Jean-Philippe de Tonnac évoque alors deux de ses ouvrages : N'espérez pas vous débarrasser des livres, écrit avec Umberto Eco et Jean-Claude Carrière, et Un été chez Umberto Eco.

Dans ce livre, il raconte la bibliophilie de Umberto Eco :

"A Milan, où habitait Eco, j'ai visité sa bibliothèque : Umberto Eco m'a conduit dans un couloir au bout duquel se trouvait une pièce fermée à clé comme un coffre-fort."

Umberto Eco lui a dit alors : "vous allez être déçu !" Là se trouvaient les incunables de sa collection, 1200 incunables ! Le berceau de la littérature !"

Un incunable est un ouvrage imprimé antérieur à 1500, tiré à peu d'exemplaires.

"Et Umberto Eco sort les quatre pièces les plus remarquables de sa collection, notamment Le Songe de Poliphile, un livre qui a plus de 5 siècles, en très bon état..."

Et Jean-Philippe de Tonnac se pose cette question : "Comment peut-on passer sa vie à collectionner des objets qui n'intéressent personne ? En fait, il faut connaître l'histoire de ce livre pour l'apprécier.

 

Jean-Philippe de Tonnac ne se dit pas passionné par l'objet en lui-même : seul le contenu importe, à la différence d'Umberto Eco, pour qui le livre était aussi une oeuvre d'art.

Ainsi, pour Jean-Philippe de Tonnac, le livre de poche est une invention extraordinaire : on peut en faire un cahier, l'annoter...

Jean-Philippe de Tonnac dit aussi qu'il ne pratique pas la lecture sur tablette : difficile d'annoter une tablette.

 

"Dans une bibliothèque, il y a des livres que nous n'avons pas lus et que nous lisons un jour, des livres qu'on a mal lus et qu'il faut relire, des livres dont nous parlons et que nous n'avons pas lus, des livres si familiers que nous avons l'impression de les connaître...

 

Umberto Eco a connu des difficultés en France pour faire publier son roman Le nom de la rose. Le Seuil refuse d'abord la publication : Les rapports de lecture du Nom de la rose étaient négatifs, et ce même aux éditions du Seuil où était déjà publié Umberto Eco. "On n'y comprend rien", "Ce n'est pas un romancier", "C'est intraduisible" lisait-on alors !

Incroyable quand on connaît l'immense succès qu'a remporté ce roman par la suite !"

 

Jean-Philippe de Tonnac anime aussi des séances de "parcoeur"... le principe : réunir des gens qui ont appris des textes par coeur pour les réciter devant les autres...

Apprendre, réciter, découvrir des textes nouveaux : une belle expérience !

Une façon aussi de revenir aux origines de la littérature, à l'oralité, comme au temps des aèdes qui récitaient des textes par coeur, à l'époque homérique...

Une façon aussi de cultiver sa mémoire en un temps où elle n'est plus guère sollicitée...

 

 

 

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