On en entend peu parler mais un certain nombre d' agriculteurs tombent malades, victimes de pesticides : un sujet tabou ?
"C'est un service unique en France : chaque jour, le Dr Sylvain Chamot reçoit au CHU d'Amiens des agriculteurs, des jardiniers, ou encore des fleuristes rendus malades par l'exposition aux produits phytosanitaires.
"L'objectif de la consultation est de voir si l'on peut faire un lien entre votre activité professionnelle et la maladie", précise le Dr Sylvain Chamot du CHU d'Amiens à deux de ses patients.
Un agriculteur souffre d'une leucémie. Le Dr Chamot le questionne pendant une heure et demie sur ses pratiques agricoles, il liste les produits utilisés, la durée des traitements et évalue le degré d'exposition des professionnels aux pesticides. Ses questions ébranlent parfois les patients.
Ainsi, une agricultrice à qui l'on a diagnostiqué un cancer : "C'est compliqué de se dire qu'on a quelque chose qui peut se déclarer d'un seul coup et que l'on a peut-être provoqué par des produits que l'on a manipulés alors qu'il n'aurait pas fallu. Et pourquoi on a tous ces produits-là maintenant et qu'on nous laisse travailler avec ça, pourquoi ?", confie-t-elle, très émue.
"A aucun moment, il faut que vous vous sentiez coupable de quoi que ce soit. C'est la problématique des pesticides. Elle vous dépasse très très largement." dit le médecin.
"Quand je pense à mes enfants qui sont exposés à tout ça, ça me fait peur... comme disait le docteur, faut pas culpabiliser, mais c'est compliqué.", explique l'agricultrice.
D'après le médecin, le lien entre sa maladie et l'utilisation de pesticides est avéré : "Il n'y a pas de doute, vous serez reconnue en maladie professionnelle, ça ne pose pas de problème."
Mais son dossier doit encore être examiné par le Fonds des victimes de pesticides, qui décide si oui ou non le malade peut être indemnisé et à quelle hauteur.
Le Dr Sylvain Chamot fait une cinquantaine de consultations d'agriculteurs par an, et sur ces 50, le CHU d'Amiens a transmis 40 dossiers de victimes de pesticides.
La Picardie n'est pas la seule région très touchée, il y aussi le Maine et Loire ou encore la Martinique avec 53 cas à cause du chlordécone, le traitement des bananeraies.
En 2023, 13 millions d'euros d'indemnités ont été versés, soit quatre demandes validées sur cinq.
Mais le chemin pour être reconnu comme victime s'apparente parfois à un parcours du combattant. C'est le cas d'Antoine Lambert atteint d'un cancer du sang diagnostiqué il y a trois ans.
"C'est difficile, dès le matin, c'est compliqué de démarrer... avant, des choses que je pouvais faire, repartir bosser le soir sur des périodes un peu serrées au niveau météo, ben là, c'est plus possible. Je serai sous traitement à vie, sous une chimio orale, c'est tous les jours. Je ressemble à une batterie d'un vieux téléphone portable. Je n'ai plus d'énergie.", témoigne cet agriculteur.
Il a fait une demande d'indemnisation en 2021, son cancer figure dans la liste des pathologies professionnelles du régime agricole. Pourtant, il reçoit un refus. Il attaque alors la décision en justice. Un an plus tard, quelques jours avant l'audience, le fonds d'indemnisation l'informe avoir changé d'avis.
"J'ai bien fait de contester, parce que si j'avais pas contesté, mon dossier, j'imagine même pas une seconde qu'ils seraient revenus dessus." dit l'agriculteur.
Le fonds lui propose 550 euros d'indemnités par mois mais pour l'agriculteur qui n'est plus en état de travailler, on est loin du compte. Sa bataille judiciaire se poursuit...
Son cas est loin d'être isolé : 48 demandes ont fait l'objet d'une contestation l'année dernière sur 639 décisions d'indemnisation. Une commission d'enquête parlementaire critique aussi un manque de communication :
"L'information des agriculteurs relative à l'existence du fonds semble largement perfectible. L'activité du fonds reste en deçà des estimations réalisées."
Le fils de Florence est né avec une malformation génitale pouvant être liée aux pesticides. Pourtant, à l'époque, Florence ne travaillait pas dans les champs. Les médecins étudient donc son exposition aux pesticides à travers l'activité de son père, horticulteur et de son beau-père, céréalier. A l'époque, ils ne portaient aucune protection.
Au CHU d'Amiens, le docteur Chamot aide Florence à récupérer les preuves de son exposition aux produits phytosanitaires...
En un an, le docteur a reçu sept patientes seulement, pour des expositions prénatales aux pesticides, pourtant, les victimes ne manquent pas, selon lui, mais le sentiment de culpabilité l'emporte.
"Venir à ces consultations, c'est particulièrement compliqué : tumeurs cérébrales, leucémies... des enfants meurent, et "c'est peut-être mon travail qui a causé ça". Donc les gens ont beaucoup de mal à venir en consultation." explique le docteur.
Il y aurait 10 000 maladies en lien avec les pesticides."
"Pourquoi on nous laisse travailler avec tous ces produits ?" interroge une agricultrice. Oui, pourquoi ?
Le besoin de rentabilité à tout prix de nos sociétés ? L'influence et les mensonges du lobby des pesticides ? Le règne de l'argent ?
Source :
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/pesticides-ces-agriculteurs-malades-de-leur-travail_6923153.html